Ingrid Desjours lâche les "Fauves" et s'impose dans un roman noir sur fond de djihad

"Torturez-la ! Violez-la ! Tuez-la !"


Haïko mène une guerre à sa mesure contre DAESH : elle kidnappe des jeunes sur le point de partir pour le djihad et les dé-conditionne pour qu'ils retrouvent leur libre-arbitre et se détournent des nouveaux barbares qui tentent de conquérir le monde. Mais elle dérange, aussi bien les recruteurs et les intégristes qu'un groupe de chrétiens prêts à reprendre la Croisade ! Fanatiques contre fanatiques, et Haïko et sa petite entreprise humanitaire au milieu. Mais est-elle bien celle qu'elle prétend ou joue-t-elle avec les peurs modernes pour faire prospérer son petit business ? La fatwa a été lancée contre elle par les intégristes ou est-ce un leurre pour attirer les médias sur sa levée de fonds ? 

"Le destin d'une personne tient à bien peu de chose"

Après la mort de sa meilleure amie et membre de son association, abattue à la Kalachnikov en pleine rue, Haïko va faire appel à des garde-du-corps. Lars, ancien légionnaire revenu d'Afghanistan très traumatisé, va prendre fait et cause pour sa cliente, mais le doute va s'immiscer assez rapidement et faire de sa mission un vrai calvaire : parce qu'il est tombé amoureux de cette magnifique jeune femme, parce que l'adversaire supposé lui rappelle le drame personnel dont il ne parvient pas à chasser le fantôme qui revient comme dans la geôle afghane, et le jeu de dupe va pouvoir commencer ! Dans l'intimité d'Haïko, Lars va subir les nombreuses influences qui s'opposent, l'équipe des garde-du-corps est partagée entre innocence et culpabilité, le frère d'Haïko vient ajouter aux troubles et Haïko elle-même semble se moquer de tous les pronostics avec un comportement qui ne joue pas en sa faveur... 

"Un anonyme parmi d'autres, mais qui croit pouvoir faire la guerre une dernière fois et se rendre justice par la même occasion... Un fauve qui n'arrive plus à faire taire ni sa rage ni les démons qui hurlent dans sa tête".

Ingrid Desjours installe un climat lourd, ou la suspicion constante bouscule le lecteur d'un point de vue à l'autre dans un jeu du qui-manipule-qui très vicieux — et dont la compréhension sera un très beau final. Elle trame son roman noir sur une actualité dramatique, qu'elle suit pas-à-pas, et glisse une terrible critique de la doxa qui bêle sur Internet et des journalistes, dont la rigueur morale laisse à désirer...

Ce qu'il y a vraiment incroyable dans l'art d'Ingrid Desjours, disons d'un point de vue narratologique, c'est que chacun de ses personnages a une vie et une pensée propres, chacun va exprimer sa propre vision du monde, car chacun est pensé non pas comme un "emploi" mais comme un être complet, avec la richesse d'un passé qui influe sur ses décisions et ses paroles, en leur donnant cette incroyable vérité propre aux êtres vivants, si bien qu'une scène incroyable donne la parole aux adversaires de la "pensée" du roman-même mais avec une telle justesse et une telle sincérité qu'on reste étonné quelques temps de l'avoir lu et d'être accord contre soi-même. Une maîtrise qui justifierait à elle seule d'admirer Les Fauves si ce n'était pas un très grand roman noir.

Loïc Di Stefano

Ingrid Desjours, Les Fauves, Robert Laffont, "La bête noire", octobre 2015, 430 pages, 20,50 eur

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