Le « Journal d’un mauvais Français » de Christian Millau

Après le succès du Journal Impoli, le jeune hussard de quelques fois vingt ans est reparti au grand galop. Dans l’irrévérence, l’humour ou la colère, sur fond de campagne présidentielle, Christian Millau bouscule le présent et fait revivre son passé riche de souvenirs inédits, littéraires, politiques ou journalistiques. En un bouquet étincelant se croisent des personnages aussi dissemblables que Nicolas Sarkozy et Céline, Antoine Blondin et DSK ou encore Dodo la Saumure et la vicomtesse de Noailles. Attention c’est un mauvais Français qui mène la danse… à un rythme d’enfer !

 

© Sandrine Roudeix


 — C’est quoi un mauvais Français ?

C’est un Français qui refuse de marcher au clairon du prêt à penser et qui revendique le droit d’avoir raison ou tort tout seul.

 

— Comment est né ce livre ?

Il est né de ma politesse naturelle. Mon éditeur, surpris par l’accueil réservé à mon précédent Journal, m’en a demandé la suite. Sans trop y penser, je lui ai répondu : « Puisque vous y tenez… Je prends mon courage à deux mains et je suis à vous ». Là dessus, la campagne présidentielle s’est mise en route et j’ai pensé que toutes les bêtises qu’on allait bientôt entendre de part et d’autre meubleraient agréablement mon récit.

 

— Quel rythme, on parle de grand galop, c’est souvent un emballement, une passion…

À 83 ans, si on ne galope plus, c’est qu’on est mort.

 

— L’époque vous fait-elle rire ?

Toutes les époques prêtent à rire. Même quand elles sont tragiques. Ma grand-mère Savely, née à Moscou, dont le mari avait disparu au goulag, adorait raconter des blagues. Celle-ci par exemple : sous Staline, à l’époque des grands procès de Moscou où chaque Russe était un coupable potentiel, un homme se rase devant on miroir. Après s’être longuement regardé, il dit : « C’est toi ou c’est moi. »

 

— Vous n’épargnez personne et votre analyse est si juste qu’elle met en valeur les défaillances et les ridicules du politiquement correct (voir affaire DSK).

Aujourd’hui, il y a tellement d’occasions de s’en payer une tranche. J’en ai profité par exemple en donnant une nouvelle version de l’ « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel, ou en me mettant dans la peau de DSK au Sofitel de New York, faisant preuve d’une approche non-citoyenne à l’égard d’une agente de propreté, Black africaine en situation régulière ou bien encore en interrogeant Ségolène Royal sur son « rapport festif au chabichou ». Depuis la disparition de Desproges et de Coluche, nos comiques de scène sont rarement drôles. Heureusement que les politiques sont là pour assurer superbement la relève.

 

— Vous dites tout haut ce que tout le monde pense tout bas, d’ailleurs pour votre ouvrage précédent vous avez reçu le Prix du Livre Incorrect… Est-ce que cela ne veut pas tout dire ?

N’exagérons rien. Il y a pas mal d’hommes et de femmes qui osent dire tout haut ce que beaucoup d’autres pensent tout bas et je me réjouis de leur succès. Je pense notamment à Denis Tillinac, Éric Zemmour, Philippe Tesson, Ivan Rioufol, Élisabeth Lévy, Éric Brunet qui secouent le cocotier alors qu’il y a dix ans, ils n’auraient pas eu accès aux plateaux de télévision et aux studios de radio. La bien-pensance a les coutures qui craquent.

 

— Vous n’avez pas peur des représailles, certains en prennent véritablement pour leur grade, notamment les journalistes…

Que pourraient-ils faire à un retraité de mon âge ? Ne pas parler de mes livres ? Oui, bien sûr, mais vous rendez-vous compte que le Journal Impoli a même eu droit à une critique élogieuse dans le Nouvel Observateur. Cela m’a d’ailleurs encouragé pour leur rentrer encore plus fort dans le chou avec le Journal d’un mauvais Français.

