Entretien avec Samantha Bailly, côté pile et côté face

A l'occasion de la parution de son premier thriller, A pile ou face (Rageot thriller), Samantha Bailly, reçoit le Salon littéraire.


Comment vous est venue cette idée de faire subir à la pauvre Emma l'aventure traumatisante que vous lui avez écrit ?

Honnêtement, je trouve qu'Emma s'en sort plutôt bien (rires). Je peux être beaucoup plus dure avec mes personnages, comme peuvent en témoigner les lecteurs d'Oraisons...
Le défi dans l'écriture de ce roman chez Rageot, c'était d'embrasser la ligne éditoriale de la collection : thriller et jeunesse. Il faut que les personnages soient en danger, mais compte tenu du public on ne peut pas tomber dans des extrêmes de violence à la Dexter ou Walking Dead

J'avais à la base l'idée de mettre le Yi-King au cœur de la disparition d'une adolescente. C'est ainsi que j'ai commencé à construire la mythologie de Mantis, inspirée de deux entités réelles. La première, une société qui donne des prédictions à des entreprises sur les différentes tendances du marché, en épluchant tous les flux d'informations qui circulent et en créant des statistiques. La seconde, le projet controversé Stargate de la CIA, qui a développé des protocoles scientifiques pour mettre à l'épreuve les personnes prétendant être clairvoyantes. 

Je trouvais intéressant d'écrire un roman qui ne se positionne pas dans le surnaturel outrancier. J'ai toujours un peu de mal avec la bande d'adolescents ayant des pouvoirs et sauvant le monde. C'est très efficace, mais je préfère des ambiances plus psychologiques. Finalement, la menace dans À pile ou face vient autant des événements extérieurs que de l'intériorité d'Emma.


Vous truffez votre roman d'allusions à l'univers du manga. C'est votre univers propre ou c'est pour impliquer votre lecteur ?

 

Je suis clairement issue de la génération des années 90. J’ai grandi avec les Minikeums après l’école, les Pokémon, et de très nombreux jeux vidéo, notamment des jeux de rôle japonais tels que Final Fantasy. C’est par ce biais que j’ai découvert la fiction, que je me suis mise à lire et écrire, puis à basculer vers les classiques en Lettres Modernes.

 

Pour me rendre souvent dans les établissements scolaires et dédicacer dans des conventions telles que Japan Expo, je sais que les générations actuelles sont très influencées par la culture manga et vidéoludique. Je trouve ça formidable, car peu importe les médiums, toutes ces histoires permettent de construire des ponts avec des procédés narratifs très divers.

 

J’aime glisser certaines allusions à ces univers que j’ai en commun avec les collégiens ou lycéens actuels. C’est une façon de partager ce que j’aime, mais aussi de créer une résonance, de montrer qu’un livre n’est pas si éloigné de leur réalité quotidienne.

 

Comment avez-vous découvert le Yi king, livre ancestral chinois qui est au coeur de votre intrigue ? Et l'interrogez-vous parfois ?

 

J'ai découvert Le Livre des Mutations durant mon Master en Littérature Comparée, lors de la rédaction de mon mémoire sur "Les représentations de la mort dans Peter PanL'histoire sans fin et À la croisée des mondes". En épluchant divers ouvrages théoriques sur À la croisée des mondes, j'ai appris que l'Aléthiomètre de Lyra avait été inspiré par ce manuel chinois. Je me souviens avoir lu et relu ce passage sur les liens entre le Yi-King et Pullman, puis j'ai poursuivi ma rédaction.

 

Ensuite, au cours des années suivantes, j'ai retrouvé plusieurs fois des allusions à cet ouvrage. Je l'ai alors étudié et je me suis en parallèle inscrite à un séminaire sur Jung, Freud et Lacan en rapport avec la pensée chinoise. Une façon d'observer et de comprendre une culture différente sous le prisme de la psychanalyse, mais aussi d'aborder Jung, bien connu pour ses théories de l'inconscient collectif et de la synchronicité, et qui a beaucoup utilisé le Yi-King.

 

Tout d’abord, j’ai beaucoup interrogé le Yi-King afin de me glisser dans la peau d’Emma. Il m’arrive encore de l’utiliser. Contrairement à mon personnage, je n’attends pas une réponse d’une force supérieure. L'aspect divinatoire n'est pas le plus important du Livre des Mutations. Il s'agit plutôt d'une sorte d'amas de réflexions et de maximes sur l'existence. C'est la proposition d'une carte du monde qui tente de rendre compte de la nature, de ses changements, mais aussi des êtres humains et de leurs relations. À mon humble avis, il est plus intéressant de voir le Yi-King comme un support permettant de faire jaillir des réflexions.

 

Vous croyez aux coïncidences ?

 

Honnêtement, je ne sais pas si je crois au chaos ou bien à une trame tissée à notre insu. N’est-ce pas la délicieuse ambiguïté de la vie ? Mon côté pragmatique me fait dire qu’en tant qu’êtres humains, nous cherchons à tout prix du sens dans tout ce qui nous entoure. Après tout, croiser quelqu’un dans le métro alors que l’on pense à cette personne, cela peut être le fruit d’un hasard mathématique. Mais avouons qu’en tant qu’individu, nous pourrons facilement y projeter quelque chose.

 

La physique quantique est une façon de relier le rationalisme scientifique à une forme de mystère. Les travaux de Wolfang Pauli sur les rapports entre la matière et la psyché vont dans ce sens.

 

Au fond, entre hasard et synchronicité, je ne saurais trancher. Une seule chose est sûre : un roman, c’est la création d’un système dans lequel les événements sont structurés, se font écho… et ont du sens. Et c’est d’ailleurs souvent ce que cherche un lecteur : qu’on lui raconte une histoire qui s’achève sur un parti pris, une réponse claire. Ceci explique pourquoi certaines personnes sont très frustrées lorsqu’on leur donne plusieurs pistes, sans pour autant leur pointer du doigt un chemin. La fiction doit-elle être le reflet du réel, ou bien compenser ce qu’il ne peut offrir ? La question est ouverte.

 

Verra-t-on Emma, à laquelle on s'est attachée, dans d'autres aventures, un peu à la manière de Lana Blum, le personnage de Fabien Clavel ?

Pour le moment, ce n'est pas au programme, mais rien n'est à exclure.


Propos recueillis par Loïc Di Stefano


En complément, lire l'article consacré à A pile ou Face et les Dix bonnes raisons de ne pas le lire.

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