Interview. Brigitte Kernel : "J’espère être arrivée à cette universalité des sentiments et des situations"


Productrice-animatrice de « Lire avec » sur France Inter, Brigitte Kernel a publié Fais-moi oublier et A cause d’un baiser chez Flammarion. Dans Dis-moi oui, nous retrouvons les personnages de deux premiers romans. Nous sommes à la veille de la loi pour le mariage pour tous. Marie et Léa se sont aimées, se sont séparées. Une deuxième chance est-elle possible ? Comment surmonter la trahison, l’orgueil, les rancoeurs, la honte ? Entre Las Vegas, Paris et New York, la narratrice va tout tenter pour reconstruire son couple. Malgré les obstacles, les rencontres toxiques, comme celle d’une créature mytho et la présence d’une mère haute en couleur, elle se bat, elle y croit. Entre rires et larmes, Brigitte Kernel sonde le mystère des couples. Qu’ils soient gay ou pas, fusionnels ou indépendants, ils traversent les mêmes crises. Dis-moi oui nous montre qu’au-delà des épreuves, de l’adultère, le pardon existe. Un roman plein de fureur et de douceur.

 

Qu’est-ce qui est à l’origine de Dis-moi oui ? Un événement, une nécessité ?

Brigitte Kernel : Une première phrase notée sur la page « Notes » de mon téléphone. Et le reste de la page s’est terminée presque par magie, sans que je réfléchisse, dans un café où je me suis arrêtée. J’avais passé quelques mois auparavant à Montréal et j’étais allée jusqu’aux Etats-Unis et, presque par hasard, visité Las Vegas. Une ville que j’ai détestée. Au départ, je ne savais pas ce que la première page inscrite dans mon iPhone entrainerait. Puis tout à coup, à Las Vegas, le kitch à l’excès, l’illusion, la surenchère afin de procurer des émotions et racketter le touriste  m’a rappelé une rencontre, autrefois, avec une personne que l’on peut qualifiée de « hypernarcissique » et « d’escroc des sentiments ». En poussant plus loin dans mon écriture, je suis partie vers la « perversion narcissique » et la « mythomanie à but manipulatoire ». Deux sujets assez fascinant pour les romanciers, j’en conviens. Je ne savais pas, au début, que j’emprunterais ce chemin. Et puis, j’avais une envie folle de retrouver des personnages dont j’avais déjà parlé dans deux livres précédents Fais-moi oublier et A cause d’un baiser. Il me fallait continuer une histoire d’amour malheureusement interrompue dans A cause d’un baiser. J’en avais physiquement besoin. Une exigence. Je voulais aussi parler de l’orgueil qui empêche souvent deux personnes qui s’aiment encore de se retrouver après une séparation. De la manière dont on peut parfois se reprendre une histoire interrompue. Oui, une seconde chance en amour est possible. Malgré la trahison. Le tout est de savoir dire, confier ce qui a été vécu de part et d’autre lors de la séparation et d’admettre que lorsque l’un trompe, c’est qu’il y avait une micro faille, ou une plus large entaille dans le couple. La faille peut être corrigée… J’avais également envie de redonner espoir à ceux qui rêvent leur amour perdu et craignent de ne pas réussir à retrouver la femme ou l’homme de leur vie. Et cela vaut pour les couples gays comme pour les couples traditionnels. Je n’ai pas voulu faire un livre communautaire. L’amour est le même pour chacun. Mon principal objectif, si toutefois on peut parler « d’objectif » en littérature, était de rester, quoi qu’il se passe pour mes personnages, dans le sujet universel qu’est l’amour. 

 

La jalousie est un moteur romanesque, le sujet de Dis-moi oui…

C’est l’un des sujets, oui. Le moteur de départ car je voulais que mon héroïne soit au départ en état de sidération devant la « violence-jalousie » de sa nouvelle et impossible liaison.

 

Vous ne ménagez pas vos personnages : violence, manipulation, mensonge ; ils souffrent, comme de nombreux couples. Que vouliez-vous montrer ?

Je voulais parler de cette violence qui existe dans certains couples, violence mentale extrême et qui peut conduire au suicide. La perversion narcissique est grave, meurtrière. Celui ou celle qui emprisonne sa victime la séduit, se fait fascinant ou fascinante, se rend indispensable, l’isole, surfe sur ses failles, pour enfin faire chuter psychologiquement sa proie et contempler sans le moindre embarras, sans la moindre culpabilité ou peine, son œuvre. Car telle est sa jouissance : la destruction de l’autre. Cela existe aussi entre femmes. Je voulais le dire. Avertir. Crier « si vous vous reconnaissez dans cette situation, fuyez, parlez, confiez-vous, réagissez ». C’était aussi une manière pour moi de sortir de cette image très Billitis (cf le film) des amours existant entre eux femmes. L’amour existant entre deux êtres est le même que l’on soit homme-femme, femme-femme ou homme-homme. Il y a du très beau heureusement dans la majorité des cas mais il peut aussi y avoir du très laid. De la violence ou du très paisible. Bref, rien que de très habituel et universel, finalement. En tout cas, j’espère être arrivée à cette universalité des sentiments et des situations.

