Le cracheur de mots, entretien avec Louis Savary

Les livres de Savary sont du temps par le mouvement qu’ils induisent en leur effet de répétition ou plutôt de reprise. Leur schéma repose toujours sur le même principe : 100 pages déclinées en versets d’une longueur presque invariable. D’un livre à l’autre, chaque titre en appelle un autre. L’ensemble compose un corpus où la réflexion esthétique (sur tous les genres) se lie à la méditation existentielle. Elle double le réel, dialogue  avec la philosophie, mais jamais sur le thème ennuyeusement platonicien de la vérité.

Ce corpus fut longtemps empreint de faconde drolatique. L’auteur cultivait les double sens. Il y met un frein afin de ne pas émousser « le potentiel / du double tranchant ». En avançant la poésie devient plus grave. Et sans la femme aimée chaque livre se transformerait en celui de la solitude dans l’espace où les vers épars baignent avec, pour seul mirage, le temps.

Savary crée une tension critique entre union et séparation avec ça et là de souriantes exceptions. Elles poussent parfois à se demander si ce sourire ne serait pas celui de Méphisto… Mais plus généralement le poète belge retrouve les mots les plus simples « qui ne se laissent pas mettre en cage ». Ces mots sont ceux de rage discrète d’une « hémorragie première ». Ils ponctuent le silence d'une collision, le silence d'une embrasure sans sa porte, le silence de deux mains posées à plat sur une table, le silence de la tendresse qui ne se courtise plus parce que le sujet de la tendresse n'a plus rien de commun avec qui que ce soit si ce n’est par celle qui permet au poème de se poursuivre (voir ci-dessous).

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Louis Savary,  « cracheur de mots », Les Presses Littéraires, Saint-Estève, 100 pages, 15 Euros.

 Entretien avec Louis Savary - du moins celui qu’on ne voit pas.

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Le coq anglais qui fait le fier sur le fumier de mes nuits blanches…

Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Ils ont grandi tout seuls dans un coin égaré de ma mémoire.

A quoi avez-vous renoncé ? A rien, excepté tout le reste…

D’où venez-vous ? De la douleur de ma mère et d’un maladroit des forceps…

Qu'avez-vous reçu en dot ? L’amour de mon aimée…

Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? Tout le reste… Mise à part la femme de ma vie…e.

Un petit plaisir - quotidien ou non ? Améliorer ( si faire se peut ) une recette de mon père (boucher-charcutier )…

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? Rien !  Si ce n’est moi…

Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpela ? Un autoportrait de van Gogh. A cause de mon grand-père qui parlait souvent du « grand hirsute », le pasteur hollandais venu évangéliser les mineurs du Borinage. Parce que son sabotier de père habitait en face du boulanger où Van Gogh avait été  accueilli… Mon grand-père Jules qui n’arrêtait pas de m’évoquer l’aspect miséreux de ce personnage qui l’avait fasciné.

Où travaillez-vous et comment ? Dans mon bureau, dans mon jardin, en dormant dans mon lit, dans un avion de nuit,  dans une salle d’attente, sur un lit d’hôpital…

Quelles musiques écoutez-vous ? Aucune. Le bruit me perturbe surtout quand il s’accommode de paroles aussi intelligentes soient-elles…

Quel est le livre que vous aimez relire ? Je n’ai jamais relu un livre. Exceptés ceux des pièces que je jouais avec le KLOAK GROUP THEATRE. Pour apprendre mes rôles à l’époque où je pratiquais le théâtre d’avant-garde. Arrabal et compagnie…

Quel film vous fait pleurer ? Je pleure bêtement à n’importe quel film. Et cela m’agace ! Mais j’ai pris rendez-vous avec un lacrymologue…

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? Celui que les autres ne voient pas.

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? A moi-même. De peur de sombrer dans l’autopamphlure…

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? Tous ceux que j’ai quittés à regret… A vrai dire aucun…

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ? Ceux qui ont une odeur particulière et dont mon odorat se satisfait. Mais comme j’ai la narine subtile… Cela doit bien sûr rester entre nous…

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Un bon pour une dernière décade à écrire des livres dont vous rédigeriez les recensions…

Que défendez-vous ? Tout ce qui ma toujours été défendu ! Même si souvent j’ai pris beaucoup de liberté avec les interdits…

 Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"?  Voilà un aphorisme intéressant. Je trouve ce Lacan très pertinent car moi aussi cela m’arrange bien que les gens qui me fréquentent n’aient aucune envie de recevoir ce que je n’ai pas à leur donner.

 Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?"  Je pense que je lui répondrais «  Mon cher Woody, je n’ai aucune envie de vous répéter la question car,  bien évidemment, Je m’attendais à votre réponse… »

Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret, octobre 2013

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