Brigit Bontour : Le goût des animaux

À travers ce florilège de textes sur les animaux brillamment choisis et présentés par ses soins, Brigit Bontour nous donne à réfléchir à la place réservée par l’homme à l’animal des temps les plus anciens à aujourd’hui. Grâce à une sélection aussi originale qu’opportune ainsi qu’à des commentaires d’une grande pertinence, l’autrice fait de cet opus un véritable manifeste en faveur des animaux, nous démontrant qu’ils sont reliés à la part à la plus noble de l’être humain.

 

- Avant de parler spécifiquement de cet ouvrage, pouvez-vous nous dire quelques mots de la belle collection Le goût de éditée au Mercure de France dans laquelle il s’inscrit ? Quel en est le principe ?

Créée en 2002 par Isabelle Gallimard, la collection, Le goût de regroupe des anthologies littéraires, consacrées à des villes, des régions des pays ou des thématiques diverses. La collection compte aujourd’hui 373 titres aussi différents que Le goût de Paris, Le goût de la nuit, Le goût du bouddhisme, Le goût du champagne
Chaque ouvrage est confié à un auteur spécialiste du sujet ou s’y intéressant de près.

- Quel a été votre cahier des charges pour Le goût des animaux ? Avez-vous eu toute latitude dans le choix des textes ? Comment avez-vous orchestré la sélection dans le foisonnement des auteurs dont les œuvres traitent des animaux ?

Le cahier des charges est le même pour tous les volumes de la collection : une trentaine de textes  avec une introduction et un commentaire. J’ai d’abord soumis un plan pour lequel j’ai eu une entière liberté.
Le choix des textes s’est fait très facilement : D’abord à partir de mes souvenirs de lecture. J’ai toujours beaucoup lu et je me suis toujours intéressée aux animaux. Le lion de Kessel, Cheval de guerre de Morpurgo, Les contes du chat perché se sont imposés d’emblée. Je n’ai jamais oublié l’émotion que j’ai ressentie en lisant ces titres liés à l’enfance et à l’adolescence. Ensuite il y a les livres plus récents comme Cavalier seul de Jérôme Garcin. Je pleure toujours quand je relis le passage où il est contraint de laisser son vieux cheval  et sa jeunesse au pré…
Les autres choix  se divisent en trois parties : les incontournables comme Le chat de Baudelaire, La chatte de Colette, des textes d’une pure beauté littéraire, les textes plus militants et enfin les grands classiques.

Très intéressée par la lutte  du parti animaliste ou l’association L214,  j’ai choisi des extraits de Jean-Baptiste Del Amo qui, dans Règne animal, dénonce l’élevage intensif, d’Elisabeth de Fontenay ou de Boris Cyrulnik qui réfléchissent à la place de l’animal d’une façon magistrale. L’un des plus beaux passages que j’ai jamais lus sur les vaches est  "Rumination" dans Le Silence des bêtes d’Elizabeth de Fontenay.

- C’est une anthologie très personnelle que vous nous offrez-là, n’est-ce pas ?

Oui, c’est en effet ma vision très personnelle de l’animal. L’animal qui m’a toujours accompagnée dans ma vie et dans mes lectures d’enfance, d’adolescence et à l’âge adulte. D’abord l’animal confident, l’animal doudou, la prise de conscience de la place fondamentale de l’animal dans le développement de l’humanité et la révolte devant le sort réservé à des milliards d’animaux. Sait-on qu’environ 60 milliards de bêtes sont décimées chaque année par l’homme ? Et toujours dans des conditions de mise à mort épouvantable ?

 Les premiers chiens qui ont permis l’élevage étaient des loups apprivoisés, les grandes conquêtes ont été effectuées grâce aux chevaux. On parle à juste titre de la boucherie qu’a été la guerre de 14 pour les hommes. Mais pour les chevaux, les animaux ? Quatorze millions de bêtes on été enrôlées (chiens, pigeons, bœufs). Onze millions de chevaux sont morts, mais combien d’autres ?  Et à Azincourt où durant  la retraite de Russie, combien sont tombés ?

