Interview. Cabu : « Je suis un journaliste qui dessine »


Document. Au regard des événements tragiques du 7 janvier 2015, l’attentat contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo, nous reproduisons l’entretien que Cabu avait accordé à David Alliot en 2010.

 

Depuis près d’un demi-siècle, les dessins de Jean Cabut sont familiers du grand public. Le Grand Duduche, l’adjudant Kronenbourg et « mon Beauf » sont désormais des classiques. Mais si les dessins de Cabu sont appréciés des nombreux lecteurs d’hebdomadaires satiriques, leur auteur reste d’une discrétion de violette. À l’occasion de la publication aux Arènes du monumental et magnifique Tout Cabu, le plus célèbre des caricaturistes français accepte de lever le voile sur une carrière qui l’a amené d’Hara-Kiri à Charlie Hebdo en passant par Pilote, « Récré A2 » et Le Canard Enchaîné. Conversation à bâtons rompus avec un jeune homme de 72 ans…

 

 

Cher Cabu, si j’en crois votre biographie, cela fait soixante ans que vous dessinez ?

Plus que ça ! [rires] En fait, j’ai dessiné très tôt. Mais au début, j’étais plutôt dans la reproduction que dans la création. Je recopiais les dessins de Dubout que j’admirais.

 

Et à 10 ans, vous gagnez votre premier concours de dessin !

J’ai gagné le premier prix d’un concours de dessin organisé par Cœurs vaillants, un magazine scout qui publiait aussi Les Aventures de Tintin. Le premier prix (un vélo) m’a été remis lors de la fête des « cœurs vaillants », au Vélodrome d’Hiver, par Mgr Feltin, qui s’était compromis pendant l’Occupation… Ça commençait bien ! [rires]

 

Et ensuite ?

À 15 ans, j’ai publié mes premiers dessins dans L’Union de Reims, le grand journal de ma région. J’avais trois dessins à faire par semaine. Je suivais le Conseil municipal de Châlons-sur-Marne et je dessinais pendant les délibérations. C’est là que j’ai appris mon métier.

 

C’étaient vos années de formation…

Oui, parce que Châlons-sur-Marne avait la particularité d’être une reproduction de la société française en miniature. À Châlons-sur-Marne, il y avait une préfecture, une caserne, un évêché… Tous les éléments qui structuraient la société française de l’époque. Je considère que j’ai eu de la chance de naître dans une ville de province. J’ai d’abord pu dessiner la vie politique locale avant de dessiner la vie politique nationale.

 

Cela devait être curieux de voir un jeune homme qui dessinait au Conseil municipal…

Pas tant que ça. À l’époque, j’exposais aussi mes dessins au salon de coiffure près de chez moi. Les clients étaient habitués. Ils aimaient bien. Aussi, quand j’allais au Conseil municipal, on me laissait faire. Cela dit, mes dessins de l’époque étaient gentils. J’étais plus proche des dessins de Peynet que de mes caricatures actuelles…

 

Est-ce à Châlons qu’est né le « Beauf » ?

Oui, c’était le patron du Café du Marché à Châlons-sur-Marne. Bien des années plus tard, je suis retourné le voir, mais il était décédé. J’en ai parlé avec son fils, qui ne savait pas que son paternel avait servi de modèle pour ce personnage.

 

Il paraît qu’à l’école, vous étiez un élève… dissipé…

Oui ! [rires] À l’époque, je ne m’intéressais qu’au dessin. Ça me passionnait. Et au lycée, je faisais plein d’autres choses qui n’avaient rien à voir avec les cours… Alors forcément, les résultats s’en ressentaient. Mon père était ingénieur, et il me disait souvent : « Ça se saurait si l’on pouvait gagner sa vie à gribouiller des dessins. » Il voulait un métier « sérieux » pour moi. Mais quand j’ai redoublé ma seconde, il a bien vu que les études, ce n’était pas mon truc.

 

Et vous arrivez à Paris !

À 18 ans, j’arrive à Paris pour suivre les cours à l’école Estienne. J’étais en apprentissage chez un patron, et deux jours par semaine, je suivais les cours de « dessin publicitaire » de cette école. C’est là que j’ai appris les bases de la maquette, de la mise en pages, les couleurs, le dessin de la lettre… Pour moi, ça a été fondamental, surtout le dessin de la lettre. Je considère que l’écriture, c’est aussi du dessin.

 

Et en parallèle, vous suivez des cours plus classiques.

J’allais à l’académie Julliand pour suivre les cours classiques de dessin académique. C’est très important de connaître les bases du dessin, même pour faire des caricatures.

