La période 1940-44 a donné lieu à de nombreux romans maispeu se
sont avérés drôles ou distrayants. Souvent, on a droit à des catalogues
d’exemples édifiants, soit pour dresser des lauriers à la gloire des
résistants, soit pour couvrir de honte les collaborateurs — ou, dans
l’autre sens, les réhabiliter. Que les choses soient alors très
claires : ce roman de Frédéric Paulin n’entre dans aucune de ces
catégories.
1944 : fin d’un monde
Hiver 1944, Sigmaringen : le gotha de la France collaborationniste a
fui la France de la libération. On y trouve pêle-mêle miliciens,
journalistes, membres du PPF de Jacques Doriot, écrivains compromis
(dont Rebatet et Céline) qui s’entassent autour de la personne du
maréchal Pétain, muré dans son silence et, comme dit l’auteur, « comme
si l’aura décrépite du vainqueur de Verdun (pouvait) encore les protéger
des foudres qui n’allaient plus tarder à les frapper ». Parmi eux erre
Albert Mordefroid, gratte papier dans un journal collaborationniste.
Mordefroid, au fond, ce n’est ni un collabo, ni un antisémite, encore
moins un quelconque soldat perdu de la milice bientôt destiné à être
envoyé à mourir défendre Berlin. Il est juste là pour se venger.
Bidasse parmi d’autres en 40, il a sauvé sa peau en pleine débâcle et
est rentré chez lui par ses propres moyens… Pour trouver sa femme en
train de le tromper. Pourtant, qu’il se fasse virer de chez lui comme un
malpropre et insulter par sa femme n’a pas d’importance : il a
heureusement retrouvé son chien. Las ! Le brave animal se fait renverser
par une voiture transportant Jacques Doriot, patron du parti populaire
français et ardent propagandiste de l’Allemagne nazie. Si Mordefroid est
à Sigmaringen quatre ans plus tard, c’est pour une seule raison :
venger son canidé chéri. Là, il y retrouve Saint Furchac, desperado de
la milice qui a participé à l’assassinat de Mandel,accessoirement fils
d’un riche industriel de Saint Chamond d’où notre homme est originaire.
Le destin fait se croiser ces deux hommes qui nous accompagneront tout
au long d’une lecture où on ne s’ennuie jamais.
Un ton satirique et anarchiste
Car, on l’aura compris, Frédéric Paulin a de l’humour à revendre. Un
humour noir, sombre et désespéré. Un talent fou pour peindre lanature
humaine dans ce qu’elle a de plus dérisoire. Le tableau de ces français
qui ont choisi le mauvais camp et qui s’accrochent au moindre espoir
suscité par leurs maîtres nazis (l’offensive des Ardennes de l’hiver
1944-45, les mythiques armes secrètes) a quelque chose de touchant et de
pathétique à la fois. Sans pour autant susciter d’empathie : l’auteur
évoque les exactions de la gestapo de la rue Lauriston, les virées des
militants du PPF dans le 18e pour couvrir d’insultes les enfants juifs
recueillis dans des foyers, les bastonnades... Il ne peut donc être
accusé d’aucune complaisance envers ce milieu.
Par contre, pour
faire bonne mesure, Paulin ne ménage pas les français libres, qui ne
trouvent en rien grâce à ses yeux. Ils sont dans l’ombre, manipulent
Mordefroid et Saint Furchac afin de se débarrasser de Doriot en leur
promettant qu’ils seront blanchis dans la France d’après-guerre. Les
promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent : Mordefroid et Saint
Furchac finiront dans les poubelles de l’histoire.... L’auteur n’adhère
pas, c’est le moins que l’on puisse dire, au mythe « résistancialiste »
et décrit des français combinards, adeptes du système D dont le moins
que l’on puisse dire est qu’ils ne se sont pas battus à fond en 1940
tellement l’effondrement complet du pays les laissa effrayés…
Devant ce style goguenard et sarcastique, on pense à Audiard pour les
dialogues finement ciselés et les réparties cinglantes. Vient également à
l’esprit la référence à Céline évidemment, à cause de tournures
argotiques. Paulin a fait du docteur Destouches un personnage de roman
proche de son propre mythe, surtout quand on a en tête l’autoportrait de
Nord. On pense aussi à Pierre Siniac (1928-2002), auteur de
polars qui affectionnait aussi ce ton drolatique proche de
l’ « hénaurme » et qui avait aussi rendu un hommage remarqué à l’auteur
de Voyage au bout de nuit dans Ferdinaud Céline.
Tout cela donne une comédie humaine noire et rigolarde où l’auteur met à
profit sa profonde connaissance de la période — des péripéties de
personnages historiques comme Doriot ou Céline jusqu’à l’intitulé des
grades SS — pour mieux nous distraire. Un bon petit livre à lire pour se
détendre, loin des grilles de lecture conformistes sur cette période.
Sylvain Bonnet
Frédéric Paulin, La Dignité des psychopathes, Alphée, 259 pages, août 2010, 19,90 €
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