Leni Riefenstahl, esthète du mal absolu (2/2)


Suite de l'entretien accordé par Lilian Auzas à l'occasion de la parution de son roman Riefensthal


Parlons un peu de la femme. On sent à la fois une grande faiblesse et une force, mais qui serait de façade, comme un écran entre elle et le monde pour atteindre à ses ambitions artistiques. Comment avez-vous ressenti votre personnage ?


Lilian Auzas : Sa force n'est pas une façade. Dès son enfance, devant l'autorité paternelle, elle allait au combat. Elle était consciente, de par son sexe et son éducation bourgeoise, de partir avec un handicap. Plutôt que de se démener à s'imposer comme femme, elle a fait fi de son état et s'adressait aux producteurs, aux financiers, à Hitler même, comme si elle était un homme. ça n'a rien de féministe, L.R. prêchait pour sa paroisse, le combat des femmes n'étaient pas le sien même si ses rôles d'aventurières ou ses carrières de cinéaste et de productrice ont ouvert une brèche. Elle s'est toujours posée d'égal à égal avec les hommes (même sexuellement, elle les collectionnait) ; pour le tournage et le montage d'Olympia, elle était la patronne de près de 400 personnes et à 95% ces gens étaient des hommes. Il fallait une sacrée force de caractère pour une femme en 1936 et en Allemagne nazie. A mon avis, elle connaissait parfaitement le milieu dans lequel elle évoluait (quand elle disait qu'elle n'entendait rien à la politique à cette époque, elle ment !) ; elle était une stratège redoutable, comme sur un échiquier : elle savait pleurer, séduire, pousser une gueulante (et tous ceux qui l'ont connue se souviennent de colères sans commune mesure), et au bon moment, et avec la bonne personne (à mon avis, même Hitler, dans le fond, ne lui faisait pas peur - elle a même osé louer des gravures de Käthe Kollwitz en sa présence et en public) ; elle pouvait être très généreuse en amitié et absolument impitoyable en affaire. La question reste encore en suspend aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de savoir de quoi elle était au courant pour ce qui concerne la politique nazie. Elle fréquentait les grands pontes du régime (certains par amitié, d'autres par nécessité ; les relations ça aide) et elle a bien du avoir vent de quelques rumeurs ; ne serait-ce que cela. Après, je vois mal un Hitler ou un Goebbels lui confier quoi que ce soit sur la politique intérieure de l'Allemagne. Elle n'était pas une femme politique mais une artiste ; et dans ce jeu de charme et de dupe, chacun y a trouvé son compte : Leni était la reine, et les nazis ont eu le droit à des bijoux de propagande.


Jusqu'en 1945, Leni Riefenstahl n'a jamais été faible, même lorsque les obstacles se dressaient devant elle. Elle a développé le rôle de la victime au moment de sa dénazification. Qu'a-t-elle fait ? Lorsque le vent a tourné pour elle sérieusement, elle était dos au mur, donc elle a nié en bloc. Tout, absolument tout. C'était stupide. Elle n'a admis certains faits que devant les preuves irréfutables (et encore). Avait-elle un secret inavouable ? Certains le pensent sérieusement. Comme avoir eu connaissance des camps et même les avoir filmés. Personnellement, je ne le pense pas. Mais cet imbécile entêtement, cette opiniâtreté lui ont portée préjudices parce ses détracteurs ont imaginés le pire... S'ajoute à cela que ses amis lui ont tournée le dos. Trenker est allée jusqu'à falsifier un soi-disant Journal d'Eva Braun où Leni Riefenstahl est décrite comme une putain. Elle s'était faite des ennemis sous le nazisme aussi. Elle s'est débattue comme une folle, s'est contredite, a menti, a dit la vérité. Elle s'est punie toute seule ; il lui aurait suffit de dire "pardon" mais elle n'a jamais prononcé ce mot de toute sa vie. Des regrets elle en a eu, mais pour son plan de carrière. Les victimes du nazisme ? pas un mot. Non pas qu'elle n'était pas touchée, mais elle n'avait pas à se mêler de cette question puisque de son point de vue elle n'était pas concernée. C'est très stupide. Elle a eu la meilleure des punitions qu'elle pouvait avoir : ne plus pouvoir faire de film... Elle aura attendu ses 100 ans pour pouvoir sortir son docu sur les fonds océaniques. Si elle a pu photographier, faire un film lui aura toujours manquée. Ce devait être horrible pour elle, comme le supplice de Tentale ; parce qu'au Soudan, Leni a énormément filmé ses Noubas, et elle avait plein de projets (un film avec Cocteau notamment).Mais elle ne fera aucun film. Et la frustration de voir ses anciens subordonnés, à qui elle avait tout appris, devenir de grands réalisateurs (je pense à Harald Reinl) et qui ne répondent pas à ses appels à l'aide. Pour se poser en victime, elle s'est assimilée à son rôle de Junta dans La Lumière bleue (1932) après la Guerre ; c'est très étrange, presque schizophrène. Junta est considérée comme une sorcière n'a qu'une passion, sa lumière bleue. Leni Riefenstahl aussi considérait qu'elle n'avait vécue que pour sa passion : le cinéma ; et que pour celui-là elle était considérée comme une sorcière. Avec le temps, elle n'était plus en phase avec la réalité ; le temps l'ayant persuadé de la véracité de ses propres mensonges. Mais, elle est restée debout, forte ; elle a encaissée bien plus d'un demi siècle d'insultes. C'est cette force qui lui a donné le pouvoir de photographier les Noubas, Mick Jagger, de plonger sous l'eau à 72 ans, de faire un film à 100 comme un sursaut de vitalité avant de rendre l'âme. Cette force est admirable quoi qu'on dise, quoi qu'on pense ! Mais cette force a un prix : un narcissisme à toutes épreuves !


coll. privée Lilian Auzas

Le narcissisme est l'apanage des artistes. Leni Riefenstahl vivante, vous iriez lui rendre hommage, comme un disciple à son maître ?


