Philippe Durant, le plus grand audiarolâtre du monde, revient avec nous sur son "Petit Audiard illustré par l'exemple"

A l'occasion de la parution du Petit Audiard illustré par l'exemple, rencontre avec Philippe Durant, grand audiarophile devant l'éternel, auteur d'une biographie dudit et raconteur hors pair du cinéma français. 




Vous publiez un Audiard dans le texte, en quoi cet agréable petit volume se différencie-t-il d'un précis d'argot ?

Philippe Durant. Même si les mots d’argot y sont, forcément, nombreux, l’intérêt du livre est justement de démontrer qu’Audiard n’était pas du tout confiné à cet univers. Non seulement il était capable d’inventer des mots mais aussi d’en détourner d’autres et d’en dépoussiérer certains. Ce à quoi s’ajoutaient ses nombreuses références dans bien des domaines. Si Audiard s’était contenté de manipuler l’argot, il ne serait sûrement pas devenu le n°1 des dialoguistes français. Son ami Albert Simonin, grand spécialiste de la langue verte, en sut quelque chose car il n’arriva jamais aux mêmes sommets.

Numéro un d'accord, mais certains sont faibles : les Barbouzes par exemple sent un peu le Tonton réchauffé... 

Philippe Durant. Michel Audiard était un fainéant né. Comme tous les fainéants il était capable du meilleur comme du pire. Il lui est arrivé de recycler d'anciennes répliques mais aussi d'aller à une certaine facilité. En plus de cent films, il ne pouvait fournir que des chefs-d’œuvre. Mais dans la masse il y a tellement de pépites qu'il lui sera beaucoup pardonné ! 

Comment avez-vous fait votre choix, dans la masse des mots ? par exemple, « épée » n'y est pas alors que c'est le qualificatif du Mexicain dans les Tontons flingueurs, notamment ?

Philippe Durant. Mes choix se sont effectués en fonction des mots qui m’ont intrigué ou qui, à mon avis, méritaient un semblant d’explication. « Epée », par exemple, est un mot relativement courant, même s’il est exact qu’il est tombé en désuétude. Concrètement j’ai établi de longues listes en me posant à chaque fois la question : ce mot est-il immédiatement compréhensible ou non ? Ce à quoi s’ajoute, bien sûr, une part de mauvaise foi, puisque j’ai inclus des mots qui me font marrer !

Oui, beaucoup de mots marrants, mais on retrouve aussi souvent les mêmes champs lexicaux comme si l'inventivité d'Audiard devait pallier une certaine redondance... 

Philippe Durant. Cela sous-entendrait que Audiard « réfléchissait » à ce qu'il écrivait. Ce n'était pas tout à fait le cas. Il pensait au personnage, à l'acteur et imaginait ce qu'ils allaient dire. Comme il a souvent frayé dans le même monde des truands, on peut croire à une certaine "limite" de son vocabulaire; fait contredit par ses écrits dans Les trois MousquetairesLe Président,Garde à vueOn ne meurt que deux fois et quelques autres. 



En dehors des mots qui sont restés dans le langage et de ceux qu'on devine aisément, il y a pas mal d'expressions datées, comme « chez tonton ». Pas de volonté de faire parler comme Audiard écrivait, alors ? C'est possible, d'ailleurs, de refaire vivre Audiard sans ses interprètes ?

Philippe Durant. Audiard écrivaient rigoureusement pour les acteurs désignés. Si on regarde de près, il n’écrivait pas du tout de la même façon pour Ventura (phrases courtes), pour Gabin (phrases longues), pour Belmondo (phrases à rebondissements) ni pour Blier (phrases alambiquées). Sans ses comédiens, ses dialogues ne sont plus jouables. L’intérêt d’ailleurs quand on lit les extraits c’est que l’on « entend » l’acteur qui l’a prononcé. Double plaisir ! Par ailleurs, pour des expressions datées, il faut se rappeler qu’à l’époque d’Audiard, les films étaient faits pour une consommation immédiate. Il ne pouvait imaginer que cinquante ans après on parlerait encore des Tontons flingueurs. Ce qui est amusant pour « chez Tonton » est que des milliers des spectateurs (dont moi à une certaine époque) ont entendu la réplique, l’ont comprise à moitié mais sans savoir à quoi elle se rapportait vraiment. D’où lePetit Audiard Illustré !

C'est vrai qu'on imagine mal des remakes, tant tout est dans un bel ensemble. Audiard aurait refusé de se laisser réécrire ?

Philippe Durant. On frôle l'hérésie. Audiard ne supportait pas que l'on change un mot ni même que l'on déplace une virgule. Non pas qu'il fût imbu de sa personne (quoiqu'il le fût un tantinet), mais il construisait ses phrases comme un artisan, voire comme un orfèvre. Il savait leur fragilité. Les modifier risquait de les casser. Comme les casserait à coup sûr le fait de les utiliser des années après dans d'autres bouches et dans d'autres films. 

Il y a beaucoup de références culturelles et littéraires, comme « Murger », chez Audiard. C'est directement intelligible ou c'est private joke ?

Philippe Durant. Audiard ne se posait jamais ce genre de question. C’était sa culture à lui, dont il ne faisait jamais étalage. Certes, il s’efforçait de s’adresser au plus grand nombre mais sa devise était plutôt « si ça passe tant mieux, sinon tant pis ». Ses phrases étaient suffisamment bien travaillées pour que chacun en comprenne le sens général. Ceux qui repéraient la référence bénéficiaient d’une sorte de bonus !


Propos recueillis par Loïc Di Stefano 

Philippe Durant, Le Petit Audiard illustré par l'exemple, Nouveau monde, novembre 2011, 14 euros


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