Interview. Nicolas Bedos : médiatique oui, mais littéraire


Dramaturge, metteur en scène, comédien, scénariste, Nicolas Bedos s’est fait remarquer par sa chronique télévisée culte « La semaine mythomane » dans l’émission de Franz-Olivier Giesbert, Semaine critique. Il a écrit entre autres Sortie de Scène, nominée aux Molières de la meilleure pièce de création 2005 et des films dont Amour et Turbulences (rôle principal) sorti en avril 2013. Est paru en 2011 chez Laffont Journal d’un mythomane vol.1 puis, en 2012, Une année particulière – Journal d’un mythomane vol.2, deux best-sellers. La tête ailleurs, son premier récit, est sorti le 31 octobre. On retrouvera Nicolas Bedos au cinéma au côté de Bruno Putzulu dans L’art de la fugue de Brice Cauvin. Nicolas est caustique, incisif, ironique, déclencheur de polémique, mais avant tout brillant. Il annonce se dévoiler davantage et moins se réfugier derrière son personnage, voyons-cela…

 

 

Vous avez signé à 12 ans votre premier scénario, l’histoire d’un incompris miné par la vulgarité du monde… C’est précoce !  Comment expliquez-vous ce besoin d’écrire, aussi jeune ? Et le sujet !

Dès l’enfance, il m’a fallu m’exprimer, attirer l’attention de mes proches, de ma famille, de mes petites copines de classe. Sans doute afin de compenser de piètres résultats scolaires. Ce fut d’abord le dessin, puis le piano, et enfin l’écriture. Je n’ai pas cessé depuis. Mon premier scénario, que j’ai relu quelques années plus tard, était épouvantable. Ce n’était qu’un lourd prétexte pour raconter à mes proches à quel point je me sentais différent des gamins de ma génération. Mais je ne maîtrisais aucune technique narrative, et mes dialogues étaient très démonstratifs. Mes premiers écrits n’avaient qu’une fonction : me permettre de dire « regardez, j’écris ». Une posture adolescente. Certains fument des joints ou exhibent leurs baskets à la mode, moi je me baladais avec Madame Bovary sous le bras et mes premiers manuscrits. Il m’a fallu quelques années avant d’avoir quelque chose à « dire ».

 

Vous avez accepté d’écrire pour Marianne, parce qu’on vous avait promis la Liberté, « sans laquelle il n’y a pas d’art » rapporte Régis Jauffret qui a signé la préface de Journal d’un mythomane Vol 1. En quel(s) auteur(s) vous retrouvez-vous ?

Regis Jauffret, par exemple, qui sait de quoi il parle ! Il est l’un des écrivains français les plus revigorants, les plus ambitieux sur le fond comme sur la forme. Il y a une folie, un humour, une sincérité et une  +singularité dans ce qu’il crée qui agit sur moi comme de la caféine littéraire. Le lire me donne envie d’écrire.

En ce qui me concerne, j’ai commencé à écrire des petits modules pour canal+, puis des scénarii pour la télévision. A cette époque, qui dure jusqu’à mes 28 ou 29 ans, je me sens libre de rien. Des dizaines de gens (producteurs, conseillers éditoriaux, directeurs des programmes) m’imposent leur point de vue sur tout ce que je propose. Ces relectures successives, en plus de me faire perdre de vue mes intentions premières, alourdissent mon propos et mon style. Je ne faisais rien de fameux. C’est quand on a cessé de me corriger que j’ai commencé à trouver mon ton. Du coup, depuis je fonctionne comme un traumatisé : en fuyant tout ce qui me ramène à cette époque stérile. Aujourd’hui, la liberté qu’on veut bien m’accorder m’est bien plus précieuse que l’argent qu’on me propose. J’ai refusé d’indécentes propositions au profit d’un espace de liberté absolue. C’est ainsi que je me suis retrouvé chez Giesbert, à 1h du matin, plutôt que dans une émission de Canal+ le week-end. C’est ainsi que j’ai accepté une page dans Marianne plutôt que dans un célèbre quotidien. Pareil pour le cinéma. Quand je rencontre un producteur, ma première question n’est pas : « Vous me proposez combien ? », mais : « Êtes-vous prêt à me laisser le champ libre ? » J’ai accepté de revenir faire quelques prestations chez Ruquier car lui et Catherine Barma (la productrice de On n’est pas couché) m’ont dit : « On ne lira pas tes textes avant et on ne coupera rien au montage. » En échange de cette liberté, j’ai même insisté pour le faire gratuitement (ce que je regrette un peu depuis !!! rires)

 

Pour votre premier livre, votre éditrice vous a suggéré de rajouter un commentaire à vos chroniques, en précisant : « ce sera pas long, vu que tu écris comme tu pisses ». En effet, on croit deviner chez vous une grande facilité à poser les mots. N’est-ce là qu’une illusion ?

