Les Jours d’après

Dans L’ Ange gardien, son dernier polar, Jérôme Leroy récapitulait des passions et des hantises à peu près inchangées depuis ses premiers romans : une France à son crépuscule, en proie à des élites corrompues, hantée par des polices parallèles… Avec le temps, il a ajouté à ce cortège de calamités le changement climatique et les mutations génétiques, déjà présents dans de précédents recueils de nouvelles. Les Jours d’après confirme le diagnostic posé dans Une si douce apocalypse ou dans Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruine. Simplement, l’écrivain mêle avec maestria critique sociale (l’héritage de Jonquet et Fajardie – mais bonifié) et critique de la démocratie de marché, anticipation sur un mode apocalyptique (lecteur de l’Evangile de Jean, Jérôme croit davantage à la Fin qu’aux cycles), horreur dans le genre gore (clins d’œil de cinéphile) et, en attentif lecteur des Belges Owen et Sternberg, fantastique, voire réalisme magique (l’une des nouvelles, un bijou d’implicite, Crèvecoeur, illustre à merveille cette variante si particulière du fantastique).

Barbouzes bibliophiles et flics au bout du rouleau, zombies domestiqués par la grâce d’un vocalisateur pour midinettes, DRH à la gâchette facile (Browning GP 35 & Pamas G 1 avec son levier de désarmement), écrivains gavés de tranquillisants et de pouilly-fumé, politiciens humanoïdes menacés d’une panne générale peuplent ces contes noirs. Même refus de la décadence, même déchirante nostalgie du monde d’avant, même tendresse pour une France souveraine… Vers 1991, le regretté Dominique Venner disait de Monnaie bleue  que « avec plus de force parfois que les essais historiques, certains romans sont les vrais révélateurs de leur époque, dévoilant tares ou aspirations ». Ceci vaut pour les contes orwelliens de Jérôme Leroy, très lucide, comme son ami Sébastien Lapaque, sur la liquidation programmée de l’indépendance nationale, et donc des appareils gaulliste et communiste. L’une ou l’autre nouvelle décrivent bien ce processus à l’œuvre depuis les années 60, qui mériterait un ou deux grands romans, que Jérôme et Sébastien, écrivains politiques autant qu’esthètes, nous doivent.

 

Un autre dimension des Jours d’après mérite d’être soulignée : si Leroy n’a jamais caché sa tendresse pour la France du Nord, il s’emploie ici à poétiser ces villes méconnues qui ont pour nom Roubaix, Arras et Lille – cette dernière, où il vit, étant décrite aujourd’hui… et après la catastrophe, alors peuplée de bonobos dyslexiques et d’hyènes maniaco-dépressives.

Avec Sauf dans les chansons, Jérôme Leroy renoue avec la poésie, ou, plus exactement avec une sorte de cantilène mélancolique, qui chante les matins profonds de Grèce et les pluies des Flandres, les femmes perdues et le vin, le plaisir si bref et le temps qui fuit, inexorable : « Dans l’appartement du temps / Sur les boulevards de l’hiver / Flandres temps et Drôme / Flandres temps et Drôme / S’éblouit votre fantôme. » Une poétesse russe, Natalia  Medvedeva ; le confrère Thierry Marignac, encore un écrivain secret de haut parage, Amy Winehouse et Jacques Chardonne apparaissent au fil de ces chansons, dont  la voix évoque le fado – cette voix singulière dont il y a  encore beaucoup à attendre.

Christopher Gérard

Jérôme Leroy, Les Jours d’après, Petite vermillon, 8.7€ et Sauf dans les chansons, La Table ronde, 14€

 

 Cette critique provient du site de Christopher Gérard : http://archaion.hautetfort.com/

 

 

Aucun commentaire pour ce contenu.