Interview. Emmanuelle Friedmann, L’Orphelinat : Les pupilles de la nation dans la France de l’entre-deux-guerres


Auteur dans la même collection du Rêveur des Halles, (Prix du Jury, Salon d’Ile-de-France de Mennecy 2012) et de La Dynastie des Chevalier, Emmanuelle Friedmann, à travers ce nouveau roman aussi érudit que bouleversant, nous emmène sur les pas des petits orphelins bretons, pupilles de la nation, au lendemain de la Première Guerre mondiale. En toile de fond, elle dresse une grande fresque de la France paysanne et maritime des années 1920.

 

Le moins que l’on puisse penser après vous avoir lu, c’est que nous avons beaucoup évolué en matière de prise en charge des orphelins dans notre pays. Si le sort actuel des enfants de l’assistance publique n’est sans doute pas rose, il est loin de la dureté avec laquelle on les traitait jadis…

Heureusement pour les orphelins et même les enfants, en général, les méthodes d’éducation  ont bien évolué même si elles ne sont pas encore parfaites. On prend davantage en compte l’aspect psychologique, on ne sépare plus les fratries, les punitions corporelles n’ont plus cours.  

Dans L’Orphelinat, je voulais montrer, combien il était difficile pour ces enfants privés d’amour parental de se construire. Non seulement parce que dans ces établissements, il régnait une discipline de fer, les surveillants et professeurs n’hésitaient pas à être violents avec les enfants, mais aussi parce qu’on ne leur expliquait rien de leur histoire familiale ni de leur origine, on niait presque leur humanité. Certains des petits pensionnaires avaient été placés dans l’établissement parce que leur famille n’était plus en mesure de s’occuper d’eux – que ce soit pour des raisons sociales ou économiques – d’autres étaient vraiment orphelins de père ou de mère. Dans le roman, Olivier, Martin et Baptiste, ne savent rien de leurs origines. C’est Olivier qui le supporte le plus mal. C’est pourtant le plus raisonnable des trois, mais il ne peut pas croire que sa maman soit morte, il est persuadé qu’on lui cache la vérité, ce qui va le pousser à s’échapper pour connaître la vérité sur sa famille. Quant à Martin qui a été séparé de sa petite sœur, il n’a qu’une idée, la retrouver. Et Baptiste, qui sera brièvement adopté, n’apprendra qu’à ce moment-là qu’il est véritablement orphelin.

 

L’un des personnages de votre roman, le prêtre qui supervise l’orphelinat, tente d’introduire de nouvelles méthodes éducatives au sein de l’Institution dont il a la charge en faisant notamment délivrer un enseignement minimal aux pensionnaires. Ce parti pris était-il révolutionnaire à l’époque ?

Le père La Bruyère, dans le roman, incite professeurs et surveillants à regarder ces petites pupilles de la Nation, ces petits orphelins, comme des hommes en devenir. Il a conscience que leur donner des conditions correctes de vie, les instruire, leur permettra de s’émanciper, de devenir des êtres humains valeureux. On se rend compte, tout au long du roman, qu’il a du mal à imposer ses méthodes aux autres protagonistes qui, par manque de conviction et de moyens, préfèrent utiliser les coups aux explications. Heureusement, un peu partout, l’instruction tend à se généraliser, même si les enfants continuent de travailler et ne sont plus pris en charge après leurs douze ans.

 

Votre ouvrage est extrêmement documenté sur les conditions de vie à l’orphelinat d’alors comme sur les métiers de la mer (pêche au chalutier, premières sardineries, etc.) En dehors de la bibliographie que vous citez en annexe, vous êtes-vous rendue sur place, à Saint-Malo, pour faire des recherches spécifiques ? Et pourquoi avoir fait le choix de situer l’action en Bretagne ?

J’ai choisi la Bretagne parce que c’est une région que j’aime beaucoup et que je connais bien. J’y passe fréquemment mes vacances, à Saint-Malo, mais aussi dans les villes environnantes. Il fallait que je me sente à l’aise dans le décor qui allait servir à ces trois histoires parallèles, celle des petits orphelins, celle de Louis, l’entrepreneur de Sardines à Douarnenez et celle de son fils Max. Ensuite, je suis passionnée de cuisine ! Mon premier roman, Le Rêveur des Halles avait pour toile de fond un restaurant juste à côté du grand marché des Halles de Paris, le second, La Dynastie des Chevallier, évoquait la première chocolaterie industrielle de la région parisienne, j’avais envie de continuer dans cette veine gastronomique et j’ai ainsi imaginé un pêcheur qui devenait entrepreneur et élaborait toutes sortes de recettes de sardines en boîte.  

 

Plus généralement, le roman historique est un genre littéraire qui impose des contraintes. Comment l’écrivain s’y prend-il pour créer une fiction autour de faits réels tirés du quotidien de la période traitée ?

Le contexte historique, les décors, les évènements ont une grande importance dans les romans historiques. Je me documente donc beaucoup, je retrouve les manuels et les livres d’histoire que j’ai conservés, je suis historienne de formation. Ces lectures me permettent de connaître la vie quotidienne durant l’époque et dans le lieu que j’ai choisi.

Je prends ensuite un grand soin à imaginer mes personnages et l’histoire que je vais leur faire vivre. Il ne s’agit pas de coller des connaissances historiques, mais bien de créer une histoire, la plus captivante possible, et de l’insérer dans un décor et un lieu historique. Je fais très attention aux anachronismes et à la façon dont les gens, à l’époque, percevaient les événements. Il est important de se rappeler, par exemple que 1914-1918, n’est pas pour les contemporains, La Première Guerre mondiale, mais La Grande Guerre. Tout le monde espère que ce sera la dernière et que la paix durera. Mais le plus important, c’est que le roman distraie les gens, les fasse rêver, les entraîne à oublier, le temps de la lecture, leur quotidien.

 

Propos recueillis par Cécilia Dutter (janvier 2015)

 

Emmanuelle Friedmann, L’Orphelinat, Calmann-Lévy, janvier 2015, 259 pages, 18,90 euros

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