À Paris, une simple plaque atteste de leur martyre. Un monument  commémoratif a été refusé par l’ancien maire du treizième arrondissement au motif qu’il ne faut pas mettre sur le même plan vies humaines et vies animales !
Un nouveau projet serait prévu. On sait très peu que certains chevaux qui ont combattu, été blessés, soignés comme les compagnons fidèles, les frères d’armes qu’ils étaient, ont été envoyés à l’abattoir parce qu’il coûtait trop cher de les rapatrier dans leur pays d’origine à la fin du conflit. C’est le propos de Cheval de guerre.

Et puis, il y a évidemment le sort des animaux de l’élevage intensif, des chevaux et taureaux de corrida, des chiens que l’on achète dans les animaleries à Noël et qu’on jette en janvier parce qu’ils embarrassent et ne servent à rien… de ces compagnons devenus vieux que l’on fait euthanasier au moment des fêtes parce qu’ils sont devenus sales et moches et que devant les invités, cela ferait tache. Tout cela me révolte profondément, d’où mon admiration pour L214 ou le parti animaliste.

Gandhi affirmait déjà il y a plus de cent ans qu’on juge une société à la façon dont elle traite ses animaux. Avant lui, Montaigne, Tolstoï ou Léonard de Vinci disaient la même chose. Dans notre société moderne, il a fallu attendre 2015 pour que l’animal ne soit plus considéré comme un objet, même si les animaux domestiques sont toujours des animaux de rente, donc objets commerciaux. Il faut attendre 2021 pour que le broyage des poussins soit (peut-être) interdit, le projet d’installer des caméras dans les abattoirs n’a pas été accepté par les députés. On voit qu’il reste du chemin à faire.

- Serez-vous d’accord avec moi si je dis que vos choix et vos commentaires invitent le lecteur à voir en l’animal un égal de l’homme ou, du moins, à porter un regard de profonde humanité sur l’animalité ?

Voir l’animal en égal de l’homme, je ne sais pas, mais le respecter et changer notre regard sur l’animalité, oui, absolument. L’animal n’est pas un jouet. Il est un mammifère comme nous, il a des affects et des préférences, des goûts, des affinités, comme les humains. L’un des passages les plus bouleversants du livre d’Elisabeth de Fontenay est le parallèle qu’elle établit entre l’abattage des animaux et les massacres de masse des êtres humains sous le régime nazi. Elle compare la terreur des déportés qui, descendant des trains, subissaient la haine et la rage dans une langue inconnue, à celle que les animaux privés de parole éprouvent quand ils arrivent à l’abattoir.

Elisabeth de Fontenay, qui est la philosophe de l’énigme de l’animalité, ne demande pas l’égalité entre hommes et animaux, contrairement aux anti-spécistes, mais le respect entre eux et nous, qui partageons la même solidarité de destin.

Nous ne connaissons pas, ne  comprenons pas  les animaux, mais je place en exergue la phrase de Montaigne : Il se trouve plus de différences de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme. La fondation de la SPA ne remonte qu’au 2 décembre 1845. L’idée de la protection animale est donc récente, même si Zola et Hugo y était déjà favorables et que les premiers chiens d’aveugles sont représentés sur les murs de Pompéi. Quant à l’attachement entre l’homme et le chien, il remonte à la nuit des temps. J’ai choisi pour l’illustrer, le texte dans lequel Ulysse, revenant après vingt ans de guerre, est reconnu et fêté par Argos, son chien qui meurt de joie en le revoyant. Encore plus ancien, nous pouvons juger du rôle des bêtes dans l’antiquité grecque, romaine, égyptienne. Ils étaient des dieux.

- Je suis sensible à la façon dont vous avez structuré le recueil en trois titres, ce qui rend, à mon sens, votre propos encore plus parlant car vous finissez par l’enfant pour qui l’animal est un ami, un doudou, un proche, rappelant à tous combien il nous relie à cette part à la fois innocente, perceptive et lumineuse de nous-mêmes.

Certains lecteurs ont été un peu étonnés, voire brusqués par les choix des extraits les plus durs au début. D’autres m’ont dit leur heureuse surprise de trouver autant de textes forts sur la condition animale ; ils s’attendaient à plus de sentimentalisme peut-être. Je crois qu’il faut être conscient du sort qui leur est fait et lutter pour qu’il s’améliore, mais ne jamais oublier le plaisir simple qu’ils nous apportent : la joie pure du chien qui vous voit rentrer, son bonheur de partir en promenade, ses expressions quand il désire quelque-chose, sa douceur, son empathie quand vous êtes triste. Il faut aussi admirer le chat, plonger dans ses beaux yeux de métal et d’agate, respecter son indépendance et sa fausse impassibilité. Léonard de Vinci disait que : chaque chat est une œuvre d’art.