Lilian Auzas : Oui vous avez raison pour le narcissisme, mais chez Riefenstahl le narcissisme a toujours dépassé l'entendement alors même que sa carrière sous le IIIe Reich aurait du la calmer dans ses aspirations.

J'ai une anecdote pour vous : je lui ai écris quand j'étais étudiant ; je voulais des renseignements pour mes recherches - elle devait avoir 100 ans déjà -  et dans ma lettre, dans un allemand plus qu'approximatif, j'ai loué son talent parce que j'espérais qu'elle me répondrai ! Je n'ai pas eu de lettre mais elle m'a retournée une photo dédicacée... Un tirage sépia de son portrait en aviatrice, le rôle de Hella dans SOS Eisberg, il y a sa frêle écriture déliée dessous. Je la garde précieusement.


Je regrette de ne pas être allé à Pöcking pour la voir ou discuter. En même temps, je ne suis pas sûr qu'elle m'aurait laissé entrer chez elle, ni qu'elle aurait entamé une conversation avec moi. Mais je n'y serai pas allé comme un disciple. Leni Riefenstahl n'est pas mon mentor. Elle me fascine comme sujet d'étude ; ça s'arrête là. J'aurais sûrement été impressionné par son charisme, ça oui ! mais j'aurais aimé débattre avec elle, comprendre... j'aurais aussi adoré voir sa demeure, avoir accès à ses archives (surtout ça !!)... Il paraît qu'elle aurait aimé que sa maison soit transformé en musée après sa mort... Je ne sais pas si c'est une bonne idée... Je crois que son compagnon Horst Kettner y travaille. Mais si c'est le cas un jour, j'irais ! Je suis bien trop curieux !


A la lecture de votre  Riefenstahl , on découvre vraiment un personnage attachant. Que conseiller comme lecture complémentaires?


Lilian Auzas : Leni Riefenstahl - une ambition allemande de Steven Bach (il la diabolise encore un peu mais c'est une bonne biographie). Hélas, selon moi, les meilleurs livres sur Leni Riefenstahl sont en allemand et n'ont jamais été traduits en français ; si vous lisez l'allemand, je conseille Riefenstahl - Eine deutsche Karriere de Jürgen Trimborn et Die Scheinwerferin (j'ai oublié le nom de l'auteur...). Après, pour la beauté des images, il y a l'hagiographie parue chez Taschen : Leni Riefenstahl - Cinq vies. Ensuite, évidemment, il y a les livres de Leni elle-même, ceux sur les Noubas et sur les fonds marins (Les Nouba - des hommes d'une autre planèteLes Nouba de KauJardin de CorailL'Afrique de Leni Riefenstahl), en revanche, on ne les trouve plus que chez les bouquinistes... Si vous êtes courageux, vous pouvez lire ses Mémoires, très subjectives, mais c'est un bon autoportrait. Une traduction française est encore disponible chez Grasset, je crois. Mais surtout, regardez ses films ! Hélas, seulement un est disponible en français : chez MK2 il existe un dvd de La Montagne sacrée d'Arnold Fanck dans lequel elle joue. C'est une splendeur ! Après, ce sont des imports allemands ou américains. Le Triomphe de la volonté n'est disponible qu'aux USA - il y a notamment une édition doublée d'explications d'historiens, c'est très intéressant et intelligemment fait. Il existe un magnifique coffret d'Olympia chez Arthaus avec en bonus le documentaire de plus de 3h de Ray Müller Leni Riefenstahl - le pouvoir des images, mais c'est en allemand. Après, tous ses autres films sont disponibles dans diverses éditions en Allemagne ou aux States ; il n'y a que Le Grand Saut d'Arnold Fanck où elle est actrice et son premier film pour Hitler, Victoire de la foi, qui soient indisponibles à l'heure actuelle... mais vous pouvez voir tout ça sur Youtube.


Quitter une passion, ce n'est pas simple. D'autres projets après ce Riefenstahl ou alors c'est la femme de votre vie et le livre unique ?


Lilian Auzas : (rires) Non, en effet, ce n'est pas simple de quitter ma Leni ! D'ailleurs, je n'en ai pas envie. D'une certaine façon, oui, elle est un peu la femme de ma vie (rire). Mais Riefenstahl ne sera pas pour autant mon unique roman - enfin, si l'avenir me le permet ! - je suis déjà dans le deuxième, et j'ai l'idée d'un troisième... Mais je dois vous dire qu'avant d'écrire ce roman-là j'avais entamé une biographie sur Leni avec des études très poussées sur ses films... J'y travaille toujours et encore ; j'ai l'espoir de la faire publier un jour. Je touche du bois. Leni et moi c'est une longue histoire qui n'est pas prête de se terminer !


Propos recueillis par Loïc DI STEFANO (juillet 2012)


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