 

Comment sortir de cette spirale infernale ?

En fuyant, en parlant avec ses amis les plus proches, en comprenant enfin ce qui vous est arrivé, sur quelle personne vous êtes tombé(e) Il faudrait pouvoir déposer des mains courantes afin de protéger les prochaines victimes de ces sociopathes. Sortir de cette spirale, oui, c’est possible, les amis les plus proches finissent généralement par comprendre et aider…

 

Quel est le secret des couples qui durent ?

L’amour évidemment. Et la parole. Je crois qu’il n’y a que les mots, les échanges, la communication, le recul à deux, le respect aussi qui peuvent éloigner des reproches, des agacements et tous ces petits problèmes rencontrés par les couples qui durent. Et puis, il y a le pardon, évidemment.  Tant qu’on est dans l’humain, on peut comprendre et pardonner. Ce qui n’est pas pardonnable se situe sur une ligne rouge : lorsque qu’une situation verse dans l’inhumanité.

 

Comment écrivez-vous ? Préparez-vous un plan ? Retravaillez-vous beaucoup le texte ?

J’écris chaque jour, sans relâche, pendant des mois et en m’isolant. J’adore ces périodes. Je n’ai pas de plan, juste une idée plus ou moins précise de la fin du roman. Et les lieux, la géographie, qui ont pour moi une importance symbolique forte. Je travaille et retravaille beaucoup, oui, c’est un des moments que j’aime beaucoup dans l’écriture, quand tout est écrit et qu’il faut quasiment tout reprendre, tout recomposer.

 

Pouvez-vous nous parler de votre travail à France Inter ?

Je lis les autres. Je parle de leurs livres. Et surtout, j’oublie que j’écris. C’est le minimum, s’oublier. La radio est une autre écriture, plus spontanée, moins solitaire. J’ai la chance, qui plus est, de travailler dans un média qui est exceptionnel, France Inter, qui conjugue culture, exigence, ouverture d’esprit, professionnalisme et véritable affection pour ses auditeurs qui le lui rendent bien Et puis, étant auteur moi-même, je sais à quel point, pour les écrivains, il est important d’être lus et accompagnés. Je fais donc de mon mieux pour être accompagnante, motivante et aussi critique.

 

Les romans que vous aimez : auteurs disparus et vivants…

Beaucoup… Zweig bien-sûr. Mais aussi Tennessee William, surtout ses nouvelles. Carver, Ford, Capote. Les écrivains de la beat génération comme Kerouac. Egalement, un peu en vrac car il y en a tant…  Gide, Camus, essentiels, Marguerite Yourcenar, Patricia Highsmith et ses « Ripley » qui m’inspirent souvent (c’est aussi elle qui a écrit Carol, une histoire d’amour entre deux femmes), Virginia Woolf, Michel Tournier. Je ne peux tous les citer…. Dans les contemporains, j’aime beaucoup Olivier Adam, Virginie Despentes et bien d’autres…

 

Que faites-vous quand vous avez du temps libre ?

Il n’y a pas une journée où je ne marche pas 6 ou 7 kilomètres. Je prends peu le métro, le bus et me déplace un maximum à pieds. Je suis aussi très yoga et méditation. Lorsque j’ai du temps libre, je marche alors encore un peu plus, dépasse les 10 kilomètres, je prépare un voyage en Mongolie ou au Québec, mes pays de coeur, je rêve du jour où je pourrai m’y installer, quelques années dans l’un, quelques années dans l’autre.  Dans ces moments de liberté, je regarde aussi beaucoup le plafond (sourire), rêvasse et, précisément en ce moment, je pense beaucoup à Olive, ma petite chienne adorée, que je viens de perdre et qui est restée 15 ans auprès de moi, la truffe à quelques centimètres de mon ordinateur lorsque j’écrivais. Ma plus fidèle collaboratrice… Je vais repartir en écriture sans elle, c’est étrange et douloureux…

 

Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson (février 2015)

© Photo : David Ignaszewski/Koboy

 

Brigitte Kernel, Dis-moi oui, Flammarion, janvier 2015, 322 pages, 19 €

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