Interview. Stéphanie Hochet, Un roman anglais : Émancipation, non-dits et paradoxes


Trois questions à Stéphanie Hochet, auteur d’une œuvre singulière, à l’occasion de la parution de Un roman anglais, où il est question d’émancipation dans la bonne société post-victorienne.

 

Pour Un roman anglais, vous vous êtes inspirée en partie de la vie de Virginia Woolf…

Pour être précise, je dirais que je me suis surtout inspirée de la période et du genre de femme qu’était Woolf ; mais ce n’est pas la vie de Woolf. Cela aurait pu être elle, ou une espèce de fantôme, si j’avais imaginé qu’elle en soit restée à des œuvres de traduction ou des analyses littéraires et qu’elle ait eu un enfant, ce qui change fondamentalement la donne. On connaît la théorie de Viviane Forrester dans la biographie qu’elle lui consacre selon laquelle un de ses plus grands désirs était d’avoir un enfant. Mais cela n’aurait-il pas bouleversé sa vie jusqu’à en faire une femme totalement différente ?

En réalité, le cœur du livre est aussi ce lien à la maternité qui est un lien total, c’est-à-dire d’amour fou et de destruction potentielle. En revanche, la référence intertextuelle est le premier tome du journal de Virginia Woolf : je me suis inspiré de cette période, j’avais en tête le groupe de Bloomsbury, le climat de la Première Guerre mondiale, le chassé-croisé entre campagne et ville, et, partant de ce terreau, j’ai créé mon univers fictionnel.

 

Le fil narratif est l’histoire d’une jeune femme qui veut s’émanciper de son milieu.

Elle y parviendra, mais sans l’avoir consciemment décidé, simplement en le vivant et en prenant conscience de tout ce qui se passe autour d’elle, que ce soient les évènements historiques, la guerre en toile de fond, nous sommes en 1917, la disparition de son cousin, les suffragettes (le mouvement d’émancipation des femmes) etc. Anna se pose énormément de questions, elle vit dans un milieu somme toute classique : cette bourgeoise lettrée, mariée, mère d’un petit garçon de deux ans, est le fruit de son éducation, celle d’une femme de cette société qui n’a pas pu aller à l’université, mais a lu les livres de la bibliothèque de son père. L’élément perturbateur sera l’arrivée d’un jeune homme. Elle persuade son mari d’embaucher par courrier pour sa garde d’enfant une certaine George. Elle s’attendait à voir descendre du train une jeune femme. Mais elle s’est trompée sur l’interprétation du prénom. Elle pensait que c’était George comme George Eliot et voici un jeune homme tout à fait normal qui arrive du nord de la Grande-Bretagne. Non seulement il sait s’occuper des enfants, mais il fait preuve d’un réel instinct maternel à l’égard de l’enfant tout en ayant la faculté de rentrer dans son monde. Finalement, cet étranger va fissurer ce petit monde bourgeois. Anna est confrontée à des pulsions extrêmement violentes dont elle prend peu à peu conscience. Ce jeune homme l’aide à les mettre à distance. Mais le jour où il part, tout craque. L’émancipation survient donc au bout du fil narratif. Il faut parfois faire face à des événements extrêmement violents pour prendre des décisions. J’ai voulu aussi traiter du thème de l’ambiguïté sexuelle, avec son lot de non-dits et de paradoxes.

 

Ce n’est pas votre premier roman avec toile de fond historique…

Effectivement. J’avais écrit Combat de la l’amour et de la faim en 2009 qui se déroule précisément à la même époque, entre 1903 et 1929, mais qui, en revanche, se situe dans le sud des États-Unis, sur les terres puritaines hantées par l’idée du péché de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane. J’avais écrit ce livre pour raconter les déboires d’un jeune homme privé de famille et qui, une fois adulte, avait la triste habitude de partir avec l’argent des femmes au point qu’il se fait traiter de voleur, alors qu’il le fait sans violence. C’est une sorte de coureur de dot malgré lui. Il a un comportement quelque peu pathologique. J’avais donc déjà traité une première fois la distance historique et géographique avant d’écrire Un roman anglais et je m’y étais sentie très à l’aise. Pour composer ce genre de livre, il faut connaître l’histoire et la géographie qui s’y rattachent. Je n’ai pas fait de recherches universitaires qui auraient rendu le livre pénible et trop savant. Je suis passée par la littérature. Je veux dire par là qu’il faut partager une certaine familiarité avec la période, y être en quelque sorte chez soi. Que la recherche historique et géographie indispensable n’empêche pas de développer l’invention et la fiction. C’est plus difficile, mais en même temps plus intéressant. Et permet un plus grand voyage littéraire.

 

Propos recueillis par Joseph Vebret (mai 2015)

© Photo : Thierry Rateau

 

Stéphanie Hochet, Un roman Anglais, Rivages, mai 2015, 170 pages, 17 €

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