Interview. Maria Pourchet : "La dérision avec une certaine parcimonie comme une politesse que je dois aux lecteurs"


Paul et Marguerite forment un couple depuis dix ans, mais la routine l'a emporté sur la passion des débuts. Pour les quarante ans de Paul, sa compagne décide de lui organiser un anniversaire surprise. Privatisant la terrasse d’un hôtel, elle a tout prévu. A l’heure dite les amis sont là, le cadeau attend dans sa boîte. Mais à l’autre bout de Paris, impossible de le faire sortir de sa tanière un soir de math de rugby. Marguerite va tout essayer afin de l’entraîner hors de l’appartement mais rien n’y fait et au fil de la conversation,  rancoeurs et  non-dits s’enveniment au point que les deux bobos finissent par se battre à coup de râpé de gruyère. Sur la terrasse, l’ambiance sympathique et bon enfant tourne vite à l’aigre. Certains  balancent des vérités qu’il vaudrait mieux taire. D’autres se trompent de soirée ou ne veulent pas assister à celle qu’ils ont organisée. Les derniers enfin se battent comme des chiffonniers.

 

Maria Pourchet, dans son deuxième roman, Rome en un jour, excelle dans l’observation acerbe d’une micro société dont l’alcool et l’attente délie les langues et fait tomber les masques de  bienséance. Drôle et profond, comédie de mœurs, ce livre offre aux lecteurs une superbe galerie de portraits de trentenaires bien sous tous rapports et mal dans leur peu

 

 

- Quelle est l’idée à l'origine  de ce roman ?

J’ai toujours voulu écrire sur ce qui se passe quand quinze personnes sont réunies. Quand un certain nombre de gens se retrouvent ensemble, il y a une sorte de scénario auto-généré, une comédie qui démarre. Ce genre d’assemblée donne lieu à des confidences excessives, des violences ordinaires. Ici, on est en présence d’un meurtre par la conversation puisque le couple absent est en quelque sorte assassiné par ses quinze amis. 

J’aime beaucoup Molière, La Bruyère, j’ai rassemblé des caractères très typés. Il y a le solitaire pathologique, la super copine qui dézingue à tout va, le copain devenu célèbre. Ce livre est un concentré de travers. Il s’agit de gens que j’ai rencontrés ou imaginés et j’ai forcé le trait afin  qu’aucun de mes personnages n’échappe au lecteur.

 

- Décrivez-vous dans ce livre le naufrage d’un couple ou une sombre machination ourdi par l’un des deux, Paul ?

Non, il n’y a aucun complot de sa part. Il est ce que j’appelle un non-vigilant. Il ne veut se charger de rien, surtout pas de partir. Marguerite au contraire fait de la surenchère dans l’action. Leurs deux avis sont diamétralement opposés, ils en arrivent après cette querelle futile concernant du fromage, à se dire que ce n’est plus possible entre eux. Sinon il aurait pu tenir encore dix ans, contrairement à elle, DRH qui a l’habitude que rien ne lui résiste. Elle a une pulsion de vie incroyable, elle rationnalise tout alors que lui est dans l’attente. Elle est dans un déni total qui frise l’absurdité alors que lui n'anticipe rien.

 

- Quand le lien humain se délite, un chien semble faire figure de métaphore.

J’ai saisi ces gens dans un épisode révélateur : ils attendent des amis qui ne viennent pas. Ils sont dans un traquenard où le ridicule, l’exclusion, la défaite sont exacerbés par les heures qui passent, l’alcool. Ils ont tendance à tout ramener à « mon désastre à moi », réel ou non. Cette soirée est un jeu de massacre et le chien est en effet une métaphore à lui tout seul. Quand les personnages n’arrivent plus à se parler, le chien sert d’objet transitionnel autour duquel tous se réunissent. Et si ce chien est si important, c‘est parce que ce n’est pas n’importe quel animal : il est le cadeau de Marguerite à Paul. Il est  l’enfant que le couple n’a pas.  Le symbole est d’une grande force car elle n’a pas choisi n’importe quel chien. Celui là est à moitié mort, elle a jeté son dévolu sur un spécimen d’une race qui ne vit pas longtemps. Il est moche, il sent mauvais, il est emblématique de leur histoire presque terminée. Tous les participants de cette soirée ratée se réunissent autour de lui parce qu’ils vont mal. Ils se le passent de main en main, veulent le caresser alors qu’ils ont tous envie de se casser la gueule.

 

- Vous utilisez l’humour en permanence. Pour dédramatiser ?

Je ne me pose pas la question de la technique de l’humour. Je l’emploie parce que j’ai toujours la tentation du gag. J’ai eu une histoire familiale difficile et avec mes frères, nous avions développé un langage basé sur le second degré. Nous détruisions un réel pas drôle du tout par la plaisanterie.

Je pose toujours le filtre de l'ironie entre les choses et moi, mais dans Rome en un jour, je me suis surveillée, je tenais au réalisme social. J'ai donc utilisé la dérision avec une certaine parcimonie comme une politesse que je dois aux lecteurs.

 

- Il me semble significatif que tous les personnages se trompent de soirée, ne soient pas bien dans celle à laquelle ils ont été conviés comme si leurs vies ne leur convenaient pas.

Ils sont dans la projection, dans la fuite, sauf les deux plus jeunes qui débutent une histoire d’amour. Mais sinon, oui en effet, ils ne vivent pas l’instant présent, ils sont dans l’ailleurs. Parce qu’il sont pris au piège de cet absurde anniversaire  avec le diaporama qui n’en finit pas et surtout le héros de la fête qui n’est pas là. Il y a là comme une prise d’otages amicale  qu’ils ressentent tous très fortement même s'ils l'extériorisent différemment ; L’un en se plaignant, l’autre en allant s’incruster dans une  fête inconnue et en se battant, le troisième en désertant sa propre réception et tout finit autour d’un chien à peine vivant…

 

- De quelle façon écrivez-vous : en prenant des notes ? Pensez-vous que les romans actuels sont de plus en plus documentés ?

Je n'ai pris aucune note, sauf peut être pour Ariel, mais très peu. Je me lance dans l’histoire de façon très condensée, très resserrée. Je travaille  par ailleurs et ai donc peu de temps pour écrire. Je dois me libérer un temps précis uniquement dédié à mon roman. Rome en un jour a été écrit en 100 jours, pas un de plus mais intensément.

Quant à la documentation, oui je pense qu’elle a de plus en plus de place depuis les années 80. Les sujets sont peut-être plus divers, et cette pluralité appelle l'information mais je ne pense pas que les romans ultra documentés soient les meilleurs.


Propos recueillis par Brigit Bontour (janvier 2014)


Maria Pourchet, Rome en un jourGallimard, septembre 2013, 179 pages, 16,90 €

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