C’est vrai et c’est faux. J’ai la chance de disposer d’une grande capacité de travail. Ce qui me permet d’écrire plusieurs heures d’affilés, donc relativement vite, dans des genres très différents. Mais, plus les années passent, plus je retravaille ensuite la moindre parcelle de chaque phrase. L’exécution du premier jet est souvent rapide, mais le vrai travail commence ensuite. Pour chaque chronique hebdomadaire dans Elle, par exemple, je travaille souvent toute une journée. 1h pour le premier jet, puis 5h ou 6h (voir davantage) de restructuration du texte, de fignolage de chaque formule ou dialogues. Mais je ne suis pas le seul : tous les écrivains que j’admire sont très besogneux. Ce n’est pas le tout d’avoir un petit don pour les « bonnes formules », encore faut-il leur fabriquer un écrin respectueux.

 

Vous avez dit vouloir privilégier l’écriture pour les autres ; vous exprimer à travers eux. Pourquoi ne pas être le fil conducteur de vos émotions ?

J’ai dû dire cela à l’époque où j’écrivais essentiellement des pièces de théâtre et des dialogues de téléfilm pour les autres, depuis j’ai pris goût à l’interprétation de mes propres écrits. A tort ou à raison. L’interprétation est devenue pour moi la suite logique de l’écriture, le dernier maillon de la chaîne de travail. J’invente, puis je transmets. Je connais forcément le rythme de mes phrases, l’intonation d’une de mes vannes. Ceci dit, j’étais à Bruxelles l’autre soir pour assister à la représentation de l’une de mes pièces (Promenade de santé) qui- par bonheur- cartonne en Belgique, j’étais dans la salle, en simple spectateur de deux merveilleux comédiens : et bien c’était jouissif de retourner dans l’ombre et de les regarder faire tout le boulot à ma place !

 

Est-ce vrai que l’écriture vous évite de perdre la raison ?

Pour être plus concret, l’écriture me sert de garde-fou, sinon de rabat-joie ! La masse de travail que je dois fournir chaque semaine m’oblige à une vie relativement saine. Je ne peux plus m’adonner aux excès, du moins plus comme lorsque j’avais 20 ans et que je sortais la nuit en me prenant pour un poète romantique. Le cerveau est une machine très fragile. Pour qu’il marche, il vaut mieux en prendre soin. J’en prends soin. Les conséquences de cette hygiène sur ma vie privée ne sont pas négligeables non plus !

 

Pensez-vous réussir tout au long de votre carrière à éviter ce 1er degré, dont vous dites qu’il vous fait si peur ?

Mon nouveau livre, La tête ailleurs, use beaucoup moins de l’ironie. C’est un livre quasiment dépourvu de mensonges. J’y décris les débuts et la fin d’une histoire d’amour. Evidemment, je n’abandonne pas le recul humoristique (notamment sur l’actualité politique) et je continue à me moquer de moi-même et des autres, mais le changement reste assez radical par rapport à mes deux premiers livres. Le 1er degré me fait peur car il oblige des « amuseurs » à se prendre très au sérieux, à tenir un discours un peu académique sur la politique, ce qui n’est pas toujours dans leurs compétences ! Mais quand il s’agit de ma petite vie personnelle, vous remarquerez que, dans ce dernier livre, je ne recule pas devant la transparence.

 

Quand un monologue sur scène ?

J’y pense depuis des années. L’exercice, bien que très excitant, me fait très peur. Lorsque l’excitation prendra l’avantage sur le trac et les scrupules familiaux, j’irai.

 

Je ne reprendrais pas ici ce que vous dîtes sur Amélie Nothomb, mais qui aimez-vous de nos écrivains contemporains ?

Beaucoup. Dans des genres très différents. J’aime aussi bien la littérature américaine – globalement narrative et psychologique- comme celle de Jay McInerney ou Philip Roth- que les romans minimalistes, plus poétiques, comme ceux de Jean-Philippe Toussaint ou Jean Echenoz. Je lis beaucoup, et des œuvres très variées. Faire la liste de ce qui m’a enchanté cette année ne représenterait aucun intérêt puisque mes goûts se baladent sur plusieurs continuent et vont des recueils de nouvelles japonaises aux polars scandinaves !

