Interview - Gerald Messadié, "L’Impératrice fatale" : Fascinante Tseu-hi

De tous les personnages de pouvoir, Tseu-hi (1835-1908) reste l'un des plus fascinants. Celle qui régna pendant un demi-siècle en maîtresse absolue de la Chine tenta en vain de protéger l'Empire du Milieu contre la sédition et le dépeçage par le Japon et les puissances occidentales. Gerald Messadié raconte cette époque de la Cjine tout en rétablissant la vérité sur cette femme hors du commun.

 


— Pourquoi avoir choisi ce personnage ?

Parce que c’est l’un des plus extraordinaires de l’histoire du monde moderne et qu’il est totalement méconnu de l’Occident. Tseu-hi a régné près d’un demi-siècle, de 1862 à sa mort en 1908, sur le plus vaste pays du monde et elle a vu trois empereurs se succéder. Mais la plus grande partie du public occidental en sait à peine plus que le nom. Sauf les spécialistes, tout ce que le public connaît de la naissance de la Chine moderne se résume à ce qu’il aurait glané dans le film de Bernardo Bertolucci, Le dernier empereur. La Chine est une des deux grandes puissances du monde, elle mérite un peu plus d’intérêt. L’histoire de cette petite beauté mandchoue devenue concubine impériale, puis maîtresse de l’Empire était exemplaire.

 

— Qu’est-ce que Tseu-hi avait d’extraordinaire ?

Une capacité de résistance inouïe : elle a maintenu son pouvoir en dépit de deux séismes d’une ampleur dévastatrice, dont l’Occident ne mesure même pas la portée : la révolte des Taï Ping et celle des Boxeurs. La première, déclenchée par une secte de bouddhistes christianisés, a causé 25 millions de morts, la seconde a failli entraîner la chute de l’État après l’offensive des armées occidentales, France, Allemagne, Russie, Japon, États-Unis, Angleterre, consécutive au siège des légations. Par son sens politique, Tseu-hi a maté les factions d’ultras comme la Bande des Huit et les Chapeaux de Fer, qui voulaient s’emparer du trône. Et cela en dépit du caractère falot de trois empereurs successifs, dont son propre fils.

 

— On la décrit comme un monstre ?

On a raconté sur elle des sottises fulminantes. Il était temps de rétablir la vérité. Elle n’était certes pas pétrie de bonté. Mais le tort le plus grave de Tseu-hi a résidé dans sa xénophobie et sa volonté de fermeture au monde moderne. C’est ce qui a entraîné la chute du système impérial. Mais il est vrai que les Occidentaux s’étaient comportés avec la Chine de manière impardonnable, voire odieuse. Outre l’introduction forcée de l’opium à des fins commerciales, auprès de laquelle les chefs des réseaux de drogue mexicains sont des enfants de chœur, les deux mises à sacs de Pékin et de la Cité Interdite sont des chapitres honteux pour l’Occident.

 

— Est-ce un roman historique, un récit, une biographie ?

Il y a très peu de roman dans ces deux volumes, la vérité était plus riche de romanesque que la cervelle d’un écrivain. Je n’ai eu qu’à mettre les faits en scène, pour ainsi dire.

 

— Qu’est-ce que vous apportez de plus au sujet ?

Je pense, en toute modestie, que c’est la première histoire objective de Tseu-hi et de cette époque de la Chine. Ç’a été un travail de forçat de dépouiller les mensonges propagés jusqu’aujourd’hui par les deux sources principales des ouvrages occidentaux sur le sujet, George Morrison et Edmund Backhouse, le premier un journaliste qui exécrait Tseu-hi pour des raisons obscures, le second un mythomane délirant qui a même essayé de faire croire qu’il avait eu une liaison avec Rimbaud, jusqu’à ce que le consul de Suisse, Hoepli, lui fasse observer que c’était chronologiquement impossible. On trouvera, par exemple, un récit de l’abracadabrante expédition des Alliés vers Pékin que ne rapporte aucune encyclopédie. Les prétendus libérateurs des légations assiégés ont mis 57 jours à franchir une distance qui leur aurait normalement pris trois ou quatre jours à pied ! Un militaire a rapporté plus tard que c’était l’expédition la plus mal foutue jamais sortie d’un cerveau humain. Elle devait être racontée.  

 

— Vos biographies vont souvent à l’encontre de l’histoire officielle, celle qu’on enseigne dans les écoles. Est-ce de la provocation ou la volonté de « coller » à la réalité ?

L’histoire qu’on enseigne dans les écoles et même dans les universités est trop souvent une mythologie pasteurisée et même falsifiée. Il n’y a qu’à voir l’histoire dite officielle de Jeanne d’Arc, qui est truffée d’invraisemblances et d’énigmes. Dès qu’on dit les faits, ça passe pour de la provocation.

 

— Comment jugez-vous la production éditoriale actuelle, les essais, les romans ?

Je me félicite de voir de plus en plus de jeunes éditeurs et

d’auteurs inconnus, qui prennent des risques et publient des manuscrits qui, voici vingt ans, auraient fini à la corbeille. Ça renouvelle le paysage littéraire. J’ai fait beaucoup de découvertes. Il faut relever, en dépit de la crise, l’inflation de romans, qui semble répondre à un besoin du public. Je suis frappé aussi par le caractère autobiographique de bien des « récits » et « romans », qui sont en fait des témoignages. Une partie appréciable des livres de la rentrée semblent être un prolongement de Facebook… Il faudrait qu’un jour un sociologue analyse l’exaltation récente du besoin d’exister publiquement. Dommage que Guy Debord soit parti si tôt… Tout cela appelle un accroissement du nombre des critiques. Ceux qui exercent actuellement ce métier sont débordés. Il est impossible de lire cinquante livres par semaine.   

 

Propos recueillis par Joseph Vebret (septembre 2012)

© Photo : Louis Monier


Gerald Messadié, L’Impératrice fatale, Tome 1, La Fille-Orchidée, L’Archipel, septembre 2012, 363 pages, 21 €


NB - Gerald Messadié contribue au Salon Littéraire.

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