Interview. Olivier Guez : "Sur ce sujet, il n’y avait pas de publications en français"

 

Avec son nouveau roman, La disparition de Josef Mengele, qui narre la fuite après 1945 du médecin nazi le plus célèbre du Reich, Olivier Guez était présent sur plusieurs listes de prix littéraire. Le livre incontournable de la rentrée vient d’obtenir le prix Renaudot 2017.

On l’appelait « L’ange de la mort » à Auschwitz tant son savoir de médecin ne lui servait pas à soigner mais à torturer des hommes, des femmes et des enfants au nom de prétendus recherches en génétique humaine. Le criminel contre l’humanité Josef Mengele n’a jamais répondu de ses crimes et a terminé ses jours, vieillard, en Amérique du Sud. L’écrivain Olivier Guez se penche sur cette fuite de plusieurs décennies et sur la personnalité de ce criminel.

Le fugitif sera bien accueilli dans l’Argentine des Perón dont l’idéologie totalitaire convient au Nazi qui sera même convié par le chef d’état lors de soirées spéciales réunissant les Allemands fraîchement débarqués dans le pays. Affublé du nom Helmut Gregor, le médecin de la Wehrmacht a échappé à l’Armée rouge, est resté quelques temps en Bavière sus une fausse identité pour fuir l’Europe via l’Italie. Si ses débuts en Argentine le forcent à la discrétion, le criminel de guerre va faire son trou de façon confortable dans ce pays où les gens « se foutent des chamailleries européennes et en veulent toujours aux juifs d’avoir crucifié le Christ ». Mengele est riche et se retrouve dans un pays où les nazis ont leurs réseaux (leur journal, Der Weg, leurs groupes de soutiens constitués d’huiles et de mandarins du Reich), il emménagera dans une villa somptueuse où une bonne autrichienne s’occupera de ses repas… « Gregor » se révèle assez habile quand il s’agit de se lier avec des hommes qui peuvent lui rendre service. Il mène grand train : théâtre, réceptions, voyages dans la pampa quand il fait chaud, chez un pilote SS où l’on organise des processions de flambeaux en hommage au Führer. Il dirigera une charpenterie et une fabrique de meubles, pratiquera des avortements clandestins interdits dans cette dictature aux relents catholiques. Il rencontre même Adolf Eichmann – les deux hommes, de personnalité opposée, se méprisent mutuellement. L’ancien médecin d’Auschwitz a beau être bien loti, il maugrée, regrette l’Europe, ronchonne sur son sort, regrette sa femme sa femme Irene dont il a dû divorcer – sa décision à elle – regrette son fils Rolf qu’il ne reverra qu’à l’âge adulte et qui le jugera pour ce qu’il est : un tortionnaire. Il retrouvera pourtant une femme dévouée, Martha. Le problème c’est que plus le temps passe, plus le public connaît les atrocités commises dans les camps d’extermination et quand Eichmann se fait kidnapper par le Mossad, Mengele voit venir sa dernière heure. Il ira se mettre à l’ombre au Paraguay. Heureusement pour lui, le Mossad a soudain d’autres priorités. Mengele passe entre les mailles du filet des chasseurs de nazis. Quand il sentira qu’il s’est fait oublier, retour en Argentine où il mourra noyé à 67 ans lors d’une partie de campagne.

Olivier Guez nous fait entrer dans l’intimité d’un tortionnaire encore mal connu. Révélant son narcissisme, sa mesquinerie alliés à son absence totale de remise en question, l’auteur fait un portrait précis et ironique d’une incarnation de la banalité du mal.

 

De quand date votre intérêt pour Mengele ?

Mon intérêt pour Mengele s’est construit en plusieurs temps. Une cause directe fut mon travail sur le scenario de Fritz Bauer (juge et procureur allemand à l’initiative des procès dit « d’Auschwitz » à Francfort-sur-le-Main où comparurent des gardiens du camp d’Auschwitz. Réunissant des renseignements sur les criminels nazis vivant en Amérique du Sud et les livrant au Mossad, il permit l’arrestation d’Eichmann.) Je me suis alors intéressé aux nazis vivant en Amérique du Sud. Sur ce sujet, il n’y avait pas de publications en français.

Dans un deuxième temps, au moment où j’ai écrit Les Révolutions de Jacques Koskas (2014), j’abordais le thème de l’après 45 mais avec une légèreté ironique. La disparition de Josef Mengele est la version sombre de cet après 45.

Avez-vous hésité entre le roman et la forme biographique ?

J’ai toujours été tenté par le roman. Je cherchais à écrire un récit à dimension romanesque en pensant à un texte de référence : De Sang froid de Truman Capote. Le roman permet de parler des rêves des personnages. C’est le seul moyen d’être dans un style exigeant d’un point de vue littéraire.

Comment avez-vous fait pour construire votre personnage ? Quand on vous lit on le sent vraiment, c’est comme si vous l’aviez connu.

Tout est basé sur beaucoup de recherches, de prises de notes. J’ai lu toutes les biographies, je n’ai rien inventé.

Selon vous, l’Occident a-t-il voulu fermer les yeux sur les multiples soutiens dont bénéficiaient les criminels nazis, en Amérique du Sud mais aussi en Europe ? Cet aveuglement est-il encore d’actualité ?

Après la guerre, on a voulu reconstruire : on a fermé les yeux. On vivait un temps d’amnistie générale. Prenez l’Allemagne. Tout l’appareil judiciaire avait servi l’état nazi. Il aurait fallu démembrer l’Allemagne si on avait coupé toutes les têtes associées au nazisme. Aujourd’hui, on est toujours dans l’après 45 et les histoires de l’après 45 sont toutes aussi intéressantes. Ce qu’il s’est passé durant la Deuxième Guerre mondiale est la matrice de notre société contemporaine. Et malheureusement, tout peut recommencer toutes les 2 ou 3 générations. En cela, le 11 septembre 2001 a ouvert le siècle.

Propos recueillis par Stéphanie Hochet

Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele, Grasset, août 2017, 240 pages, 18,50 €

> Lire un extrait de La disparition de Josef Mengele d'Olivier Guez

[Cet article est paru une première fois dans Le Jeudi du Luxembourg]

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