 

Après une chronique sur David Foenkinos, vous avez fait son portrait. Un très beau portrait. En peinture. Parlez-nous de votre passion pour la peinture. Et de votre amitié avec ce brillant auteur !

David est comme un frère. Nous nous sommes connus bien avant de rencontrer quelques succès. Nous étions, au contraire, dans une période de doute. Les romans de David ne se vendaient pas très bien. Personnes ne voulaient plus jouer ou monter mes pièces de théâtre. Nous étions menacés par une certaine amertume. Puis le succès nous ait tombé dessus, lui avec son délicieux roman La délicatesse et moi, plus modestement, avec une pièce jouée par Mélanie Laurent au sommet de sa gloire. Je me souviens qu’un soir, chez lui, devant une bouteille de vin, nous avions eu si peur de devoir changer de métier (ou du moins de nous concentrer sur des travaux d’écriture plus alimentaires) et nous étions si heureux de voir la chance nous sourire que nous nous sommes levés pour nous féliciter l’un l’autre, on s’est pris dans nos bras, et on avait les larmes aux yeux. Comme deux gosses terrorisés à l’idée de louper le bac de leur vie et qui découvrent, en nage, qu’ils ont eu la moyenne !

 

Vous aviez offert à Alessandra Sublet dans l’émission C à vous, trois livres : Philip Roth, Francis Scott Fitzgerald et Chuck Palahniuk. Quels étaient-ils et que vous ont-ils apporté hormis l’envie d’écrire ?

Dans La fêlure, Fitzgerald raconte sa dépression et ses problèmes d’alcool avec une intelligence et une honnêteté bouleversante. Comme Roth, il dilue ce qu’on nomme vulgairement l’autofiction dans des œuvres à la portée universelle. La plupart des écrivains que j’aime parlent assez complaisamment de leur propre existence, mais avec un talent tel qu’il me parle de la mienne, de la votre. Grâce à Dieu, des auteurs comme Christine Angot ou Frédéric Beigbeder n’ont pas le monopole de l’autofiction. Les poèmes de Victor Hugo qui constituent Les contemplations sont aussi de l’autofiction ! La question du vrai ou du fictif n’a que peu d’intérêt. Ce qui compte, pour moi, c’est le style, la profondeur, bref, le talent.

 

On vous imagine boulimique de livres. Quel a été votre premier souvenir de lecture ? Et le dernier ?

Mon premier choc fut assez cliché romantique : La confession d’un enfant du siècle, de Musset. Je l’ai lu 3 ou 4 fois. Je souriais, je pleurais, je m’identifiais totalement au narrateur. Il était dans mon cœur et dans mon esprit. Par la suite, son théâtre m’a charmé également, ce qui n’est plus trop le cas. Adolescent, j’ai de grands souvenirs avec les romans de Françoise Sagan. De la littérature assez sentimentale, finalement. Ce n’est pas un hasard si mes scénarii et mes pièces le sont souvent. Mon cynisme, dont on parle beaucoup, n’est qu’un romantisme déçu. La notion d’absolu, par exemple, l’obsession du suicide, l’amour éternel, toutes ces fadaises parfument encore la plupart de mes textes !

 

Quel est l’auteur dont vous avez l’intégral de l’œuvre ? Et le contemporain pour lequel vous ne manquez pas une rentrée littéraire ?

Je possède et j’ai lu tout Maupassant. Tout Somerset Maugham (l’auteur pour dames). Tout Chekov, Musset, Sagan, Gary, Fizgerald, Pinter, Salinger, Patrick Besson, Modiano. En répondant à votre question, je me rends compte qu’une fois de plus ça va un peu dans tous les sens. Tant mieux !

Je ne pense pas avoir lu l’ensemble d’une œuvre contemporaine, bien que Besson et Modiano soient encore mes contemporains ! A chaque rentrée littéraire, je fais comme beaucoup de touristes littéraires : je pioche un livre au hasard. Ce fut Houellebecq l’an dernier (c’est dire comme je suis à la page !), j’ai lu plusieurs livres de Carrère et La théorie de l’information d’Aurélien Béranger. Il y a, pour le coup, un point commun stylistique, quasi-conceptuel, entre les 3 que je viens de citer : une écriture sans afféterie, limite plate, du moins essentiellement informative, des récits assez cruels et au plus près de la réalité. Houellebecq est l’un des auteurs les plus sarcastiques de notre génération. Je n’aime pas le monde qu’il décrit, comme je n’aime pas non plus ce qui se dégage du personnage, mais c’est peut-être celui qui le décrit le mieux. Un style glacé pour un univers glaçant. C’est à mon sens l’une des formes qui convenaient pour rendre aussi nettement l’absence de fond.

