Dix bonnes raisons de ne pas lire Patrick de Friberg

Quand Loïc m’a invité à écrire les dix bonnes raisons de ne pas me lire, je me suis d’abord offusqué, parce que si je pouvais résumer ainsi mon écriture, je serais traité de paresseux. Une première raison, donc, pour ne pas me lire.

Et puis, en pleine nuit, à tenter de lire les trente premières pages du dernier Max Gallo pour guérir mon insomnie, je me suis mis à penser que mon vendeur m’avait recommandé de vider la batterie de mon Mac avant de le charger à nouveau. C'est increvable ces bêtes là... La lumière jaillit, j’avais trouvé une première raison, une importante, mais je ne pouvais me l’attribuer, une maxime presque, un commandement ultime : « préférez écrire plutôt que lire Max Gallo. » La deuxième raison est facile, je vous l’accorde.

Il faut vous dire que je l’ai rencontré un jour, non pas autour d’une discussion littéraire, non, il me faudrait oublier que j’écris pour penser académie, mais autour d’une de ces affaires politiques où les grenouilles enflent pour se faire bœuf, à s’éclater l’ego devant le fonctionnaire esbaudi. J’ai le souvenir vague du grand homme qui se cure les ongles avec un joli Dupont en or et dodeline en répétant « bon, bon, bon », envahi de cette majesté de l’homme de lettres qui vous casse une vocation à l’écriture. Une rencontre comme celle-là devait être prémonitoire, une excellente raison de ne pas me lire : Je n’ai pas cru en cette image de l’écrivain, j’ai continué à poser mes mots dans mes petits carnets secrets, en pensant très fort qu’il n’oserait jamais écrire un thriller… Si fait, il l’a commis cette année, le bougre, j’en ris encore. La troisième raison de ne pas me lire est de penser que j’écris aussi des thrillers…

Et puis, il portait un nom à me forcer à préférer le marteau-piqueur à la plume de casoar, ce « Gallo » si proche de tous ceux que j’avais ratés, à l’école, à l’écurie, au lit. Il cassait le mythe, le fantasme d’écrivain qui, l’épée académique au côté, le menton haut, regarde sa monture, fait craquer ses bottes, la caresse, gourmand, et s’en retourne à pied, laissant flotter derrière lui ce terrible « mon pauvre ami, je ne monte jamais sur la nourriture » à en faire chialer la plus robuste des juments. Cette quatrième raison ne pas me lire est que vous pourriez penser que je voudrais être un homme de lettres. 

Vous me flatteriez alors en vous retournant, juste après avoir saisi mon dernier livre, l’avoir montré au vendeur, caressé la couverture, versé une larme, attendri, avant de le reposer, non de le laisser tomber au sol… Vous partiriez hautain en lui abandonnant ce « Je ne lis que de la littérature, je ne monte jamais sur ce genre de monture, Monsieur. ». Et pan, détournez-vous, je ne raconte que des histoires.

J’avais pourtant tout tenté, vous pouvez me croire, en gagnant quelques sous en négritude. Le polar et le récit, la flatterie égocentrique et la biographie illégale. J’ai même imité ce grand auteur de thriller pour un chèque confortable et la promesse de ne jamais me lire. Je me ferai bien un Gallo, tiens, à coup de Wikipédia et de chèques de recherchistes, mais non, je suis un paresseux, vous disais-je. Avis aux éditeurs, et cinquième raison de ne pas me lire : je ne suis pas un bon plagiaire, mais imite bien, sauf moi, ce serait de l’onanisme littéraire, déjà trop présent dans les bacs des libraires.

J’ai un regret cependant, une autre et sixième bonne raison de ne pas me lire, cette incapacité à écrire correctement une scène érotique sans la basculer dans la description de bruiteurs de films pornographiques, ceux qui se frappent des deux doigts mouillés sur la joue en meuglant, « oui prends-moi fort, j’aime ta grosse… ». Tiens là je reprendrais bien un café, en pensant à ma tête hilare devant cet éditeur qui me demandait d’ajouter une scène de cul entre deux meurtres sordides alors que je pensais à cette histoire qu’on venait de me raconter d’un amant pressé qui à chaque coup de butoir entraînait avec son sexe la chemise de sa partenaire et, imaginez la conséquence mécanique, l’étranglait. Belle transition (je me flatte) pour cette septième raison de ne pas me lire parce que je pratique l’autodérision pour assouvir l’ego démesuré de mon moi créatif, un exercice de démangeaison facial autant qu’abdominal, surtout devant les cons, tous ceux que mon héros récurrent, mon général Carignac (à la retraite !) abomine de son légendaire juron : « Mort au’C », avec un grand « C » de majesté, contre toute la connerie humaine qui le régale de ses bienfaits. 

On est bien à neuf, hein ? Malgré ma mauvaise foi, vous avez encore envie de me lire ? Alors, ne vous fiez pas aux critiques qui décortiquent mes romans, je n’écris que sur cette cicatrice suintante de l’histoire, ce 9 novembre 1989 où quelques milliers de jeunes le joint aux lèvres et pas de fleurs aux fusils - on était à Berlin Est, pas dans la petite maison dans la prairie - ont détruit l’empire le mieux armé de l’histoire humaine. Je n’écris pas sur les barbus et les bombes, les dealers et les viols d’enfants, les crimes et les ripoux. J’écris seulement sur ce facteur humain qui bouscule l’Histoire, souvent par un baiser, quelques fois une bonne blague, souvent… Bon là, stop, j’en ai trop dit, il me faut dormir un peu.

Patrick de Friberg

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