Interview. Cécilia Dutter : L’humour noir dans le boudoir


Romancière, essayiste, spécialiste reconnue d’Etty Hillesum, Cecilia Dutter change de registre et surprend avec ces petites fables pleines d’ironie et de mordant sur les travers des hommes et celles qui les adorent ! Un livre jubilatoire à lire à deux.

 

Alors racontez moi, comment passe-t-on de la spiritualité à un manuel sur les mauvais garçons ?

Quand on écrit, il faut, je crois, savoir pianoter sur toute la gamme ! Plus sérieusement, la séduction m’intéresse sur le plan romanesque et la complexité du rapport amoureux forme la trame de mes romans. Je souhaitais encore explorer ce thème, mais de façon plus légère, satirique, en laissant libre cours au mauvais esprit bien français et au second degré.

 

Pourquoi s’intéresser à ceux que vous appelez « les hommes de mauvaise volonté » ?

Un homme de mauvaise volonté, c’est un « affreux jojo », on en a tous rencontré ! Je suis partie du principe que la relation amoureuse est un emboîtement complexe dans lequel chaque partenaire prend sa part. À chaque turpitude masculine correspond consciemment ou non une amatrice. Il s’agit donc d’apprendre à ces messieurs, non pas à projeter le meilleur d’eux-mêmes, mais au contraire, à exceller dans l’art raffiné de séduire en exaltant le pire, et selon leur défaut, de leur indiquer quels types de femmes pourraient y être sensibles. Si je donne des conseils, c’est sur le ton de la dérision, en prenant le contrepied du discours convenable et convenu sur la relation amoureuse.

 

Avec les hommes, vous n’êtes guère indulgente…

J’ai dressé sept grands profils d’hommes : les tyrans, les cocus et infidèles, les tristes sires, les romantico-mystiques, les perturbés érotiques, les peureux et les gentilshommes sur le retour, au sein desquels je croque des portraits très caustiques : il y a, par exemple, le jaloux, le déprimé, l’ego sapiens, le pervers narcissique, le renard argenté, le priapique triomphant, l’amputé du désir, le poète évanescent, le Cupidon-phobique et bien d’autres encore. Nous nous trouvons, vous l’avez compris, dans le domaine de la farce. Loin de moi l’idée de régler des comptes avec les hommes, j’ai au contraire voulu poser un regard bienveillant et amusé sur la gent masculine et sur nous, les femmes, qui entrons si volontiers dans leur jeu.

 

Dans cette galerie de portraits fort amusante, lesquels ont vos faveurs ?

 J’aime beaucoup le philosophe prétentieux que l’on croise fréquemment dans les soirées germanopratines et le simple d’esprit, qui est de loin le personnage le plus sympathique de mon petit « bestiaire », ainsi que le couple mari-amant, le second étant, selon mes critères tortueux, le meilleur allié du premier, car l’on n’est jamais trop de deux, vous en conviendrez, pour entretenir une épouse fraîche et désirable ! Par contre, le pervers narcissique, très à la mode, est bien entendu épouvantable tout comme le « petit monsieur » qui entend monnayer ou troquer tout service rendu…

 

Chacun, à vous croire, possède donc son lot de névroses...

J’ai poursuivi l’implacable constat de Freud : « Le couple, ce sont deux névroses qui s’emboîtent. » Autrement dit, à tout névrosé, sa névrosée, à toute turpitude, la femme qui s’en régale !   La littérature est truffée de ces couples a priori infernaux : Ulysse et Pénélope n’étaient-ils pas sadomasochistes ? L’un passe son temps sur les mers pendant que l’autre perd le sien à l’attendre et se ronger… Héloise et Abélard, Tristan et Iseult, Ariane et Solal, Anna Karénine et le comte Vronski fonctionnent eux aussi sur un bel enroulement pathologique, l’alliance improbable de deux contraires qui s’aimantent.

 

On rit beaucoup dans ce livre, tout en profitant d’une belle écriture. Écrire un tel ouvrage est-il une gageure ?

 Tout, en effet, réside dans le ton employé. En aucun cas, on ne se trouve devant un manuel pratique, un « how to book ». Il fallait éviter le ton de la bonne copine. Pour cet objet littéraire décalé et provocateur, j’ai choisi une langue très classique, un ton proche de la fable dont la morale ne serait pas toujours bonne à dire... Ce livre s’adresse aux femmes, mais aussi aux hommes, et le mieux est encore de le lire à deux pour mieux rire ensemble de nos travers et de quelques vérités crues et cruelles sur la valse amoureuse !

 

Propos recueillis par Ariane Bois (janvier 2014)

 

Cécilia Dutter, Conseils de séduction à l’usage des hommes de mauvaise volonté, Le Rocher, janvier 2015, 136 pages, 15,50 € 

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