 

Quel est le livre qui pourrait vous apporter un plus grand plaisir que celui de trouver vos mots ?

Toute ma bibliothèque semble me rappeler à davantage de modestie. Si je la regardais plus souvent, je n’écrirais rien. Rien.

 

Qu’est-ce que la littérature vous apporte ?

La littérature m’a appris mon métier. Ce n’est pas rien. Elle m’a fait gagner un temps considérable dans la vie aussi. Les livres sont des concentrés d’expériences, de sensibilité et d’intelligence. S’en priver serait d’une bêtise confondante. Rien n’est plus enrichissant qu’un livre. Car il contient le monde et une nouvelle façon de l’observer. Lorsque je suis dans un dîner « mondain », c’est à dire sans enjeu affectif, ce qui m’arrive assez rarement, je me dis : « C’est sympa, mais ça ne vaut pas une heure avec Kundera. »

 

Avez-vous déjà trouvé l’inspiration dans un roman ? Si oui lequel ?

Il y a des romans, qui par contraste, me donnent des idées. Houellebecq, par exemple, dont le style et l’approche sont à des années lumière de moi, m’a soufflé quelques idées. Dostoïevski également. Au théâtre, il m’arrive même d’aller sciemment voir une mauvaise pièce, car je sais que je vais avoir envie d’aborder ou de développer un sujet assez proche, mais à ma manière. Avec ma musique, mes personnages, mon expérience.

 

Vous sentez-vous faire partie de ce que l’on appelle : le monde littéraire ?

Oui et non. Beaucoup d’écrivains que j’admire me font l’honneur de me lire et d’estimer certains de mes textes, y compris des petites chroniques publiées dans la presse. Ce qui me surprend toujours. Un jour, Fabrice Luchini, qui s’y connaît vaguement en « grantécrivains » (rires) m’a dit : « Je pourrais lire quelques-uns de tes textes sans rougir, il y a du Philippe Muray dans tes dernières nouvelles. » C’était sans doute pour me faire plaisir, mais ça m’a encouragé. Je ne sais pas si je fais partie du « milieu » littéraire car je brouille bien trop les pistes en variant autant les formes d’écriture, mais ma passion pour les mots, la structure grammaticale, le rythme des dialogues, bref, toute cette petite cuisine ne passe pas inaperçue auprès de certains « collègues ». C’est assez émouvant de découvrir qu’on ne bosse pas dans le vide. Un peu comme dans une classe, les bosseurs et les passionnés se reconnaissent entre eux.

 

Le vol 1 du Journal d’un mythomane est resté 5 semaines parmi les meilleures ventes en 2011, le vol 2 a suivi le même engouement. Pouvons-nous attendre de vous un autre ouvrage de chroniques ?

C’est peu probable. J’ai écris des centaines de chroniques. Je continuerai, mais je ne pense plus les regrouper dans un livre, fut-ce en leur donnant une cohérence- comme ce fut le cas pour Une année particulière que j’ai quasiment réécrit. J’ai besoin de passer à d’autres formes.

 

Comme dans La tête ailleurs ?

Oui. C’est un livre étrange, puisqu’en relisant certaines de mes chroniques j’ai soudain décidé de n’en garder que quelques unes afin de construire un livre inédit, et personnel, autour d’elles. Ça reste une sorte de journal subjectif de l’année écoulée, mais j’ai délaissé l’actualité politique au profit de mon « actualité » intime. Au début, je rencontre une blonde, à la fin elle me quitte. Entre les deux, je raconte donc l’histoire d’un chroniqueur à la mode qui est trop amoureux pour commenter la crise, Hollande, Sarkozy ou l’expulsion des roms. Ce livre, c’est un an sous mon toit. Du mythomane, je n’ai gardé que l’autodérision. Mon défi était grand : comment faire rire le lecteur avec mon bonheur conjugal ? On dit que « les gens heureux n’ont pas d’histoires », j’ajouterais que les « gens amoureux ont rarement des histoires drôles ». J’ai tenté de déroger à cette règle.