 

C’est à cette époque que vous découvrez le jazz…

Je ne connaissais personne à Paris, j’habitais dans une chambre de bonne. Je sortais le soir après le travail. En février 1956, je découvre les Harlem Globe Trotters au Vélodrome d’Hiver. Il y avait des entractes avec des chanteurs de jazz comme Cab Calloway. Je trouvais ça formidable. Par la suite, j’ai vu les concerts des plus grands comme Duke Ellington, Count Basie… Mais ce que je préfère dans le jazz, c’est le swing. Duke Ellington disait : « S’il n’y a pas de swing, il n’y a pas de jazz. » J’aime cette énergie, cette rythmique à quatre temps, plus confortable que celle du rock, qui est n’est que binaire… [rires]

 

Les études terminées, c’est le service militaire en Algérie.

Je dis souvent que c’est en Algérie que j’ai fait mon instruction civique… Avant mon service militaire, j’étais un peu naïf, et pas vraiment politisé. Pour moi, il était évident que chaque jeune devait faire son service militaire. Pour vous dire, je ne savais même pas ce qu’était un objecteur de conscience… En Algérie j’ai compris beaucoup de choses ! J’y suis resté vingt-sept mois.

 

Avez-vous participé aux combats ?

Non ! Et heureusement, je n’ai tué personne. Les militaires se méfiaient des appelés du contingent. Les commandos faisaient leurs opérations en tête, et ils nous laissaient à l’arrière. On devait arrêter les fellaghas qui leur échappaient. Heureusement, on n’a vu personne. Mais quand on repartait, on voyait les cadavres, les villages détruits.

 

C’est à l’armée que vous êtes devenu antimilitariste ?

Je suis devenu antimilitariste à la suite d’une « opération extérieure ». Nous avons été envoyés pendant dix jours, en plein mois d’août, dans l’arrière-pays. Le camp de base était sur un piton rocheux, et chaque jour un gros hélicoptère apportait des jerricans d’eau potable pour les hommes. L’hélicoptère ne pouvait pas se poser sur le piton rocheux, mais à plusieurs centaines de mètres en contrebas. Chaque jour, il fallait remonter à dos d’homme des centaines de jerricans au camp de base. Avec la chaleur, c’était très éprouvant physiquement. À la fin des opérations, un petit hélicoptère s’est posé sur le piton rocheux, avec à son bord le général qui apportait une bouteille de champagne au colonel pour fêter leur succès… Quand j’ai vu ça, j’ai ressenti un profond sentiment d’injustice. Il aurait pu nous apporter un peu d’eau quand même !

 

L’armée, ce n’était pas votre truc…

J’ai vite compris qu’à l’armée, il ne fallait pas être bon tireur, ni bon sportif. Si on était bon tireur, on était envoyé comme éclaireur… Le meilleur moyen de se faire descendre ! Et si on était bon sportif ou endurant, on était envoyé pour aider les militaires à torturer les Algériens… À cette époque, pour ne pas avoir de problèmes, il fallait faire profil bas. Je n’étais pas sportif, et aux exercices de tir, je visais la cible du voisin ! [rires]

 

Est-ce là qu’est né l’adjudant Kronenbourg ?

Oui, c’est un personnage qui a réellement existé. On l’appelait comme ça parce qu’il était bourré dès 9 heures du matin ! Il ne pouvait pas me voir, il me traitait d’« intello », de « Parisien »… Le pire, c’est que ce type avait charge d’âme. Il nous emmenait dans des endroits dangereux, où l’on aurait pu se faire descendre.

 

Et pourtant, vous continuez à dessiner ?

Oui, et un jour j’ai été convoqué à l’État-major. Ils aimaient bien mes dessins, et c’est ainsi que j’ai fait mes neuf derniers mois de service, planqué à l’arrière, à dessiner dans la revue des militaires qui s’appelait Le Bled.

 

En 1960, c’est enfin le retour en métropole.

Oui, et je me mets à rechercher du travail. Quand j’étais étudiant à Estienne, j’avais fait quelques dessins à Ici Paris, et j’avais sympathisé avec Fred, le dessinateur de bandes dessinées… À mon retour d’Algérie, je reprends contact avec lui, et il me signale qu’un ami à lui veut lancer un journal, parce qu’il n’arrive pas à placer ses dessins. Cet ami, c’était Cavanna qui, à l’époque, il ne faut pas l’oublier, était un dessinateur. C’est ainsi qu’en octobre 1960, une bande de dessinateurs lance Hara-Kiri avec des moyens budgétaires très limités.

