Interview. Zoë Lescaze, Paléoart : "Ça en dit beaucoup sur l’être humain"

Le goût pour la nature disparue et le gigantisme des espèces inspire et réunit des artistes américains talentueux.

L’un, Walton Ford, peint des animaux grandeur nature et joue des références avec les planches de peintures coloniales du XVIIIe siècle, l’autre, Zoë Lescaze, fouille les musées du monde entier pour frémir devant des représentations de gigantesques lézards disparus bien avant l’apparition de l’homme sur terre. On connaît d’ailleurs mal cet art né à partir de la fin du XVIIIe siècle et qui prit son essor jusqu’au début du XXe siècle et qu’on nomme aujourd’hui art paléo.

Il faut un esprit particulier comme celui de Zoë Lescaze pour mettre en lumière ces planches un peu oubliées, peut-être à cause de leur côté vintage. Mais il faut y regarder de plus près. Ces œuvres révèlent la vision et les fantasmes des artistes de ces époques soudain fascinés par les fossiles et le monde animal qui leur restait à imaginer.
Le premier à pratiquer l’art paléo est un pasteur et géologue (les deux vocations n’étaient pas contradictoires) anglais, Henry Thomas de la Beche, célèbre pour sa lithographie intitulée Duria antiquior, qui réunit nombre d’espèces marines et volatiles du paléolithique. Des dizaines d’animaux inquiétants se livrent à des dévorations, des attaques dans l’espace de la feuille de papier. Les années 1830 sont une époque de bouleversements scientifiques : le Royaume-Uni envoie ses émissaires défricher des continents exotiques. Ceux-ci reviennent avec les fameux fossiles. On comprend par l’étude de ces derniers que la terre est bien plus ancienne qu’on ne l’avait imaginé - et que la Bible l’avait affirmé.
Pour les artistes, représenter ces animaux était une manière de les « ressusciter », de façon à éprouver une frayeur peut-être comparable à celle de la lecture de Frankenstein (le roman est contemporain).

Walton Ford pourrait être l’héritier de ces artistes de l’art paléo, lui aussi peint des animaux sauvages avec un sens de la dramatisation qu’ils n’auraient pas renié. Dans son livre Pancha Tantra, les bêtes sont également en rébellion, souvent elles attaquent ou défient le spectateur, par leur posture fière et imposante. A force d’avoir dominé le monde, l’homme regretterait-il le moment où il tremblait face aux animaux sauvages ?

Nous avons demandé à Zoë Lescaze de répondre à nos questions :

Quand vous est venue cette passion pour l’art paléo ?
J’ai grandi à New-York et mon endroit préféré au monde était le Musée d’Histoire Naturelle où je pouvais voir d’étranges fossiles. Je tentais d’imaginer leur aspect à l’état vivant et c’était exactement l’objectif des artistes de l’art paléo. Ce qui m’intéresse encore plus que les fossiles, c’est la vision de ces artistes modernes qui donnèrent leur perception de ces animaux. Ca en dit beaucoup sur l’être humain, sur ce qu’il fantasme et ce qu’il craint.

Qu’est-ce qui vous intéresse le plus à propos de ces découvertes ?
La diversité de cet art est impressionnante. Certaines gravures sont inquiétantes, d’autres sont d’un grand raffinement dans le traitement des couleurs, on y voit aussi des mosaïques de l’Art Nouveau, d’autres rappellent les œuvres de Fauvistes et des Impressionnistes… Un des plus grands artistes de l’art paléo, Charles R. Knight, représentait les dinosaures comme Monet peignait les meules de foin.

Comment avez-vous rencontré Walton Ford ? Vos univers sont complémentaires.
J’ai découvert son travail quand j’avais 17 ans. Ma mère m’avait offert son livre, elle était certaine que sa vision violente et séduisante de la nature allait me plaire. Quatre ans plus tard, à l’université, j’ai écrit une thèse en histoire de l’art sur son œuvre en axant ma recherche sur les liens avec l’univers de la taxidermie du début du XXe siècle. Je l’ai interviewé par téléphone. Nous ne nous sommes rencontrés qu’en 2013, il a lu mes articles et m’a contactée via le journal. Nous avons sympathisé en échangeant sur nos passions communes. J’ai pu discuter en profondeur de l’art paléo avec lui. Il m’a également aidée quand j’ai voyagé dans le monde (Etats-Unis, Europe, Russie etc.) pour collectionner les œuvres, dont certaines n’avaient pas été reproduites professionnellement.

Vous êtes également artiste peintre. Quels sont vos projets dans ce domaine ?
J’espère publier d’autres livres d’art. Je peints et j’écris, j’aimerais lier ces deux activités. Me connaissant, je me vois associer l’art et la science et les images inhabituelles que l’on rencontre à leur croisement.

Propos recueillis par Stéphanie Hochet

Zoë Lescaze, Paléoart. Visions des temps préhistoriques 1830-1980, Éditions Taschen, juillet 2017, 292 p. -, 75 €

Walton Ford, Pancha Tantra, Editions Taschen 2015, 304 p. -, 29,99 €

[Interview parue initialement dans Le Jeudi (Luxembourg)]

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