 

La tête ailleurs est donc votre 3e livre. Un récit. Un roman d’amour sur fond d’actualités. Vous nous aviez habitués à l’inverse ! Alors pourquoi ? Parce ce que justement vous aviez la tête ailleurs ?

Oui. Ce récit découle d’un désir d’honnêteté intellectuelle : je devais commenter l’actualité politique (dramatique !) dans Marianne alors que je ne pensais qu’à cet amour qui venait de débuter et qui m’obsédait davantage que l’impopularité d’Hollande ou, dois-je le dire en rougissant, le moral des français. 

 

C’est un roman d’amour, votre amour envers une certaine « blonde ». Mais vous y confessez aussi votre aversion pour les politiques professeurs-la-morale. Vous dites que vous avez plusieurs métiers, le principal étant « chercheur en plaisir conjugal. Entraineur affectif. » Avez-vous déjà la tête ailleurs, à préparer un 4e récit ?

Non. J’y pense en permanence. J’ai des milliers de notes sur un prochain roman, dont - par trac - je repousse la rédaction depuis 5 ou 6 ans. Mais en ce moment, je me concentre sur mes films.

 

Vous parlez de « Forfaits littéraires » pour qualifier vos écrits. Un crime est un meurtre volontaire. En outre, il n’y a assassinat que si le meurtre est prémédité. Pour savoir quelle peine vos juges- critiques doivent vous infliger pour ce 3e livre, ma question est la suivante : Est-ce que l’assassin Nicolas Bedos, dont la seule arme est le verbe, prémédite toujours son forfait ?

Non. En écrivant, je me pense toujours innocent. C’est ensuite que, lorsque des victimes apparaissent, je réalise que tel ou tel paragraphe était plus mortel que prévu !

 

Est-ce que la vulgarité est le propre de la vérité ?

La vulgarité est une notion très subjective. Certains romans d’amour qui ne comportent aucun terme sexuel me semblent bien plus vulgaires qu’un paragraphe pornographique d’Henry Miller. Selon moi, la vulgarité en littérature, c’est la lourdeur d’une pensée, la banalité d’une description, la bêtise d’une analyse psychologique. En revanche, l’emploi de termes crus, s’il donne corps à une scène ou précise une pensée, ça n’a rien de vulgaire, c’est même parfois nécessaire, et même très beau.

 

A la dernière page du livre, et pas seulement, j’ai fait le lien avec Clarisse Merigeot et sa conception de la littérature (in)utile à se faire aimer. Peut-on récupérer un amour perdu en lui offrant un livre de vénération ?

Je n’ai pas écrit ce livre pour plaire au sujet de ce livre ! Je l’ai écrit pour honorer la mémoire d’un moment rare de mon existence, pour immortaliser une période que beaucoup de mes lecteurs et lectrices ont dû vivre ou vivront. Ce moment où nos vies personnelles (notre approche de l’avenir et de l’autre) basculent. Ce moment où on aimerait devenir « adulte » par amour.

 

Attaquez-vous certaines personnes pour devancer leurs éventuelles attaques ou pour vous faire aimer par votre plume ?

Dans la vie, il m’est arrivé d’attaquer pour devancer l’attaque. Dans mes livres, je ne pense pas aux autres. Le moment de l’écriture est un espace-temps qui, au contraire, protège des susceptibilités présentes, des problèmes d’ « image » liés à une actualité par définition périssable. Non pas que j’écrive pour la postérité, mais j’écris dans un hors-aujourd’hui. La vérité que je tente de dévoiler (aussi bien des vérités sur moi-même que sur les autres), si elle s’avère « séduisante » sur certains points, peut rebuter sur d’autres. Mes livres ne sont pas une campagne en ma faveur ou en ma défaveur, ils cherchent juste à dépasser le cliché, à scarifier les préjugés.

 

Est-ce que seule l’impudeur des écrivains fabrique de la littérature ?

Non, mon Dieu non. Mais il se trouve que les écrivains que j’admire se sont tous plus ou moins « déshabillés » dans leur œuvre.

 

Vous dîtes que la presse et le pouvoir politique ont ce désir commun : vendre, plaire, exciter et perdurer. Mais c’est ce que vous recherchez aussi, non ?

