Celle qui n’a pas écouté son père : entretien avec l’artiste brésilienne Eliana Minillo

Traits revenues surfaces, lignes devenues nappes, machines retrouvant l’humanité, tout dans l’œuvre d’Eliane Minillo est de l’ordre de la perfection formelle. Traversant les écoles et reprenant la peinture ou Duchamp et son frère Jacques Villon l’avaient laissée l’artiste transforme le support en peau diaphane. Sa soie laisse voire l’énigme du monde  et celui d’humanoïdes redevenus suaves et mouvants. Isis s’y fait dionysiaque.



Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Je suis du matin ... Fumer une cigarette, prendre un café bien fort, fumer une autre cigarette, puis lire ou dessiner.

 

Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Ils se sont réalisés: je suis artiste et je voyage beaucoup.

 

A quoi avez-vous renoncé ? Mon choix d'étudier l'Art m'a amené à renoncer aux chèques de mon père et aux garanties d'un emploi formel.

 

D’où venez-vous ? D'une famille  bourgeoise, d'origine italienne qui privilège l'institution familiale avant tout, sans aucun contact avec la culture. Nous n'avions pas de livres à la maison, ni l'habitude de visiter des expositions, d'aller au théâtre, aux concerts... Pour mon père le rôle d'une femme était de se marier, d'avoir des enfants et de prendre soin de son mari !

 

Qu'avez-vous reçu en dot ? Rien de plus que de l'amour et de beaucoup de règles.

 

Qu'avez-vous dû "plaquer" pour votre travail ? Sacrifier mon confort matériel.

 

Un petit plaisir - quotidien ou non ? Un bon fromage français, un bon vin. Des documentaires sur l'art et de bons livres.

 

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? Je ne fais pas de l'Art en pensant à la commercialisation. La vente de mon travail est, pour moi une conséquence du travail, non un objectif. Je recherche avec mon travail une manière de m'exprimer qui ne soit pas une répétition de  choses déjà dites, mais une réflexion sur l'œuvre des artistes qui m'ont touché profondément.

 

Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpela ? Vers 15/16 ans un dessin de Léonard de Vinci dans un livre de la bibliothèque publique de la ville où j'habitais.

 

Et votre première lecture ? Le Prophète de Khalil Gibran.

 

Comment définiriez-vous la figuration qui émane de votre œuvre ? Je crois que toute œuvre est une forme d'abstraction, et que toute abstraction contient ses origines et laisse leurs traces. La déconstruction que je pratique, reconstruit la forme originale d'une autre manière. Pour cette raison, je ne me considère pas comme une artiste abstraite.

 

Quelles musiques écoutez-vous ? Pink-Floyd. Musique baroque et parfois de la musique classique.

 

Quel est le livre que vous aimez relire ? Francis Bacon-Logique de la sensation, de Deleuze. Histoire de l'œil, de Bataille.

 

Quel film vous fait pleurer ? Big Fish de Tim Burton. ( ma synthèse de ce film serait: tout dépend de quelle façon vous voyez les choses.

 

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? L'Autre.

 

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? A personne.

 

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? Pompéi.

 

Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? Marcel Duchamp et Francis Bacon.

 

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Un livre des œuvres complètes de Zurbaran.

 

Que défendez-vous ? La sincérité de l'artiste dans l'exécution de son travail.

 

Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? Cette phrase me fait penser qu'il est lamentable que l'art contemporain n'ait pas compris l'essence et la pensée de l'œuvre de Duchamp.

 

Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" Cette citation me fait spontanément penser à la phrase de Duchamp  « Il n'y a pas de solution parce qu'il n'y a pas de problème ».

 

Quelle question ai-je oublié de vous poser ? Quelles sont les artistes qui me touchent le plus? Le Caravage ? Léonard de Vinci ? Duchamp, même Francis Bacon.

 

Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret le 5 octobre 2014.

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1 commentaire

piquant de vérité et d'humour ; rafraîchissant... on en redemande...