Il ne faut jamais se lasser d’écouter les oiseaux, de voir le tout petit peuple des jardins, ce renard au loin dans la plaine, ces chevreuils à l’orée du bois quand tombe le jour, ces faisans qu’on ne voit plus beaucoup…

- Avez-vous un ou des animaux domestiques et, si oui, quel rapport entretenez-vous avec lui ou avec eux ?

Oui,  j’ai été élevée à la campagne au milieu d’animaux. j’ai un setter anglais, recueilli auprès d’une famille qui l’aimait beaucoup mais n’avait pas prévu que la petite boule de poils allait devenir un grand et beau chien très collant. Ses anciens maîtres avaient effectué un casting drastique et très touchant pour que leur chien soit confié à quelqu’un qui l’aimerait vraiment…
Avant lui, j’avais eu deux autres setters adoptés à la SPA. Traversant un deuil et allant mal à une époque, le premier avait perdu tous ses poils, comme s’il s’appropriait ma peine…
Perdre mes deux premiers chiens, (le deuxième avait dix-huit ans) a été une épreuve assez comparable à celle que l’on éprouve quand on perd un ami ou un parent. Je n’ai pas honte de le dire et je m’aperçois que c’est un sentiment très partagé.

-  Pour finir, je souhaiterais savoir si vous avez pris plaisir à cet exercice très particulier qu’implique cette collection Le goût de et si vous comptez le renouveler autour d’un autre thème ?

J’ai adoré écrire ce Goût des animaux. Retrouver des textes un peu oubliés, en redécouvrir d’autres et les relier entre eux. Je ne me souvenais pas que Kessel, le grand aventurier, le baroudeur, avait pu écrire des lignes aussi belles que : Une gazelle en vérité, mais si menue que ses oreilles ne m’arrivaient pas aux genoux, que ses cornes étaient pareilles à des aiguilles de pins et que ses sabots avaient la dimension d’un ongle

De plus, je me suis aperçue plus que jamais de la justesse de défendre la cause animale  avec la pandémie. C’est une absolue nécessité pour la survie même de l’homme. On sait maintenant que le Coronavirus est dû (entre autres) à la trop grande proximité entre hommes et animaux ou plutôt à l’appropriation par l’homme des territoires dévolus depuis la nuit des temps aux animaux. Dans ce cas précis, ce sont les chauves-souris et le trafic des pangolins. En Inde, ce sont les tigres mangeurs d’hommes. Mais avant que la démographie n’explose, les villes n’empiétaient pas sur l’habitat des tigres, les accidents étaient rarissimes.
Le même problème  se pose en Afrique : nous avons tous en tête cette image glaçante des girafes du Parc National de Nairobi sur fond de gratte-ciels. Les girafes ne se rapprochent pas des villes. C’est l’inverse, elles ont le même habitat depuis des temps immémoriaux et dans l’affrontement humain-animal, ce ne sont jamais les animaux qui en sortent gagnants !

Selon le 12e rapport du WWF, datant de 2018,  la terre a vu ses populations de vertébrés sauvages décliner de 60 % entre 1970 et 2014. La population des éléphants en Tanzanie a diminué de 86 % depuis 1976. Au niveau mondial, 25 % des sols sont encore exempts de l’empreinte humaine. En 2050, si rien n’est fait pour endiguer la surpêche, la chasse, l’explosion démographique, nous ne verrons plus les tigres et les éléphants que  dépérir dans les zoos.

Quant à ma participation à cette magnifique collection Le goût de, j’ai deux autres projets. Un deuxième opus va paraître en septembre, un troisième en 2021 et je tiens à remercier Isabelle Gallimard pour la confiance qu’elle m’accorde.

 

Propos recueillis par Cécilia Dutter, (juin 2020)

 

Brigit Bontour (sous la direction de), Le goût des animaux, Mercure de France, juin 2020, 127 p.-, 8€

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