Retour sur l'affaire Boulin, un an après la parution du Dormeur du Val par Fabienne Boulin-Burgeat

A l'occasion du Salon du livre de Blaye, au cœur de la citadelle érigée par Vauban, nous sommes allé rencontrer Madame Boulin-Burgeat pour faire avec elle un point, au terme d'une année de rencontre de ses lecteurs, sur l'effet de son livre Le Dormeur du Val
, qui, après une omerta de plus de trente ans, s'efforçait de mettre le discours établi en face des faits et des incohérences de la version officielle sur la mort de l'ancien ministre de VGE

— Votre livre a eu un grand succès de librairie (classé dans les meilleures ventes) et un grand retentissement médiatique. Comment vos lecteurs vous ont-ils accueilli lors des Salons et des rencontres ?

Fabienne Boulin-Burgeat : Après les longs mois de travail solitaire auxquels l'écriture d'un livre contraint, la rencontre des lecteurs, sur Internet, par courrier mais aussi, in vivo lors des signatures et sur les salons du livre auxquels j'ai participé tout au long de l'année a été l'occasion d'échanges privilégiés, de moments de dialogue et de partage souvent intenses. J'ai été très  touchée par la chaleur de l'accueil que m'ont réservé les organisateurs et le public de ces salons ainsi que les libraires qui m'ont accueillis. Selon les régions, selon qu'il s'agissait d'une terre de résistance ou non, les gens exprimaient leurs réactions à la lecture du Dormeur du Val et aux mœurs politiques indignes qu'il dénonce avec peut-être plus ou moins de spontanéité et de fougue. Mais partout j'ai trouvé une écoute attentive, la soif d'en savoir plus et un appui chaleureux à mon combat, dans lequel beaucoup se reconnaissent, contre une justice aux ordres d'un pouvoir déliquescent et sectaire. J'ai rencontré des gens intelligents et modestes révulsés par les dérives mafieuses qui contaminent notre pays. J'ai été rassurée de constater qu'autant de nos concitoyens restent aussi viscéralement attachés à la défense des valeurs de justice et d'équité, aux principes démocratiques, et aussi lucides sur l'attitude des responsables politiques du moment. Certains, les larmes aux yeux, me parlaient du dévouement de mon père, de son attachement à l'intérêt général, lui qui ne demandait rien pour lui-même et travaillait sans relâche pour la France et ses compatriotes. Des gens indignés par le fait que les assassins de Robert Boulin continuent à bénéficier d'une impunité totale. 

— Reprenant les archives, vous avez sorti des faits de l'ombre. Avez-vous suscité des vocations d'historiens ou d'étudiants ?

Fabienne Boulin-Burgeat : Beaucoup de manœuvres ont encore cours pour bétonner cette affaire d’État. J'ai rencontré des étudiants empêchés par leurs responsables de thèse de travailler sur l'affaire Boulin et donc obligés de changer de sujet. De plus les archives officielles concernant cette période sont encore fermées. Et celles de mon père ont été détruites à notre insu, comme je le raconte dans mon livre. J'y évoque aussi le malaise qui a été le mien face aux initiatives de certains historiens qui me paraissaient plus soucieux d'accréditer la thèse officielle que de chercher la vérité. Les protagonistes disparaissent tous les jours sans qu'ils ne soient interrogés ni par des historiens, ni par des journalistes ni encore moins par la justice. J'ai l'impression que l'omerta est si vive que seule une remise en cause  profonde de notre système politique pourra débloquer ces vocations.

— Malgré les faits nouveaux apparus depuis la publication de votre essai, et les incohérences du dossier révélés par votre contre-enquête, la Justice ne semble pas vouloir se ressaisir de ce dossier, comme si on voulait continuer à croire contre toute logique à la version officielle. Par exemple, la position du Procureur Général n'est pas tout à fait clair par rapport à la vérité des faits


Fabienne Boulin-Burgeat : Normalement j'ai la possibilité de faire rouvrir l'instruction à tout moment en présentant des faits nouveaux. C'est ce que j'ai fait à deux reprises, mais tant que le procureur général, seul habilité à décider de cette réouverture, sera nommé en conseil des ministres, son manque d'indépendance vis à vis du pouvoir exécutif ne lui permettra pas de regarder sereinement ce dossier. À chaque fois que je demande l'examen de scellés judiciaires , ces derniers disparaissent. Les derniers en date sont les lettres dites posthumes, le costume et les chaussures, disparus en 2010.

— L'affaire Boulin devrait être une véritable bombe, de quoi faire sauter la République, et pourtant il semble que non. Les politiques ne s'en saisissent pas et les citoyens ne sont pas dans la rue. Des noms circulent et personne n'osent les donner au grand jour, prenons pour exemple les minutes de l'émission de Laurent Ruquier qui ont été censurées par la production. De quoi est-ce le signe ou le symptôme ?

Fabienne Boulin-Burgeat :  D'une grande déliquescence de notre société. Nous sommes traités comme des consommateurs passifs et non comme des citoyens responsables; libres et égaux.

— Que manque-t-il à cette affaire pour en faire une affaire Dreyfus bis ?

Fabienne Boulin-Burgeat : Pour le moment, on est plutôt dans l'affaire Kennedy, un meurtre d'une gravité incroyable et pourtant sans grandes conséquences institutionnelles ou politiques. Il manque sans doute un contexte politique porteur... et un élément humain d'importance majeure : un nouveau Zola !

— Et maintenant, vous avez une suite, d'autres révélations, une éditions mise à jour, une adaptation au cinéma ? 


Fabienne Boulin-Burgeat : Un très beau projet de fiction sur Canal Plus vient, après un an de pourparlers, d'être décliné par la chaine par crainte de poursuites devant les tribunaux. Ce qui me semble faire à sa façon partie de l'intox qui depuis le début de l'affaire nuit à la recherche de la vérité. Un autre projet est en train de se monter sur une chaine du service public. Un projet de documentaire dont on me dit qu'il pourrait servir la thèse officielle serait en cours de préparation... une sorte de contre-feu à mon livre. Les assassins de Robert Boulin sont encore puissants et très présents !


propos recueillis par Loïc Di Stefano

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