Interview : Olivier Dutaillis revient sur son roman "Le Jour où les chiffres ont disparu"

(c) Albin Michel

A l'occasion de la parution de son roman Le Jour où les chiffres ont disparu, où il est question d'une jeune femme un rien perturbée qui règle ses comptes avec son ancienne prof de math, rencontre avec Olivier Dutaillis, qui va très bien, merci pour lui

- Est-ce d'un souvenir personnel, la notation d'un prof, qu'est née l'idée de ce roman ? Sinon, comment est-elle venue ?



Non, je ne suis pas l'héroïne ! Je n'ai pas été traumatisé par les maths au cours de ma scolarité. C'est plutôt né d'une gageure : partir d'une abstraction – les chiffres, ou plutôt les relations intimes que nous entretenons avec les chiffres – et en faire une histoire de chair et d'os, de pulsions, de sentiments… Une histoire très incarnée. Un roman qui n'a rien d'abstrait. Bien évidemment cela touche des thèmes auxquels je suis sensible : la place de l'intuitif et du rationnel, la normalité et la folie, la restriction des libertés dans un monde où il suffit de croiser quelques numéros pour avoir tant d'infos sur nous, etc

- Votre roman progresse comme une enquête policière. Pourquoi choisir ce genre ?



C'est une enquête. Elle n'est pas menée par un policier mais par un psychiatre qui veut sortir sa patiente des griffes de la police. En même temps, cette patiente lui échappe. Elle est incontrôlable, parfois dangereuse. Elle le déstabilise, le fascine… C'est l'histoire d'un enquêteur qui perd pied. Il ne sait pas où elle va l'entraîner. On avance par glissements progressifs… C'est comme une enquête policière, avec plus de psychologie et moins d'hémoglobine, qui nous entraîne dans le monde de la psychiatrie mais plus du côté des soignants que des patients. 

- Si je vous dis "merci, votre roman venge le littéraire de l'humiliation des maths" ?



Je vous répondrai : c'est Anna qu'il faut remercier !…  Elle est très engagée, en effet, au-delà de son cas individuel, pour venger les victimes des chiffres ! C'est un chef de guerre, une meneuse, aussi généreuse que déjantée ! 

- Si le médecin ne l'avait pas stigmatisé comme "mathématophobe", votre personnage Anna aurait pu continuer sa vie "normalement" ? N'est-ce pas le symptôme qui crée la source du trouble lui-même ? En d'autres termes, Anna est-elle folle ?



Vous avez raison. En lui révélant qu'elle est mathématopathe, il a eu un effet déclencheur malgré lui. A la suite de leur rencontre, elle s'est sentie autorisée à délirer. On est au tout début du roman. Il ne comprend pas ce qu'il a enclenché. Il ne sait pas jusqu'où ça va le mener. Il se sent coupable… C'est elle qui mène le bal !… Elle avait sans doute une pathologie qui préexistait mais sans leur rencontre, elle ne l'aurait peut-être pas exprimée. 

- Vous opposez deux médecins, deux façons de concevoir la relation aux malades. Vous avez un problème à régler avec l'institution psychiatrique ?



Il y a sans doute des aspects de ma personnalité de nature à intéresser des psychiatres… Personnellement, je me soigne par l'écriture. 
Ce roman n'est pas l'histoire d'un cas psychiatrique, c'est d'abord l'histoire d'une femme créative, volontaire, drôle, amoureuse aussi, qui a de belles ambitions et qui n'a besoin de personne pour se soigner ! C'est une force de vie qui a un effet de révélateur sur son entourage. Une folle ou une visionnaire ? 

Propos recueillis par Loïc Di Stefano
septembre 2012

Lire en complément 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.