Stéphane Desa ressuscite Anticipation avec Outre Fleuve.

Voilà qu’une nouvelle collection est venue s’ajouter à l’univers de la SFFF (Science-Fiction, Fantasy, Fantastique) : Outre Fleuve, héritière à sa manière de la vénérable Anticipation de Fleuve Noir. Nous en avons profité pour interroger Stéphane Desa, son premier directeur de collection et découvrir tant les méandres de cette naissance que tout ce qui se profile à l’horizon…

 

 

Bonjour Stéphane, en premier lieu, merci du temps que vous nous accordez. Votre poste est un peu inconnu du public : ni éditeur, qui dirige une (grande) maison, édite des livres et veille à ce qu'ils se vendent, ni auteur, écrivant dans sa tour de marbre des pages et des pages de romans pour n'en garder que l'excellence. En fait chaque maison d'édition voit un peu différemment le dir-coll. Comment résumeriez-vous votre fonction avec Outre Fleuve ?

 

Merci à vous de vous intéresser à la collection Outre Fleuve et de me donner l’opportunité d’en parler.

Le directeur de collection est avant tout un « prospecteur ». Possédant généralement une bonne connaissance dans un domaine précis, il apporte son expertise, ses connaissances ainsi que sa vision éditoriale au sein d’une maison éditant différents genres. En charge, donc, d’un domaine précis, il a pour rôle de créer un catalogue cohérent selon la ligne éditoriale qu’il a déterminée.

On peut donc dire qu’il incarne l’identité de sa collection, celle-ci est à son image à travers les livres et auteurs qu’il choisit et publie.



Et d'un point de vu plus personnel, quel a été votre parcours jusqu'à ce intégrer Fleuve édition et créer Outre Fleuve ? Un amour de la SFFF, un défi à relever ?


Il y a en fait deux chemins parallèles qui m’ont conduit à prendre les rênes de cette collection. Mon parcours professionnel d’une part et celui de lecteur d’autre part. Mais les deux sont intrinsèquement liés, bien sûr. J’ai découvert la SF par Star Wars, les livres avant les films, à 14 ans, et j’ai alors dévoré les grands classiques des littératures de l’imaginaire – j’étais « mordu » – avant de m’intéresser aux productions contemporaines. Des années plus tard, j’arrive à Paris après des études de lettres et de philo avec l’ambition de travailler dans l’édition. Un master pro spé édition et quelques stages plus tard, je décroche mon premier poste d’assistant dans une petite maison de scolaire et travaille parallèlement en free-lance pour Pocket, chez qui je serai ensuite éditeur pendant deux ans. Puis j’ai décidé de retourner au travail en free-lance, essentiellement pour Univers Poche (dont font partie Pocket mais aussi Fleuve Éditions, auquel est rattaché Outre Fleuve). L’année dernière, j’apprends que le poste de directeur de collection se libère avec le projet d’une relance de la collection dédiée à l’imaginaire au Fleuve. Comme on se connaît et qu’on collabore depuis des années, mon arrivée s’est faite très naturellement.

 

 

Tous les directeurs de collection que j'ai pu rencontrer m'ont affirmé une chose : la naissance est pour son directeur aussi précieuse que celle d’un livre pour son auteur. Si vous deviez nous raconter en quelques mots les aventures d’Outre Fleuve, que diriez-vous ?

 

En effet, la naissance d’Outre Fleuve a été un moment particulier, une sorte de rêve éveillé. Fleuve Noir (devenu aujourd’hui Fleuve Éditions) a été un acteur incontournable des littératures de l’imaginaire dès sa création, ou presque, avec le lancement deux ans après sa naissance, en 1951, d’« Anticipation ». C’est quelque chose qui est dans l’ADN de la maison. Bien sûr, cette longue histoire et le riche catalogue qui s’est constitué au fil du temps constituent un magnifique héritage. C’est une formidable motivation pour moi de marcher dans les pas de mes prédécesseurs qui m’ont fait découvrir tant de livres et d’auteurs que je chéris.

En lançant Outre Fleuve, nous voulions à la fois nous placer dans la continuité de ce passé, et en même temps nous ouvrir à l’avenir avec une nouvelle collection s’affichant clairement comme consacrée aux littératures de l’imaginaire (SF, Fantasy, mais aussi fantastique et thrillers horrifiques). Outre Fleuve a vocation à découvrir et à explorer de nouvelles voies. Le défi que nous avons à relever est donc d’amener le plus grand nombre à s’intéresser à des auteurs et des romans hors normes, originaux et iconoclastes, qui redéfinissent les horizons littéraires et repoussent les frontières des genres et de la création romanesque avec leurs écrits. En somme, la plus belle des aventures !

