La Prunelle de ses yeux

Poursuivant de filer la métaphore ophtalmique, Ingrid Desjours publie un nouveau thriller qui joue sur les émotions du lecteur avec beaucoup d'art et de malice. La Prunelle de ses yeux est l'histoire d'un couple incongru : Maya, jeune femme qui semble être partie en Ireland pour oublier celle qu'elle a été, et Gabriel, aveugle fortuné qui voyage et cherche une assistante pour guider ses pas sur la côte, puis en France.  Mais le voyage géographique devient vite un voyage mémoriel, et le lecteur est baladé entre la jeunesse de Maya et de son ami Victor, des autres élèves de la prestigieuse école Mètis qui forme l'élite de demain, et le présent du voyage de Gabriel et Maya. 

Gabriel n'est pas aveugle de naissance, il souffre d'une cécité "psychologique" (dite cécité de conversion) apparue à la suite d'un traumatisme violent. Après quoi, il a tout perdu, sa femme, ses espoirs... Son fils quant à lui, qu'on suit de chapitre en chapitre, a un secret inavouable à son père, une mission qu'il s'est donnée lui-même et qui va le mettre en danger, et un destin qui réunira dans la douleur tous les personnages.  

L'art dIngrid Desjours est de faire vivre des personnages avec la profondeur psychologique d'êtres vivants. Mais comme un prestidigitateur, elle les agite devant nos yeux et nous ne voyons rien. Nous qui lisons avons dès le début du roman l'ensemble des éléments exposés clairement : qui est Maya pour Victor, qui est Victor pour Gabriel, qui sont les méchants et qui sont les victimes. Et pourtant, il faut admettre qu'on n'y voit rien ! Bien sûr, on se doute que le méchant de l'histoire, manière de petit fasciste tyran narcissique, a joué un rôle important pour les uns et les autres. On se doute que les fils épars vont se rejoindre. On se doute qu'un drame initial est à la base du lien entre les personnages. Mais on ne voit rien, et même si on est alerté par la polysémie du titre, par l'histoire qui va se passer pour partie dans le noir (littéralement pour Gabriel l'aveugle, métaphoriquement pour Maya par rapport à la résurgence de son passé), comme la traversée d'une longue nuit dont l'aube est incertaine et la rédemption improbable, on ne voit pas le truc... 

Un grand roman sur des êtres marqués par une souffrance imprescriptible, et qui devront sortir d'une nuit terrible pour espérer un peu, comme dans un huis-clos étouffant et minimaliste mais ciselé à la perfection.


Loïc Di Stefano

Ingrid Desjours, La Prunelle de ses yeux, Robert Laffont, "La Bête noire", octobre 2016, 20 eur
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