Interview : Saphia Azzeddine. "Le diable est dans le détail"


Pourquoi avoir choisi de disséquer une famille très fortunée  dans Combien veux-tu m’épouser ?

Ma phrase favorite est : « Le diable est dans le détail ». J’adore observer, je trouve jubilatoire de regarder chez les voisins mais sans aucun côté graveleux. Je déteste la télé-réalité qui n’est pour moi que du voyeurisme. J’ai situé mon roman dans une famille richissime peut-être pour me différencier de mes précédents livres dans lesquels je parlais au contraire de milieux très simples.

Je connais  bien cette société car si j’ai moi même grandi dans une famille modeste, j’accompagnais ma mère qui était couturière procéder à des essayages dans des hôtels somptueux. J’ai donc côtoyé cet environnement très tôt et ai beaucoup observé ces filles de rois ou de princes. J’ai remarqué par exemple qu’au lieu de se déshabiller et de plier leurs vêtements sur une chaise, ces femmes s’effeuillaient tout au long des pièces de l’appartement. J’ai repris ce geste pour Tatiana mon héroïne qui en effet ne plie jamais rien, ne range pas, sûre que quelqu’un va le faire pour elle. De même en voiture, elle va se garer n’importe où alors qu’un pauvre aura peur d’une contravention ou de voir sa voiture emmenée à la fourrière. J’ai remarqué cette insouciance très jolie. C’est pareil pour les vêtements, ces femmes portent, des étoffes très douces, du cachemire et non de l’acrylique qui gratte. Ce livre est né de l’observation des  us et coutumes des gens riches que je ne juge ni ne critique.

 

Mais de quelle idée, de quel fait plus précis êtes-vous partie ? Avez-vous beaucoup enquêté ?

Mon point de départ a été le mal être  de ces épouses de quarante ans qui n’ont qu’une obsession : garder leur mari à tout prix. De ces femmes qui ayant eu un potentiel a vingt se sont laisser aller à la facilité, ont cru au Prince charmant. Elles se croient modernes mais sont captives. A vingt ans, le rêve c’est le mariage, puis la décoration de l’appartement,  les enfants. Elles se réveillent à quarante ans complètement vides, angoissées par l’avenir. Elles auraient pu être actives, être indépendantes mais le quotidien les a happées. Combien de jeunes veulent bosser dans la mode ou fabriquer des bijoux, rester en fait dans le loisir, ne pas rentrer en fait dans la vraie vie active ? Quand j’ai parlé à ma grand mère qui vit au Maroc, du métier de « comparatrice d’hôtels de luxe » qu’exerce un de mes personnages, elle n’a pas compris en quoi cela consistait !

J’ai donc voulu parler du problème de ces femmes qui se croient émancipées alors qu’elles sont exactement le contraire.  Je préfère cent fois quelqu’un qui me dit : « je suis assistée et je l’assume, je n’ai pas envie d’avoir de responsabilités » que celle qui se plaint de son âge, de son mari et ne bouge pas. Ce qui est le cas de mes héroïnes qui auraient les moyens intellectuels et financiers de devenir libres mais préfèrent se marier le plus classiquement du monde et à trente ans sont déjà accros au Botox.

J’ai aussi souhaité pointer du doigt  l’énorme pouvoir de la transmission, de ces mères qui devraient apprendre à leurs filles  l’indépendance et au final les laissent faire la pute, être entretenues comme elles le font elles-mêmes.

 

Humour et causticité sont dans ce roman vos marques de fabrique. Le père est très lucide quant aux capacités de ses filles, les relations ne sont que des rapports d’argent. Personne ne s’en sort ?

Le père est en effet le seul à connaître la valeur et les désirs de ses filles qui comme les autres personnages ne se définissent que par l’argent. Le père flatte ses filles qui elles-mêmes sont aux petits soins pour lui car elles savent très bien qui détient les cordons de la  bourse. Elles évoluent dans un environnement dans lequel on laisse des listes d’anniversaires dans les grands magasins, où les mères lors des anniversaires d’enfants notent sur un cahier qui a offert quoi à son rejeton. C’est  ça je pense la vraie vulgarité.

En ce qui me concerne, je déteste fêter les anniversaires, je n’ai aucun réseau, je ne supporte pas le copinage, les dîners en ville. J’ai refusé il y a quelques années la présentation d’une émission à la télévision.  Ma vie rêvée, c’est de garder ma liberté de parole, mon intégrité, mon indépendance. Le contraire de ce que vivent mes héros.
Je crois que seuls deux de mes personnages s’en sortent dans mon livre, mais après quel cataclysme !

 

Les vrais sujets du roman ne sont-ils pas  le mensonge et le non-dit, le risque qu’il y a à sortir de sa condition ?

Le risque n’est pas tant celui de sortir de sa condition qu’un problème de code. Tout dépend de la façon dont on s’envisage. Philip veut intégrer la bonne société qu’il a vue enfant, de la fenêtre de la loge de concierge de ses parents. Il n’a pas honte de l’éducation qu’il a reçue, il l’apprécie même mais il n’a pas tous les codes même s’il s’est obligé à les apprendre.

Il faudrait n’avoir honte de rien, toujours regarder les gens dans les yeux or il a honte de sa famille, il ne l’assume pas.

Peut-être est-il aussi conscient du fait  que Tatiana serait incapable de le comprendre. Il ne ment pas sur sa condition, il n’en parle pas.

Elle rêve d’un mariage de contes de fées et au dernier moment, la belle machinerie qui lui a pris un an et couté des fortunes se grippe à cause d’un tout petit grain de sable, d’un problème d’amour propre.

Au final c’est peut être cet imprévu qui va transformer leur mariage de passion en mariage de raison et la faire devenir responsable avec lui.

 

Propos recueillis par Brigit Bontour (27 juillet 2013)

Photo : © CAPMAN/SIPA


> Lire aussi la critique de Combien veux-tu m'épouser ?

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1 commentaire

astapor

Cette femme est une vraie découverte pour moi. 

Quel soulagement de lire des paroles pleines de lucidité et de courage.