 

— Vous mêlez vos souvenirs personnels, comiques ou émouvants, on ne vous imagine pas trop émouvant, mais il semblerait que vous soyez là où l’on ne vous attende jamais…

C’est un manque de tact que de s’apitoyer sur soi même. Et en plus tout le monde s’en fout. Quand par hasard j’écris quelque chose qui pourrait émouvoir, c’est toujours sur la pointe des pieds.

 

— Votre ami Gérard Collard se présente à l’Académie française, quelques mots sur l’institution…

J’adore Gérard Collard, le libraire de La Griffe noire qui a installé dans sa vitrine à Saint Maur  une cuvette de chiotte où il empile les nanars à succès du genre Guillaume Musso, ou Marc Lévy. Mais en même temps quand il a le béguin pour un livre, il y a va à fond la caisse et je suis bien placé pour en parler, les ventes dressent la tête.

Gerard savait bien qu’il ne serait pas élu à l’Académie française, mais sa candidature dont les médias ont parlé abondamment a eu valeur d’exemple. C’est la première fois qu’un libraire, fou amoureux de la chose écrite, se présentait sous la Coupole.

Mon avis sur l’Académie ? Hélas, elle n’est plus de mon âge. Les vieux y sont devenus tricards. Remarquez, je n’ai rien à regretter. Mes Amis Immortels m’ont dit que la soupe du jeudi (le jour du Dictionnaire) n’est vraiment pas terrible.

 

— Quels sont les écrivains qui vous ont influencé ?

J’aurais bien aimé être influencé par Molière et par Shakespeare, mais ils n’ont jamais rien voulu entendre de la sorte.

Pour le reste, j’appartiens, bien sûr à une famille. À une famille dont aucun membre ne ressemble à l’autre, ce qui met à l’abri de toute influence. Ces bons parents, je les aime voilà tout et ne leur demande rien d’autre que le plaisir de les lire. Je vous ferai grâce de Stendhal, de Joseph Staline et de Marcel Proust, que je tiens pour le plus grand auteur comique du XXe siècle et pour m’en tenir à un passé point trop éloigné, puisque vous voulez des noms, en voici quelques-uns, en vrac : Paul Morand, Céline, Marcel Aymé, Alexandre Vialatte , Félicien Marceau, Jules Renard, Paul Léautaud, Blaise Cendrars, Sacha Guitry, Alfred Capus, Antoine Blondin, Nimier (bien sûr), Albert Simonin, Wodehouse, Saki, Evelyn Waugh, Ronald Firbank et ne pas oublier le formidable humoriste qu’est Bernard Henri Lévy.

 

— Comment écrivez-vous ?

J’écris assis. Je haïssais l’ordinateur jusqu’au jour où mon fils m’ayant traité de « vieux c… », j’ai acheté un iMac. Depuis, j’ai perdu l’usage de l’écriture à la main.

 

— Aujourd’hui, que lisez-vous ? Que pensez-vous des auteurs actuels ?

Je termine le dernier roman d’Alain Gerber, Central. Faites le lire autour de vous. Gerber parle merveilleusement des « gens sans importance ». Ces « gens simples, dont Brasillach disait que “leur existence est d’une complication effrénée“ ».

 

— Votre éditeur devrait offrir votre ouvrage à chacun des candidats… comment pensez-vous que cela serait reçu ? Ont-ils de l’humour à votre avis.

Ils sont suffisamment occupés à relire leurs fadaises.

 

— Bon ou mauvais, avez-vous envie de rester français ?

Si j’avais soixante ans de moins, je me verrais très bien à New York ou à Londres, mais toujours français. Mauvais Français.

 



Propos recueillis par Stéphanie des Horts

 

Christian Millau, Journal d’un mauvais Français, 1er septembre 2011 - 1er avril 2012 Éditions du Rocher, avril 2012, 368 pages 23 €

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