 

Les débuts étaient difficiles ?

Oui. Nous étions très peu payés. Les ventes suffisaient à payer l’imprimeur, et les frais courants, mais guère plus… L’ambiance était très artisanale, mais vivante et sympathique. Hara-Kiri était vendu par des colporteurs et c’était Georges Bernier – le futur Professeur Choron – qui dirigeait l’équipe de vendeurs. Chaque jour, il devait aller en chercher un au commissariat… Nous avons démarré à trois, mais par la suite, nous avons été rejoints par Topor, Gébé, Wolinski, Reiser.

 

Mais la censure veillait…

Au bout de deux ans, nous avons eu notre première interdiction. Je crois que c’était pour un dessin de Topor. Par la suite, Cavanna devait porter les maquettes au service de la censure. Comme il y avait des dessins dans Hara-Kiri, le gouvernement considérait que l’on tombait sous le coup de la loi pour la protection de la jeunesse, beaucoup plus restrictive. Par la suite, nous avons su que c’était « tante Yvonne », la femme du général de Gaulle, qui surveillait la presse de façon assidue, et qui n’hésitait pas à appeler le ministère de l’Intérieur… Ce n’est qu’en 1966 qu’Hara-Kiri reparaîtra.

 

Et en parallèle, vous travaillez pour Pilote

Comme Hara-Kiri était interdit, et qu’il fallait bien vivre, je suis allé voir René Goscinny, qui venait d’être nommé rédacteur en chef de Pilote. Il a bien aimé mes dessins de collégien, et il m’a demandé si j’étais d’accord pour illustrer son livre, La Potachologie Illustrée.

 

Et ?

Et j’ai dit oui tout de suite ! La rencontre avec Goscinny a été capitale pour moi. C’était un personnage très humain, très gentil et très ordonné. Il ne faut pas oublier qu’il a beaucoup apporté à la bande dessinée par son travail. Le matin, j’allais le voir dans son appartement derrière la Maison de la Radio, et j’étais frappé par sa rigueur. À côté de sa machine à écrire, il y avait une horloge, et il accordait une heure par scénario. Pas une minute de plus ! L’après-midi, il travaillait à Pilote, où il était très ouvert, très disponible. C’est lui qui m’a beaucoup aidé à travailler mes personnages. C’est Goscinny qui a repéré ce grand dadais que j’avais mis au fond de la classe. Il m’a demandé de le mettre en avant et de mieux le travailler. C’est ainsi qu’est né le Grand Duduche.

 

Êtes-vous resté longtemps à Pilote ?

J’y suis resté quatorze ans, de 1962 à 1976. Je suis parti dans des conditions un peu tristes, car à un moment, Pilote s’est lancé dans le dessin d’actualité. Cavanna trouvait que cela nous faisait de la concurrence et a demandé aux dessinateurs qui travaillaient pour les deux de choisir entre Pilote et Hara-Kiri. Même si nous étions très bien chez Pilote, nous avons choisi Charlie Hebdo car la liberté était plus grande, et parce qu’il n’y avait pas de publicité. Mais nous sommes partis la mort dans l’âme.

 

En 1969, vous êtes revenu auprès de Cavanna.

En 1968, Hara-Kiri était un mensuel, et en février 1969 a été créé Hara-Kiri Hebdo, jusqu’en novembre 1970 et la fameuse couverture sur le « Bal tragique à Colombey », où nous avons été interdits par Marcellin, ministre de l’Intérieur. À ce moment-là, la presse nationale nous a soutenus. Beaucoup de grands quotidiens ont trouvé que nous avions été irrespectueux, mais que cela ne méritait pas l’interdiction. Finalement, on contourné l’interdiction en faisant reparaître l’hebdomadaire sous le nom de Charlie Hebdo. Avec le recul, Marcellin nous a fait une publicité énorme. Par la suite, on tirait à 170 000 exemplaires ! Pour Charlie Hebdo, les années Pompidou, c’était l’âge d’or.

 

Et cela n’a pas duré ?

Assez curieusement, non. Le tirage a commencé à décliner sous Giscard, et l’arrivée de Mitterrand au pouvoir nous a donné le coup de grâce…

 

Savez-vous pourquoi ?

Il y a probablement plusieurs raisons. Il est probable qu’avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, les gens étaient moins sensibles à la satire et à la caricature. Et aussi, il y avait des problèmes de gestion. Il n’y avait pas beaucoup d’abonnés, certains titres n’étaient pas rentables, et la gestion de Bernier était erratique. En janvier 1982, Charlie Hebdo dépose le bilan.

