Ariane Bois, "Et le jour pour eux sera comme la nuit" : au plus profond de l'enfer

Vingt ans, sept étages. Une vie peut-elle se résumer à deux chiffres aussi froids ? Évidemment non, mais c'est pourtant tout ce qui reste aux parents et frère et sœur de Denis d'Aubigné pour comprendre l'incompréhensible.

Pourquoi ce jeune homme de vingt ans en pleine forme, débordant de projets et d'énergie a-t-il sauté du septième étage un matin de janvier dans la cour paisible d'un immeuble bourgeois ?

 

Rien dans son comportement ne laissait imaginer le moindre malaise. Il avait du succès, des amis, un petit frère, une sœur avec qui il était comme un jumeau, des parents qu'il aimait comme on aime ses parents à vingt ans en revendiquant son indépendance, mais très fort tout de même, pas très loin d'eux.

 

Alors ? Alors rien, il faut faire avec, pas de lettres, pas de signes précurseurs. Il faut continuer à vivre. Pour les parents Pierre et Laura, c'est épouvantable : le père est médecin, la mère est une femme très active. Ils ne comprennent pas. Pour la grande sœur Diane c'est encore pire : elle est seule, elle doit aider, supporter toute la famille qui s'écroule, en veut à son frère de ne pas l'aider dans ce calvaire. "Denis n'avait pas de secret pour sa sœur. Sauf ce saut par la fenêtre. »

Il y a l'enterrement : comment l'habiller ? C’est absurde, qu’importe l’habit pour ce voyage-là ! Il y a les gens qui défilent et évitent de parler de mort, de suicide, alors on parle d'autre chose et on se tait bien vite. Il y a les mots de la grand-mère adressés à sa fille de 54 ans : "c'est atroce, mais tu en auras un autre", ceux d'Alexandre le petit de 9 neuf ans : "Quand on met quelque chose dans la terre, est-ce que ça pousse ?"

 

Bien sûr, tout revit au printemps, sauf les morts. Et les vivants qui aimeraient que s'achève enfin l'affliction, mais non.

 

Décédé sonne comme décidé. Denis avait-il vraiment décidé de mourir ou avait-il trop mal pour continuer à vivre ? Il y a les vêtements que l'on donne, les jeunes gens qui dans la rue lui ressemblent. Les indices que l'on découvre peu à peu : un cahier, un billet dans la poche d'une doudoune. Mais rien n'explique l'impensable.

Même les mots manquent : Pierre est orphelin de son fils. Cela ne se dit pas. On ne nomme pas un père ou une mère dont l'enfant est parti. Le français, cette langue si subtile n'a pas de terme pour nommer ce chagrin-là.

 

A-t-il deux enfants, trois ? Lui le médecin, l'homme rationnel ne sait plus, il passe ses après -midi à lire le journal sur la tombe de son fils. "Il n'est pas fou, sauf de douleur. »

Tous sont perdus dans les litanies des premières fois : le premier jeudi après la mort de Denis, le premier week-end, le premier mois passé sans lui. Le temps passe et n'efface rien.

Le chagrin les dépasse, chacun s'enferme dans son désespoir et ne communique plus qu'avec violence avec ses proches. Qu'avons-nous manqué ? Laura, la directrice de communication devient kleptomane, Diane anorexique. Pierre ébauche une histoire avec une jeune fille.

Il faudra un choc venu d'Alexandre, l'enfant à qui on a menti sur les causes de la mort de Denis pour que Pierre et Laura comprennent que leur cauchemar peut devenir encore bien pire. Qu'il n'y a aucune limite au malheur et qu'ils peuvent encore perdre ce qu'il leur reste : leur amour, leurs deux autres enfants.

 

Dans ce premier roman, Ariane Bois, grand reporter au groupe Marie-Claire raconte l'année qui suit la mort volontaire d'un jeune homme. Le désespoir de ses proches, la culpabilité, le remord, les maux que l'on s'inflige et que l'on inflige aux autres parce qu'il faut un responsable. Un processus qui peut ne pas avoir de fin si on n'y prend garde.

 

Dès la première page, le ton d'un véritable écrivain est là : poignant et fort. Pas besoin de grands sentiments ni de pathos : le titre tiré d'un poème de Victor Hugo écrit au lendemain de la mort de sa fille donne le ton : le lecteur comprend qu'il ira au plus profond de l'enfer.

Le roman est d'une précision extrême. Ses phrases ont la pureté et le ciselé d’un diamant de la plus belle eau. Le vécu est là sans doute, à fleur de livre, mais jamais ne pèse. Ariane bois réussit à parler de la détresse la plus immense qui soit avec recul et sobriété. Faire pleurer n'est pas son objectif, même si à plusieurs reprises ses notes si justes, ses impressions si sincères touchent au cœur.

 

Elle ne donne aucune réponse aux pourquoi de la mort volontaire. Il n'y en a pas. Mais ce livre est un cri superbe destiné à tous ceux qui un jour peuvent être confrontés au suicide d'un enfant. On ne peut pas comprendre, mais peut-être peut-on prévenir.

 

Brigit Bontour

 

Ariane Bois, Et le jour pour eux sera comme la nuit, J’ai lu, septembre 2010 (première parution : Ramsay Littérature, 2009) 124 pages, 4 €

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