 

 

"Un rêve éveillé", "belle aventure"… À croire que tout se fait facilement. Y eut-il malgré tout un obstacle difficile à surmonter ?

 

Eh bien cela n’a l’air de rien, mais le principal obstacle fut de trouver le nom de la collection. Il était pourtant là, évident, juste devant nous. Et malgré cela, que de circonvolutions, de brainstormings et d’idées farfelues avant de mettre le doigt dessus et de s’écrier : « Eurêka ! »

En toute franchise, je m’attendais à rencontrer une certaine… disons, « retenue », mêlée de circonspection chez mes interlocuteurs lorsque je présenterais mes projets aussi bien en interne qu’auprès des forces de vente. Il faut reconnaître que les pitchs des livres que je publie peuvent paraître peut-être étranges aux lecteurs peu familiers avec les genres.

Mais en fait, l’accueil fut enthousiaste de tous côtés. Il y a une vraie attente et une belle émulation autour de notre programme, c’est à la fois très gratifiant et excitant.

 

 

Une collection pour un domaine aussi particulier que la SFFF est une volonté de mettre à part, d’offrir un regard différent sur ce domaine. D'autant que depuis la fin d'Anticipation, le genre était toujours présent au Fleuve. Quel est donc vôtre regard maintenant ?

 

À l’heure où de plus en plus de romans relevant de l’anticipation, du post-apo ou de la light fantasy sortent dans des collections de thrillers, voire de littérature générale ; où de plus en plus d’éditeurs publient des romans dits « de genre » sans les présenter comme tels, nous souhaitons, avec Outre Fleuve, afficher clairement les couleurs : celles des littératures de l’imaginaire, avec le parti pris assumé de publier de la SF, de la fantasy, du fantastique. Je suis convaincu que ces genres n’ont pas vocation à rester cantonnés à un rayon spécialisé des librairies où ne se rendraient que les geeks, les amateurs éclairés et les mordus d’étrange et de mondes parallèles. Je veux amener le grand public à découvrir ces littératures qu’il croit à tort ne pas lui être destinées, alors qu’il en lit déjà sous couvert de couvertures plus mainstream et qu’il adore suivre les séries et regarder les films qui relèvent de ces univers.

Le domaine de l’imaginaire est tellement riche, je veux faire d’Outre Fleuve le reflet d’une partie de cette richesse et la partager avec le plus grand nombre de lecteurs possible, tout simplement. Que chacun puisse y trouver son bonheur, être surpris, intrigué.

 

 

Fleuve Éditions est connu pour être relativement éclectique. La collection le restera-t-elle ? Quelle ligne souhaitez-vous impulser ?

 

Je vois Outre Fleuve comme une sorte de laboratoire expérimental. Plutôt que de ligne éditoriale, je préfère parler de pérégrinations à travers la multitude des mondes de l’imaginaire. Ce sont mes envies, mes découvertes et mes coups de cœur qui servent de fil conducteur à mes publications. Et j’ai toujours été un lecteur éclectique. La richesse et la diversité des univers des auteurs sont sans limite, alors pourquoi s’en poser ? Mon envie est d’éditer aussi bien des auteurs de SF (space op, anticipation, spéculative SyFy…) que de fantasy (light, dark, high…), de thrillers fantastiques, voire horrifiques. Des séries, des trilogies, des romans uniques, des recueils aussi. Je vois ma collection comme un regard ouvert et curieux sur toute l’étendue des domaines et des formes possibles, sans aucun cadre restrictif.

 

 

Si vous deviez donner quelques conseils à ceux voulant « jouer dans la cour des grands », notamment rejoindre votre collection, quels seraient-ils ?

 

N’hésitez pas ! Lancez-vous ! Nous organisons d’ailleurs un concours pour les nouveaux auteurs, en fantasy, j’y reviendrai.

Plus concrètement, mon premier conseil serait : lisez, beaucoup, et de tout. Soyez curieux, nourrissez-vous des grands auteurs « classiques » comme des contemporains, ne vous cantonnez pas à un genre de prédilection mais allez chercher l’inspiration partout où elle peut se trouver, en littérature comme au cinéma, dans les séries TV, dans l’actualité, etc. Et au moment d’écrire, oubliez tout ! Trouvez votre propre voix, n’écrivez pas « pour quelqu’un » ou « pour être publié », « pour avoir du succès ». Racontez une histoire qui vous tient à cœur et faites-le avec vos propres mots, trouvez votre style.

