Les aventures des animaux ou le retour de Benjamin Rabier

 

Joséphine, Perpétue, Honoré et Cambouis, mais aussi Nono, Charlemagne et Rouquinot dansent la ronde et clignent de l’œil, tous acteurs sortant des coulisses de nos souvenirs. Vous les connaissez ces noms, en tous cas vos enfants, espérons-le. Ce sont par ordre d’entrée en scène la grenouille, la tortue, le pélican, le blaireau, le moineau, le cochon et l’écureuil. A eux tous, ils forment une joyeuse bande qui fait de la campagne un théâtre de plein air. D’aimables animaux, des animaux espiègles, naïfs et savants, qui sautent, parlent, pleurent, se font des tours, rivalisent de facéties, offrent le café et nous donnent des leçons d’humanité. La souris a peur du hibou, le renard paye ses dettes avec des noisettes, l’écureuil libère la grenouille, le cochon a des goûts artistiques, le lapin fume sa pipe, le blaireau offre un canard au renard. Pour nous conter leurs histoires, un maître du dessin dont la main experte, agile et rapide délimite les pourtours parfaits de cette petite gens et frappe les trois coups pour annoncer le début de la représentation. Cette main est celle de Benjamin Rabier, qui enchanta des générations d’enfants et de parents. Il est le créateur de ces personnages historiques que sont Gédéon, Flambeau, Tintin Lutin et l’immortelle Vache qui rit et nous sourit toujours. Hergé qui admira tout jeune son talent dira que les dessins de Benjamin Rabier étaient « très simples, mais robustes, frais, joyeux et d'une lisibilité parfaite. En quelques traits bien charpentés, tout était dit : le décor était indiqué, les acteurs en place. La comédie pouvait commencer ». 


Rien de plus serein et pourtant de plus alerte et juste que le dessin de Rabier, « ce dessin épuré, ce dessin-silhouette où l'essentiel est dans le trait qui cerne les contours du sujet » écrivait Cavanna. Mimiques, attitudes, aplombs et couardises, au-delà des querelles et des farces qui déclenchent les rires, il arrive que les animaux nous enseignent ce que nous sommes. Ils singent nos comportements d’êtres compliqués sans le montrer, par ricochet. Ils nous confondent avec humour et donnent des leçons de savoir vivre. Rabier transpose et calque son savoir des hommes aux animaux, parce que « nul mieux que Benjamin Rabier ne paraît au courant de ce qui se passe chez les animaux » assurait Guillaume Apollinaire.


Né le 30 décembre 1864, apprenant tout jeune la valeur du travail, gravissant l’échelle sociale à force de labeur et d’imagination, Benjamin Rabier collabore à de nombreux journaux, participe à des salons, s’intéresse au théâtre, signe plus de deux cent cartes postales, exécute de brillantes caricatures, lance sa collection de jouets, improvise des gags incroyables, manie avec une délicate impertinence la satyre, conçoit des publicités qui marquent les mémoires, invente la bande dessinée,  illustre Buffon et La Fontaine avec tant d’intelligence et d’à-propos qu’il est naturel d’associer ses ânes, ses éléphants, ses ours aux textes et aux fables de ces auteurs. Il est apprécié en Angleterre où, dans le Sussex, Katie Pom a sa maison. Sa notoriété grandit et sa fortune en même temps. L’art de cet homme fut de savoir se moquer d’abord de lui-même. Ainsi raconte-t-il que « rendu à la vie civile, la caricature me tenta. Je me mis sur la tête un grand chapeau mou, je nouai autour de mon col une cravate Lavallière de 3,50 mètres et fis l'acquisition d'une canne d'entraînement de 7 kilos et d'un carton à dessin de 75 X 45. Les directeurs de journaux, en me voyant, ne pouvaient s'empêcher de s'écrier : « Enfin ! Voilà un homme qui a l'air d'un artiste ». Il disait encore ceci : « Je pèse 90 kilos, ce qui ne m'empêche pas de passer dans mon quartier pour un homme léger » ! Il meurt le 10 octobre 1939.


Séduisantes images, charmants textes, la lecture de ces pages apporte le bonheur du retour à l’âge de l’émerveillement. Les aventures de ces animaux se lisent avec le même plaisir que celui que nos grands parents éprouvaient quand ces albums furent publiés. Après la parution des 12 premiers titres, série qui comprend notamment Charlot est un phénomène, Marius le coq, Trotte Menu la souris et les intitulés cités plus haut, les éditions Langlaude feront bientôt paraître Tom l’ourson, Coco le chimpanzé, Bourguignon l’escargot ou encore Clémentine l’oie. Leur propriétaire qui en 1980 avait réédité l’Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, poursuit avec patience, conviction et attention ce travail de maintien de l’héritage des trésors de la littérature française. Remis en couleurs selon les tons exactes de l’époque, d’un format commode, ces petits ouvrages sont identiques aux anciens. Une manière de rafraîchir le temps et de ravir les yeux de notre présent.


Dominique Vergnon


Benjamin Rabier, 12 titres parus dans la collection Souris verte, 280x220, Editions Langlaude, 2012 : chaque exemplaire fait 17 pages, au prix de 9 euros

 

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