Interview. Alexandra de Broca : "J’avais envie de faire connaître une femme exceptionnelle"


Auteur, scénariste et productrice, mariée au metteur en scène Philippe de Broca décédé en 2004, Alexandra de Broca s’est toujours passionnée pour l’histoire. En 2004 elle écrit et co-produit pour France 2 la mini série La Pompadour incarnée à l’écran par Hélène de Fougerolles. Dans son dernier roman, elle racontait les dernières années en prison de La princesse effacée, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, seule rescapée de la famille royale. Dans Monsieur mon amour, elle revient sur l’emprisonnement d’une femme de l’aristocratie : Marie-Thérèse, princesse de Lamballe, veuve à dix-neuf ans du descendant d’un bâtard de Louis XIV. Nous sommes sous la Terreur. Fragile, vertueuse, attachée à la famille royale, l’amie de la reine attend son jugement. Alexandra de Broca imagine sa correspondance avec Philippe d’Orléans, cousin du roi, révolutionnaire et dépravé. Marie-Thérèse espère qu’il interviendra, la sauvera. Il est son beau-frère, elle l’aime en secret, l’appelle Monsieur mon amour. Dans une langue somptueuse, Alexandra nous plonge dans une époque terrible où l’on passe des fastes de Versailles à la barbarie. Ces lettres d’amour bouleversantes font revivre une femme délicieuse, sincère et touchante qui devient au fil des confidences, une amie. Une magnifique histoire d’amour : « Depuis le jour où, jeune épousée, j’ai été présentée à la Cour de Louis XV, je vous ai aimé passionnément, au point d’avoir composé mon existence dans l’ombre de la vôtre. Dans le secret de mon coeur, je vous ai parlé sans jamais utiliser votre prénom, préférant la douceur de monsieur mon Amour. Aujourd’hui, ne craignant plus votre regard, je vous demande de lire l’histoire de ma vie telle que vous ne la soupçonnez guère. »

 

 

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la princesse de Lamballe ?

Lamballe est connue pour sa fin tragique durant la Terreur : sa tête promenée dans Paris... derrière cette image atroce j’avais envie de faire connaître une femme exceptionnelle dans sa loyauté pour Marie Antoinette.

 

Comment vous est venue l’idée d’imaginer ses lettres à Philippe d’Orléans ?

En lisant les mémoires de Talleyrand où il parle de  Lamballe comme une des maitresses de Philippe d’Orléans, bien qu’elle soit sa belle-sœur.

 

Que saviez-vous de Marie-Thérèse ? Avait-elle laissé des écrits ? Comment vous êtes vous documentée ?

Mon premier livre La princesse effacée traitait de l’enfermement au Temple de la fille de Louis XVI. Certains intimes prêts à mourir pour la famille royale ont été enfermés. Lamballe l’amie de toujours était là. J’ai eu envie de prolonger cette rencontre et je ne me suis pas trompée car après trois ans d’écriture, je ne me suis pas lassée. Lamballe était toujours là, présente, secrète, digne... La documentation vient de la Bibliothèque Nationale en ligne ou sur place mais Lamballe n’a pas laissé de mémoires – à ma connaissance celles citées sont apocryphes. En revanche sa dame d’honneur madame de Lage a écrite les siennes.

 

Quelle fut sa vie avant d’être arrêtée, de son mariage, son horrible nuit de noces à son arrestation ? Quel genre de femme était-elle ?

Elle avait 18 ans lorsqu’elle se marie, 19 ans lorsqu’elle se retrouve veuve sans enfant, et 43 lorsqu’elle est enfermée. Difficile de résumer ses années sauf à dire qu’elle se met au service de Marie-Antoinette lorsque celle-ci arrive en France comme dauphine puis comme Reine. Elle s’efface pour être toujours à la disposition de cette jeune reine capricieuse mais irrésistible. Elle souffre en silence sans jamais exprimer son ressentiment. Elle aime sans juger.

