Jane Avril : Le grand écart mène à tout !

Vous plairait-il de mener grand chahut au bras de Valentin le Désossé ? De lever le jupon et le cuissot avec Grille d’égout, la Môme Fromage ou la Goulue ? De vous faire immortaliser par le pinceau de Toulouse-Lautrec ou croquer par Sem ? Dans ce cas, plongez sans plus attendre dans les Mémoires de Jane Avril, la mythique danseuse de la Belle Epoque qui fut l’égérie du Tout-Montmartre et dont les mouvements endiablés fascinèrent autant Alphonse Allais que Maurice Barrès.  

 

Ce document n’avait guère été publié qu’en feuilleton dans le journal Paris-Midi, en 1933. Claudine-Brécourt-Villars et Jean-Paul Morel en proposent aujourd’hui une version richement annotée et expurgée de ses nombreuses coquilles.

 

Placée très jeune en pensionnat, Jane Avril est à proprement parler partie de rien. Maltraitée par une mère acariâtre, elle contractera une maladie nerveuse qui la fera admettre à l’hôpital de la Salpêtrière, parmi les patientes hystériques du célèbre Docteur Charcot. Après une déception amoureuse et une crise suicidaire, elle se mettra à côtoyer la faune interlope de ces femmes, mi-putains mi-danseuses, qui faisaient trembler alors de leurs cabrioles les hauts lieux nocturnes tels que le Furet, le Vachette, le Bal Bullier, le Chat Noir, etc. Elle a à peine vingt ans quand elle découvre sa véritable vocation. Elle est alors caissière à l’entrée de la fameuse rue du Caire de L’exposition universelle de 1889 et, à l’en croire, ne fréquente le Moulin-Rouge que « pour son plaisir ». Ses premiers rôles au Divan japonais la font immédiatement remarquer comme un talent prometteur. Il suffit qu’un petit artiste difforme, à barbe et monocle, lui dessine sa première affiche en 1893 pour que, pendant près de trente ans, elle tienne sans discontinuer le haut des planches.

 

Dans une langue à la fois aussi simple et élégante que peut l’être la véritable expression populaire, Jane Avril nous livre donc ses souvenirs pour mieux revivre les heures de gloire d’une France insouciante et délicieusement décadente, celle du Général Boulanger et d’Edouard Dujardin.

 

L’intérêt du texte est rehaussé par la beauté de l’objet-livre lui-même, illustré de deux cahiers d’affiches en couleurs, de portraits et de photos.

 

Il faut à ce propos s’attarder sur la réédition, proposée dans le même volume, du Cours de danse fin-de-siècle d’Érastène Ramiro, pseudonyme de l’avocat et esthète Eugène Rodrigues-Henriques. Ce petit bijou oublié est un véritable exercice de style, qui oscille entre une description anatomique très précise et une évocation littéraire de la plus belle eau des mouvements, des contorsions, des poses contre-nature auxquels doit se livrer le corps de l’apprentie danseuse, pour atteindre à la perfection. D’une prose enlevée, l’auteur saisit donc le grand écart, le port d’armes, le brisement debout et autres balancements, pour donner le résumé d’une pédagogie bizarre dont les leçons façonnent les divertissements les plus goûtés par la névrose contemporaine. Le travail, le travail donc, acharné, patient, douloureux, serait-il le seul moyen pour entrevoir la beauté ? Les Editions Phébus nous en apportent encore une fois, à en juger par le fini de cet ouvrage, la démonstration.

 

Frédéric Saenen

 

Jane Avril, Mes mémoires, suivi de Erastène Ramiro, Cours de danse fin-de-siècle, Editions Phébus, octobre 2005, 240pages, 19 €

 

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