Je cherche à décrire le monde (mon petit monde intérieur, mais aussi la société dans laquelle nous vivons tous) de façon attractive. C’est la moindre des politesses à l’égard du lecteur : Rare sont les écrivains qui fassent tout pour se rendre inintéressant ! (rires) Mais je me flatte de le faire sans cynisme et sans mauvaise foi. Contrairement à tant d’autres, je ne raconte pas « n’importe quoi » pour plaire.

 

Vos livres précédents étaient des recueils de provocations. Celui-ci est un roman d’amour. Cela n’est-il pas la même chose ?

Bonne question ! Je n’ai jamais fait que parler d’amour. Ceux qui me lisent attentivement savent que, même lorsque je commentais l’actualité politique, je ne pouvais m’empêcher d’exprimer un point de vue très sentimental sur les gens et les choses.

 

Quelle fut votre dernière émotion intellectuelle ?

J’ai relu Fragment d’un discours amoureux la semaine dernière. Cet essai passionnant – écrit par un sémiologue homosexuel dont le quotidien et l’expérience différaient largement des miens- y formule ma propre vie, nos propres sentiments, par la magie de l’intelligence.

 

Qui depuis Gilles, ce chauffeur de taxi aux Antilles, a fait frissonner votre clito lexical ?

Dans la vie, peu de gens m’ont marqué autant que Gilles. D’autant que Gilles n’avait pas le dessein de nous épater. C’est un talent pur, innocent, libre.

 

Qui représente votre portrait de Dorian Gray ?

Si vous le voyiez, vous auriez peur. Sans doute vomiriez-vous.

« Les livres ne cherchent rien à vendre, et tout à comprendre » ? Quel est LE livre qui illustre le mieux cette phrase ?

Je suis nul en hit-parade de chefs d’œuvre. Par bonheur, ma bibliothèque en est pleine. Nous ne réalisons pas assez notre chance de vivre au XXIe siècle et d’avoir à notre disposition tant de trésors artistiques et intellectuels. C’est le drame de l’auteur que je suis (d’arriver « après »), mais c’est le miracle du lecteur que je suis également.

 

Me raconterez-vous un jour l’histoire de Popin ?

 

Je vous réserve l’histoire de Papoune, la sole meunière.

Vous savez qu’il sera rajouté à votre liste de métier, celui de péripatéticienne si on vous revoit à un salon du livre !?... Pourquoi n’avez-vous pas aimé l’expérience ?

Parce que je suis une éponge à névrose, une passoire à malheurs. Or, dans ces grands rassemblements, les lecteurs vous racontent facilement leurs drames personnels, ce qui m’ébranle profondément. J’ai du mal à discuter 3 minutes de choses très importantes avec quelqu’un quand une file de dizaine de personnes me filme avec ses téléphones portables. L’image que je renvoie à la télévision est très loin de la vérité : tous ceux qui me connaissent ou lisent mes livres savent que je suis quelqu’un de fragile et de maladivement timide. L’arrogance que je dégage sur les plateaux est une conséquence directe (et très banale) de cette angoisse contenue en moi. C’est un masque pour ne pas imposer au public mon stress pathologique. Du coup, je peux faire illusion quelques minutes devant une caméra, mais pas 3h dans un salon bondé d’inconnus.

 

Tirées du questionnaire de Proust :

Vos auteurs favoris en prose ?

(Proust vers 1890 : Anatole France et Pierre Loti)

Romain Gary et Tourgueniev.

 

Vos poètes préférés ?

(Baudelaire et Alfred de Vigny)

Musset et Shakespeare.

 

Vos héroïnes préférées dans la fiction ?

(Bérénice)

Celle du dernier roman de Carol Oates.

 

Vos héros dans la vie réelle ?

(M. Darlu et M. Boutroux)

George Clooney et John Lennon.

 

Vos héroïnes dans l’Histoire ?

(Cléopâtre)

Gisèle Halimi et Meryl Streep

 

Votre état d’esprit actuel ?

Presque serein, et néanmoins pressé.

 

Est-ce que maintenant vous allez bien au-delà de 10 minutes par an ? Est-ce que votre boîte à vous aimer a évolué dans ce sens ?

Je suis toujours allé au-delà de 10 minutes par an. Il ne faut pas croire tout ce que j’écris, pas plus que les réponses que je viens de vous donner. (rires)

 

Propos recueillis par Laure Rebois (novembre 2013)

© Photo : Patrick Swirc

 

Nicolas Bedos, La tête ailleurs : Récit d’une année, Robert Laffont, Octobre 2013, 333 pages, 20 €

 

 

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