Les "Œuvres" de Thomas De Quincey dans la Pléiade : ou l’art de la trame
Thomas De Quincey
(TDQ) est un touche-à-tout. Protéiforme mais surtout moderne. D’une inépuisable
inventivité. Chroniqueur omniscient il réveille Edgar Allan Poe qui signera une
cinglante pochade satirique à son endroit. Mais TDQ sait aussi émerveiller
Charles Dickens. Quand ce ne sont pas Alfred de Musset ou Charles Baudelaire,
ses premiers traducteurs français. Bref, TDQ est vénéré comme l’un des maîtres
du style. Il faut dire que sa fantaisie lui ouvrait toutes les portes. Il savait
faire son miel de tous les genres et de tous les sujets. Autobiographies et
biographies (il a connu les deux grands poètes William Wordsworht & Samuel
Taylor Coleridge). Romans et fantaisies historiques. Essais (rhétorique,
philosophie, théologie, droit, etc.).
Tant de cordes à son arc sont aussi le fait qu’il devait gagner sa vie. Il tint
donc la plume. Enthousiaste TDQ mais surtout alerte. Ecartelé entre l’angoisse
d’être poursuivi par ses créanciers et frétillant d’audace à oser pousser
toujours plus loin la frontière du possible.
TDQ se passionnait pour les gens. Mais son humour dévastateur n’était pas
forcément du goût de tous : Emmanuel Kant sénile ou Wordworth coupant les
pages d’un livre avec un couteau beurré... TDQ avait donc un œil. Et la dent
dure. Et par son style il pouvait conter les scènes les plus précises. Son but
s’orientait toujours vers le lecteur. Il aimait susciter une réaction. Plaçant
le lecteur dans la position du voyeur. Et son don pour la description nous
donne des passages remarquables comme cet opuscule consacré au costume et au
maquillage des femmes de Palestine (La Toilette de la dame hébraïque).
TDQ est donc bien l’auteur d’une œuvre littéraire de tout premier plan. Des écrits dont le caractère hétéroclite se distingue. Un joyeux bazar qui lui permit de se proclamer philosophe : ennemi du dogme & curieux. Car TDQ était hors de son temps. Ni réellement au 18e et pas encore au 19e. Mais dans une espèce d’entre-mondes où la modernité n’apparaitrait pas si sauvage. Là où la littérature romantique pourrait s’épanouir... loin des écrivains contemporains qui le laissaient de marbre.
Il faut dire que TDQ avait à sa disposition la bibliothèque de son père qui fit
de lui un lecteur enthousiaste et exigent. Au point d’apprendre l’allemand pour
lire dans le texte la Critique de la raison pure de Kant.
Feu-follet, TDQ se passionne aussi pour la musique. Que l’on retrouve dans son
style : il aime tant jouer sur les attaques, les cadences, les
accélérations ou les ralentissements de tempi. Il est aussi féru d’art
comme d’économie politique.
Cet homme-orchestre ne doit donc pas être uniquement connu comme l’auteur des Confessions d’un mangeur d’opium anglais. Même s’il s’agit d’un livre phare. Car l’œuvre compte pas moins de 21 volumes dans l’édition anglaise publiée à Londres entre 2000 & 2003. Et même si l’opium a tenu une grande place dans sa vie il faut, pour comprendre TDQ, aller y lire autrement. C’est là l’intérêt de ce gros volume de la Pléiade. Nous aider à découvrir d’autres horizons.
Un TDQ en défenseur de la fougue de l’expression. Usant de son outil
privilégié, la rhétorique, il construisait des liens logiques. S’appuyait sur
des convictions pour persuader. Impétueux, TDQ jouait aussi avec les
contradictions, jonglait avec les vocables. Allant vers des procédés de
digression héritée des romanciers du 18e comme Diderot. Rendant si plaisant la
lecture de ses démonstrations dans la désignation du monde et de soi...
La syntaxe et le rythme firent également l’objet d’une attention particulière.
TDQ conçoit sa phrase comme un architecte qui pose les fondations avant de
monter le toit. Tout est planifié, organisé. D’où cette omniprésence thématique
et métaphorique du bâtisseur...
Pascal Aquien conclut qu’il n’y a "pas de meilleure métaphore pour l’écriture
de Thomas De Quincey, au sens le plus matériel du terme, que celle du tissage.
Un fil en dessus, un fil en dessous, et cela indéfiniment, et toujours avec la
douloureuse conviction que jamais la texture ne sera suffisamment serrée pour
ravauder le tissu déchiré. Thomas De Quincey, ou l’art de la trame."
Ce volume :
Récits et essais (auto)biographiques
Confession d’un mangeur d’opium anglais
Suspira de profundis
Esquisses autobiographiques
Souvenirs de la région des lacs et des poètes lakistes
Essais de fantaisie
Du heurt à la porte dans « Macbeth »
De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts
Les derniers jours d’Emmanuel Kant
La malle-poste anglaise
Nouvelles gothiques
Le naufrage d’une famille
Le bras de la vengeance
Introduction, Chronologie - Note sur la présente édition
Notices et notes
Bibliographie
Annabelle Hautecontre
Thomas De Quincey, Œuvres, coll. "Bibliothèque de la Pléiade
n°569", édition publiée sous la direction de Pascal Aquien avec la
collaboration de Denis Bonnecase, Eric Dayre, Alain Jumeau, Sylvère Monod et
Marc Porée, volume relié pleine peau sous coffret illustré, Gallimard, avril
2011, 1880 p. - 65,00 € jusqu’au 31 août 2011, puis 72,50 €
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