 

Tout le monde se rappelle de l’émission « Droit de réponse » qui s’ensuivit…

C’était la femme de Siné qui avait préparé le « casting » de l’émission, en mélangeant très subtilement des interlocuteurs antagonistes. C’était d’ailleurs le concept de « Droit de réponse ». Le problème, c’est Choron, qui est venu avec deux bouteilles de Bourbon… L’émission a vite dérapé…

 

Et vous vous retrouvez sans emploi…

Oui. Mais j’ai été rapidement récupéré par Le Canard Enchaîné, qui m’avait fait savoir par des intermédiaires que si je cherchais à travailler pour eux, ma proposition serait étudiée avec « beaucoup de bienveillance ». Et depuis, j’y suis toujours.

 

En parallèle, on vous retrouve sur le petit écran…

C’est William Leymergie qui m’a contacté. Il travaillait à la télévision, et était un lecteur de Charlie Hebdo. Jacqueline Joubert, qui produisait « Récré A2 », cherchait un dessinateur pour faire des dessins sous la dictée d’un enfant. J’ai été embauché pour quatre émissions, et ça a duré dix ans.

 

Aviez-vous une grande liberté ?

Nous avions une très grande liberté. Plus grande qu’aujourd’hui, à mon avis. Je m’entendais très bien avec l’équipe, et je pouvais dessiner ce que je voulais. Parfois, je faisais des dessins un peu « limite » pour des enfants, par exemple un militaire, façon adjudant Kronenbourg… L’équipe faisait un peu la moue, et Dorothée tranchait en disant : « Bon, on va la passer rapidement à l’antenne ! » [rires]

 

Jamais censuré ?

Censuré, non, mais un mercredi après-midi, j’étais en train de dessiner un gros moine, un peu à la façon de l’étiquette du fromage Chaussée aux moines, quand Dorothée arrive en courant. Elle me dit : « Cabu arrête, on vient de tirer sur le pape ! » C’était le jour de l’attentat contre Jean-Paul II. C’est le seul dessin qui n’est pas passé à l’antenne… [rires]

 

C’étaient de belles années…

Oui. L’équipe était très sympathique, et surtout c’était un public très jeune. On recevait des sacs postaux entiers de dessins. Devant leur téléviseur, les enfants dessinaient en même temps que moi. C’était très émouvant de découvrir l’impact de cette émission auprès des plus jeunes. Par la suite, j’ai reçu – et je les garde toujours précieusement – des lettres de dessinateurs de bandes dessinées qui me disent : « C’est grâce à vous que je dessine aujourd’hui. »

 

Et pourtant, vous arrêtez la télévision.

J’ai arrêté quand TF1 a été privatisée. La télévision allait devenir une chaîne commerciale, forcément plus restrictive… Je n’ai pas suivi.

 

Vous êtes un des principaux dessinateurs du Canard Enchaîné, et voilà que reparaît Charlie Hebdo.

Dans les années 1980, avec l’éditeur Jean-Cyrille Godefroy, nous avions lancé La Grosse Bertha, qui était très proche de Charlie Hebdo dans son esprit. Mais les ventes ont été décevantes, et suite à de profonds désaccords, nous avons préféré arrêter. C’est Cavanna qui a eu l’idée de relancer Charlie Hebdo. Le problème, c’est que c’était Choron qui avait déposé, en son nom, le titre Charlie Hebdo. Cavanna est allé le voir pour pouvoir le réutiliser, mais Choron a refusé. Finalement, nous avons ressorti l’hebdomadaire sans son autorisation. Choron nous a poursuivis, mais la justice a reconnu à Cavanna le droit moral sur le nom de l’hebdomadaire, et Choron a été débouté.

 

Aujourd’hui, vous êtes connu et reconnu pour vos caricatures dans Le Canard Enchaîné et dans Charlie Hebdo. Comment faites-vous pour dessiner aussi facilement et aussi rapidement ?

À vrai dire, je ne me l’explique pas… C’est très mystérieux à dire, mais ça me vient assez naturellement. D’abord, pour faire des caricatures, il faut se tenir informé de l’actualité. J’écoute beaucoup la radio, je lis la presse, etc. Ensuite, il faut trouver la « grimace », car la caricature, c’est exagérer… mais il ne faut pas enlaidir.

 

Est-ce parfois difficile ?