 

Quels furent ses liens avec Marie-Antoinette ?

A leur rencontre une sorte de coup de foudre, puis une amitié très précieuse pour Marie Antoinette, puis la reine s’éloigne vers des courtisans plus « amusants ». Elle devient alors son souffre douleur en attendant d’être remplacée par Polignac, une favorite plus drôle et plus entraînante. Mais lorsque la reine perd son premier enfant et que la révolution éclate, elle fait appel à nouveau à elle car elle se sait aimée par une femme qui ne se sert pas d’elle. Lamballe aime Marie-Antoinette « à la vie à la mort... »

 

Avec la famille royale ?

Une fidélité au roi et à ses enfants qu’elle aime comme ceux qu’elle n’a pas eu. Elle admire cette capacité de Louis XVI à aimer son épouse sans jamais la décrier... un peu comme elle !

 

A-t-elle vraiment écrit à Philippe d’Orléans ? Aimait-elle réellement ce prince de tous les plaisirs en secret ou est-ce pour se sauver qu’elle lui aurait demandé d’intervenir en sa faveur ?

Que faire en prison si ce n’est de « ranger » sa vie ? Elle écrit à l’homme qu’elle aime dans le secret de son cœur... personne ne sait ce qu’elle a fait durant ces 15 jours de détention et j’ai eu envie qu’elle vive dans l’amour avant de mourir.

 

Pensez-vous qu’il aurait pu la sortir de prison ?

Philippe d’Orléans ne pouvait pas faire sortir de prison Lamballe sans prendre le risque de passer pour un faux révolutionnaire. Il a dû penser qu’en étant en prison, elle était presque en sécurité, qu’il fallait un tribunal puis un jugement avant d’aller à l’échafaud. Hélas, ce mois de septembre est un moment terrible : les manifestants ont renversé le roi le 10 aout, les armées européennes et les royalistes ont envahi la France le 2 septembre. Devant la rumeur de l’arrivée des prussiens, les parisiens décident de s’en prendre aux responsables : les royalistes et les prêtres qui attendent leur jugement en prison... Ainsi se déclenchent les massacres de septembre. On décomptera 1600 prisonniers massacrés sans jugement.

 

Comment vous êtes-vous glissée dans sa peau ?

Suis-je vraiment dans sa peau ? Je ne crois pas. Jamais je n’aurai eu ce courage de quitter l’exil pour revenir à Paris aux pires moments de la Révolution par amitié pour Marie-Antoinette.

 

Quelles furent les conditions de sa détention ? Et comment s’est-elle comportée dans sa geôle ?  

Tout s’achetait en prison, sauf la garantie de vivre. Elle a souffert de la chaleur, de la proximité, de la saleté, mais surtout de la haine des gardiens. Il semble qu’elle ait été comme ses compatriotes, dans l’idée qu’elle allait mourir. Sans son roi elle ne saurait vivre. Avec un courage rare. Je rappelle ses derniers mots face à un tribunal révolutionnaire : « – Jurez vous la liberté, l’égalité, la haine du Roi, de la Reine et de la royauté ? – Je jure la liberté et l’égalité, mais je préfère mourir que de parler de haine pour mon Roi et ma Reine »

 

Quel regard portez-vous sur la révolution ?

La Terreur est une tragédie, mais hélas dans toute révolution, il y a des dérapages. La révolution était inévitable car la monarchie n’avait pas réussi à se transformer en un système parlementaire. Le dogme qui gouvernait le XVIIIe siècle, « un Roi, une Loi, une Foi », s’est écroulé comme un château de cartes car ses fondations s’étaient fragilisées. A la fin du XVIIIe, les hommes veulent être égaux, n’en déplaisent à la cour de Versailles et à certains membres du clergé. Désormais le mot égalité sera de rigueur.

 

Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson

© Photo : Julien Drach

 

Alexandra de Broca, Monsieur mon amour, Albin Michel, octobre 2014, 240 pages, 18 €

 

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