Enfin, travaillez, relisez-vous avec un œil critique, raturez, réécrivez, ratez pour mieux recommencer. Aucun livre ne s’est jamais écrit d’une traite, le processus d’écriture est fait de retours, de ratures. Efforcez-vous de soumettre aux éditeurs le texte le plus abouti possible, dont vous soyez fier et auquel vous croyez.

Enfin, un dernier petit conseil : soignez votre scène d’ouverture. L’idéal est de plonger immédiatement le lecteur dans le récit et l’action. De l’attraper et de retenir sa curiosité dès les premières pages. Vous aurez tout le temps de poser votre univers et de présenter ses spécificités au fil du récit. Inutile de tout dévoiler dès les premières pages. Au contraire !

 

 

En parallèle du lancement, vous proposez d’ailleurs un concours d’écriture. Vous l’avez déjà évoqué, mais pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

 

Avec plaisir !

Ce concours, en collaboration avec Librinova, reflète notre envie de découvrir de nouvelles plumes, des auteurs français originaux et talentueux qui n’ont pas encore eu la chance de trouver un éditeur. C’est un projet que nous avons construit avec Michel Robert, le parrain du concours et le président du jury qui élira celui qui se verra publié à ses côtés dans la collection Outre Fleuve. Il s’agit donc d’un concours d’écriture d’un roman de fantasy sur le thème imposé « Nouveaux mondes & trahison ».

Pour plus de renseignements, je vous invite à aller visiter la page d’annonce du concours sur notre site.

Le dépôt des manuscrits pourra se faire à partir du 2 mai sur la page dédiée du site de Librinova et sera ouvert pendant six mois.

Voilà, vous n’avez plus qu’à participer ! ;-)

 

 

Quelles sont pour vous les publications à venir qu’il va falloir particulièrement guetter ? La perle de votre lancement qui, à vos yeux, vous offrira une place particulière ?

 

Voilà une question particulièrement difficile. Pour un éditeur, tous ses livres sont ses « petits », qu’il lance avec fébrilité, en croyant en eux, et avec, bien sûr, de grandes attentes. On les aime et donc en choisir un, ou même quelques-uns, parmi tous…

En premier lieu, il y a notre série événement Yesterday’s Gone, qui commence à bien faire parler d’elle et n’a pas fini ! Une série à la croisée des genres, qui se joue des règles pour proposer une nouvelle expérience de lecture sous la forme d’épisodes et de saisons. Entièrement pensé comme une série TV, le récit suit, de chapitre en chapitre, plusieurs personnages dont les destins sont appelés à se croiser dans un monde qui s’est subitement réveillé déserté de la quasi-totalité de ses habitants et envahi par d’atroces créatures…

Et puis, puisque vous m’en donnez l’occasion, je voudrais vous parler aussi de deux coups de cœur personnels, des titres qui me tiennent vraiment à cœur et qui représentent bien, eux aussi, tout comme Yesterday’s Gone, la démarche particulière d’Outre Fleuve.

Tout d’abord, il y a Alice au Pays des Morts-Vivants. Une dystopie post-apocalyptique, inspirée du classique de Lewis Caroll, et qui met en scène une jeune combattante de 15 ans particulièrement badass et douée pour tuer les zombies. Sa vie va basculer quand elle va tomber dans un trou jusqu’au monde souterrain des Morts-Vivants et découvrir la vérité sur son monde…

Et puis il y a Le Camp, de Christophe Nicolas, un thriller tout en tension, impossible à lâcher, et dont les personnages résonnent longtemps en vous. Christophe a un talent exceptionnel pour construire des intrigues fascinantes au suspense particulièrement efficace. Ses livres ne se lisent pas, ils se dévorent. On s’attache immédiatement à ses héros, on vit avec eux et on ressent leurs troubles, leur incompréhension face aux événements dans lesquels il les jette avec une certaine cruauté. Je qualifie ses romans de « paranormaux », Christophe s’amusant avec les codes pour mieux surprendre le lecteur et questionner la rationalité des hommes et de notre monde. C’est pour moi une vraie découverte à ne surtout pas manquer !

 

 

Propos recueilli par Pierre Chaffard-Luçon, avril 2016.

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