Dans certains cas, oui. Prenons l’exemple de Ségolène Royal. Personnellement, je la trouve belle femme. Si je la caricature, je n’ai pas le droit de l’enlaidir. Il faut donc que je trouve un trait saillant ; et à ce jour, je ne suis pas entièrement satisfait de mes dessins sur Ségolène.

 

Y a-t-il des personnages que vous n’arrivez pas à dessiner ?

Disons que je peux les dessiner, mais que je ne suis pas satisfait. Par exemple, Raymond Barre : je n’ai jamais réussi à le caricaturer. Pourtant, le personnage offrait quelques rondeurs… Il y aussi Jean-François Copé : à ce jour je n’ai pas réussi à trouver la « grimace ».

 

C’est quoi cette « grimace » ?

C’est un trait du dessin qui résume le personnage. Par exemple, pour Giscard, je lui fais toujours une bouche en cul-de-poule. Quand on regarde Giscard, il n’est pas comme ça ! Et pourtant, cette « grimace » résume son côté précieux, aristocratique, etc. De même pour Sarkozy, que je dessine toujours avec des petites pointes aux extrémités de la tête. Ça le fait ressembler à un diablotin, alors qu’il n’est pas comme ça « en vrai ». Et pourtant, tout le monde l’identifie.

 

Y a-t-il des hommes politiques que vous appréciez ?

Comme je suis caricaturiste, j’aime ceux qui ont de l’humour. J’aime bien Daniel Cohn-Bendit parce qu’il apporte un peu de fantaisie dans le monde politique. J’aime bien aussi François Hollande, qui est très drôle.

 

Vous publiez ces jours-ci une véritable autobiographie dessinée, intitulée Tout Cabu. Comment ce projet s’est-il déroulé ?

En fait, je n’ai pas fait grand-chose ! [rires] Quand il s’agit de son œuvre, on est toujours mauvais juge. Ce n’était pas facile pour moi de choisir tel ou tel dessin. C’est Jacques Lamalle, qui avait coordonné le livre sur les caricatures du Canard Enchaîné en 2008, qui s’y est collé. Je lui ai ouvert mes archives personnelles, soit près de 30 000 dessins, et il en a choisi 1 000. Frédéric Pagès a écrit les textes, car les dessins sont classés par ordre alphabétique et introduits par un petit paragraphe. Ensuite, la direction artistique à pris le relais pour la mise en pages.

 

Un sacré travail !

Oui, et le résultat est superbe. J’ai découvert, ou plutôt redécouvert, certains de mes dessins. C’est une véritable anthologie de mon œuvre, de mes débuts jusqu’à aujourd’hui. C’est le dictionnaire de ma vie. C’est mon livre testament ! [rires]

 

Vous êtes aujourd’hui un dessinateur connu et reconnu, et vous prenez toujours autant de plaisir à dessiner.

Oui. J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. J’ai fait beaucoup de rencontres et j’ai croisé des gens formidables. Je n’ai jamais eu de plan de carrière, ni de « projet de vie ». Je me suis laissé porter par le vent et ça m’a plutôt réussi. Cela fait soixante ans que je dessine et je ne m’en lasse pas. Aujourd’hui, ma vie est rythmée par les bouclages, j’écoute l’actualité, je suis toujours à la recherche d’une bonne idée. Je chronique l’air du temps. Finalement, j’ai inventé un métier qui n’existait pas : je suis un journaliste qui dessine.

 

Propos recueillis par David Alliot

Entretien paru dans Le Magazine des livres n°27, novembre-décembre 2010

Photo © Louis Monier

 

Pour la première fois, une véritable anthologie de l’œuvre de Cabu a été réunie par Jacques Lamballe et Frédéric Pagès. Tout au long des 360 pages de ce monumental ouvrage, les thèmes sont classés par ordre alphabétique de « Abbé Pierre » à « Jacques Tati », avec des classiques comme « Armée », « Chirac », « Jazz », etc. De ses débuts jusqu’aux dessins les plus récents, c’est une certaine histoire de France, à la fois très personnelle et très drôle, qui défile sous nos yeux. Il faut saluer aussi la réalisation artistique de ce livre qui a le bon goût de bien mettre en valeur les dessins de Cabu, par une subtile utilisation des marges et des couleurs. Trente pages de ce livre se déplient et offrent au lecteur un panorama étonnant de l’œuvre de Cabu. Les dessins les plus salaces ont été malicieusement regroupés dans un petit livret cacheté. C’est « L’Enfer » de Cabu… Les âmes sensibles s’abstiendront…

 

Jacques Lamballe et Frédéric Pagès, Tout Cabu, Éditions des Arènes, 2010, 360 p., 39,80 €

 

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