Comment reconnaître vos amis des grands singes, Une farce anthropocentrique sur les animaux de Will Cuppy

Un misanthrope débonnaire ?

Will Cuppy, inconnu au bataillon ? c’est dommage. Il appartient à l’armée des critiques littéraires, mais, semble-t-il, au bataillon disciplinaire, celui qui ne se prend pas au sérieux. Voilà un rigolo qui restera donc toujours jeune et qui est pourtant mort en 1949, à soixante cinq ans. Voici, sans ambage, un livre plaisant, à la couverture rose attirante, genre de produit utile à une rentrée heureuse. Il pose d’emblée une question amusante mais intrigante à la fois : Comment reconnaître vos amis des grands singes ?

La préface d’un ami véritable

Une préface a été écrite par P.G.Woodehouse, la préface d’un ami vrai, le sourire aux lèvres et qui se repaît des mots de son ami sans aller davantage dans une quelconque exégèse… D’après Woodehouse, un des premiers mérites de Cuppy est d’avoir rivé leur clou aux pékinois (les chiens bien sûr, je ne veux pas d’ennui avec la puissance montante, surtout pour ce que je suis payé, ça faisait un moment que je te l’avais pas sortie celle-la, hein patron ?) :« je ne vois vraiment pas pourquoi ils ont l’air si contents d’eux. Ils ne sont pas mieux que nous. » Je vous entends faire « pff », car c’est ce que j’ai fait la première fois que j’ai lu cela, et je ne prétends pas corriger vos erreurs, ayant fort à faire avec les miennes… Mais… C’est beaucoup plus profond qu’il n’y paraît. Tout le monde a croisé un jour une de ces horribles bestioles prétentieuses chez une mémère enturlubannée (elles le sont toujours, les pires le sont à l’intérieur). En tant que petit garçon bien élevé, drôle de marotte qui se pratiquait à une époque, j’en ai été froissé. Will Cuppy m’a résolu ce problème comme un chevalier blanc. Bon sang, il a dit LA chose que j’aurais dû dire pour ne pas traîner ce malaise pendant quelques dizaines d’années. Il y a chez Cuppy de quoi se débarrasser de bon nombre de complexes anodins (mais les petits ruisseaux font les grandes rivières), qu’on n’avait pas le droit d’évacuer car il fallait gémir au moins les « Ah », « Oh » d’usage devant une sacro-sainte érudition (nous étions trop jeunes pour savoir qu’il s’agissait de charité, je pèse le mot).

Une farce anthropocentrique sur les animaux

Cuppy entreprend l’examen minutieux de la foule de gens qui encombrent la planète en même temps que nous : les animaux. Il nous rappelle au passage les vagues anthropoïdes qui sont censés être nos ancêtres, ce qui fait froid aux os… Surtout l’Homme d’Heidelberg dont on a retrouvé une machoire (ce qui prouve selon notre facétieux auteur à quel point il était Allemand !). Les animaux, donc, sont passés minutieusement en revue, en prenant bien soin de s’appuyer sur les revues ou autres ouvrages de spécialistes autorisés (c’est ce que l’on dit en pareil cas). Cuppy fait du travail sérieux. Les bêtes sont classées. Au premier rendez-vous surgissent les oiseaux, peut-être parce que c’est autour d’eux qu’on rencontre la plus forte concentration de maniaques humains. Le roitelet est permissif sur le plan sexuel à plus de 99% et le coucou n’a aucun sens des responsabilités puisqu’il va pondre dans le nid des autres, et après on nous reprochera d’appeler un étourdi, étourneau. Et le chimpanzé dans tout cela ? On le rencontre en Afrique et dans les music-halls, lumineuse observation. Il sont affreusement superficiels et possèdent le tiers du cerveau dont ils ont besoin… Cuppy règle son compte au babouin en affirmant que les gens qui s’intéressent à lui ne sont pas normaux… Logique, leur vie familiale est un enfer terrestre : les femelles se flétrissent prématurément et les mâles deviennent méchants et avares rapidement (l’est allé au zoo de Vincennes gamin ce gars-la, c’est pas croyable !). Et les pingouins ! Il faut des heures pour distinguer un vrai d’un empaillé et même un flic ne réussirait que rarement à prendre un pingouin en « flag » d’indignité… Et les girafes ? Les castors qui pensent que les choses doivent être faites sans se soucier si cela les rendra meilleurs ou pas (ça me rappelle quelqu’un) ? Les lions ? Les tigres ? Les paresseux dont le sang descend à la tête et que ce n’est pas grave puisqu’elle est vide…

Un bon moment à ne pas bouder

Le seul regret qu’on pourrait exprimer sur cet ouvrage est l’absence de notes de la traductrice (lui en-t-on laissé l’opportunité ?) car l’humour américain d’il y a soixante ans… Pas toujours aisé à saisir. Pour le lecteur moyen, comment saisir le jeu de mots entre l’Historien Gibbons célèbre pour son œuvre sur le déclin de l’Empire Romain et le gibbon ? Allez, ne boudez pas un plaisir solitaire mais puissant puisqu’il peut donner un merveilleux ressort à quelque conversation un peu morne… Ah, comment distinguer ses amis des grands singes ? A contrario, peut-être, allez voir…


Didier Paineau

Will Cuppy, Comment reconnaître vos amis des grands singes, traduit de l'anglais (USA) par Béatrice Vierne, préface de P.G.Woodehouse, Le Rocher, « Anatolia », juin 2006, 203 pages, 21 euros
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