Interview. Eliette Abécassis, Alyah : La tentation du départ


Dans son nouveau roman, l’auteur de Qumran et de  Sépharade campe une professeur de français, juive, divorcée, choquée par les attentats de janvier au point qu’elle hésite à rester en France. Un texte qui interroge l’identité et s’attaque à l’antisémitisme.

 

Décrivez-nous votre héroïne

Esther Vidal est juive pratiquante, alsacienne et surtout française. Elle donne des cours à Argenteuil, mais n’arrive pas à se faire respecter de ses élèves. Elle doit affronter des incivilités, des jeunes qui semblent l’apprécier, mais lui demande sans cesse si elle est « feuj ». Dans le métro, elle prend garde que ses enfants n’évoquent pas de thèmes juifs, elle ne sort plus avec un signe distinctif autour du cou, elle chuchote son nom à la poste quand elle doit chercher un colis, bref elle a peur. C’est la France de 2015 que je décris.

 

Esther a mal à sa France. Et vous ?

Oui quand on voit les manifestations de l’été dernier, les cris de mort aux Juifs, puis les attentats, on peut raisonnablement se sentir inquiets, en tant que juifs, mais aussi en tant que français. L’antisémitisme est toujours une maladie de soi, une gangrène, la conséquence d’une grave crise morale.

J’ai commencé à écrire ce livre l’été dernier après les manifestations de haine dans Paris, dans l’urgence et l’angoisse alors que j’étais sur un autre projet. Ce livre s’est imposé à moi, comme un cri de colère et d’impuissance.

 

Vous avez des mots très durs pour le politiquement correct

Oui, il sévit dans notre pays ; comment se fait-il que les terroristes soient connus des services de sécurité, qu’ils soient tous passés par la prison ? Pourquoi n’a –t-on pas entendu dans la grande manifestation du 11 janvier beaucoup de « Je suis juif » ? Si l’on n’avait tué que des victimes juives, le peuple de France serait il ainsi descendu en masse dans la rue. Ce sont des questions extrêmement dérangeantes, j’en conviens. On n’ose pas dire les choses, dire la réalité et désigner l’ennemi. Et en tant que professeur je m’interroge : comment peut on combattre ce qu’on ne peut nommer ?

 

Que signifie le mot « alyah » ?

Il désigne pour les juifs l’acte de partir s’installer en Israël, il y a dans ce mot une notion d’élévation, de progression. Cela peut être aussi un refuge. Mon héroïne hésite entre rester dans son pays la France qu’elle aime tant, et partir pour Israël afin de se sentir en sécurité. elle a perdu ses repères, ne sait plus quel chemin suivre. Ce sont des interrogations que j’ai moi même et que j’entends autour de moi. Je n’ai aucune envie de m’en aller, mais quel sera l’avenir de mes enfants ici ?

 

Vous écrivez aussi une histoire d’amour

Mon personnage vit en effet deux histoires d’amour, l’une avec Julien, l’autre avec Stéphane, mais là aussi ça ne se passe pas bien. J’ai tenté de montrer deux formes d’amour, celui que l’on ressent pour son pays et celui que l’on peut avoir pour un homme. Et là encore, il est question de malentendus, de fuites, de chagrins.

 

Propos recueillis par Ariane Bois (mai 2015)

© Photo : Frédéric Chiche

 

Eliette Abécassis, Alyah, Albin Michel, mai 2015, 242 pages, 18 € 

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