Rencontre avec Oliver Stone propos d'Edward Snowden

Oliver Stone n’est résolument pas un cinéaste comme les autres. Pendant que beaucoup se contentent de filmer des super-héros volant au secours de la planète à grand renfort d’effets spéciaux et que d’autres se galvaudent dans des remakes facilement oubliables, lui continue de se battre. Car la plupart de ses films sont des combats. Pour une plus grande liberté, contre toutes les tyrannies. N’oublions pas que Stone est avant tout un réalisateur, c’est-à-dire qu’il sait mettre en images ses histoires. Snowden n’échappe pas à cette règle. Une mise en scène soignée, efficace qui met en valeur le propos. Et quel propos : nous sommes tous sur écoute. C’est ce que révéla Edward Snowden, bien placé pour en parler. Dès que nous nous connectons, par internet ou par téléphone, nous sommes surveillées. De jour comme de nuit, partout dans le monde. De quoi faire réfléchir…


Comment s’est construit ce film ?

J’ai eu le privilège de rencontrer Edward Snowden neuf fois dans différents hôtels de Moscou et il m’a raconté des choses qu’il n’a jamais racontées aux autres. Pour un garçon de 29 ans, je l’ai trouvé très courageux mais, au départ, je n’avais pas l’intention de faire un film sur lui. Mais, au fur et à mesure de nos conversations, j’étais admiratif. Rapidement, la question n’était plus de savoir si on allait faire un film mais comment on allait le faire. Il a fallu beaucoup de temps pour que tout se mette en place.


Comment jugez-vous Snowden ?

Est-il un héros ou un méchant ? Il faut voir le film pour en juger et comprendre ce qu’il a fait. Il est le seul homme à avoir donné des informations sur le fonctionnement interne de notre système de sécurité.


Quelle option avez-vous choisie ?

Il existe un documentaire le concernant mais qui ne raconte pas son parcours puisqu’il ne couvre que cinq jours de Snowden à Hong Kong. Moi, j’ai voulu monter neuf ans de sa vie. Car je ne pense pas que le public ait vraiment compris tout ce que cela a impliqué. On s’est trop longtemps focalisé sur le messager et non sur le message.


Grâce à ce "message" les choses peuvent-elles changer ?

On ne peut jamais revenir en arrière. On ne peut plus combattre tout ce qui s’est passé. Il faudrait une législation solide voire un traité international. Les États-Unis continuent d’espionner tout le monde sans qu’une ligne de ce qui est légal ou non soit clairement définie. Une cyber-attaque peut venir de n’importe où mais il faut un traité pour savoir comment la combattre


Pourquoi Edward Snowden a-t-il mis en péril sa propre liberté ?

Pour le bien du peuple. Il n’a pas vendu ses informations, il les a données à trois journalistes en leur demandant de les publier sans faire de mal à qui que ce soit. Par ce biais, il réclame une surveillance ciblée et non une surveillance de masse comme c’est le cas à l’heure actuelle.


Croyez-vous que cela soit possible ?

Dans les années 70-80, il y a une recrudescence d’attentats et de kidnappings dans le monde. Tout cela a été combattu par une surveillance ciblée. Aujourd’hui, les gens ont du mal à faire la différence entre les deux. Or il a été prouvé que l’une fonctionne, l’autre pas. Plus vous cherchez, moins vous voyez.


Pourquoi les Américains n’ont-ils pas mieux soutenu Snowden ?

Parce que le peuple américain est apathique. Quand on ne veut pas entendre le message, on tue le messager. C’est pourquoi Snowden a été érigé en problème, ce qui a permis d’occulter son action. Or ce qui compte vraiment c’est de parler de la surveillance totalitaire par les États-Unis.


Dans le film la femme de Snowden explique qu’elle se moque d’être espionnée puisqu’elle n’a rien à cacher. Qu’en pensez-vous ?

C’est une réaction courante. Mais, en réalité, nous avons tous quelque chose à cacher. Des erreurs que nous avons commises à l’école, à l’université, à l’armée, dans notre vie professionnelle ou notre vie privée. Nous avons tous des secrets que nous ne souhaitons pas divulguer. Regardez le nombre de gens qui, chaque jour, se font piéger.


Mais la surveillance de masse n’est-elle pas indispensable pour combattre le terrorisme ?

Pas du tout, parce qu’au passage le gouvernement américain amasse des informations qui le servent pour bien d’autres choses. Cela lui permet de faire pression sur un pays, une société ou un individu. Un tel concept est très proche de la tyrannie.


Quel pouvoir le citoyen peut-il avoir dans ce cas ?

Il faut établir une relation saine avec son gouvernement. Le but d’un gouvernement n’est pas de gouverner nos vies privées. C’est là-dessus qu’on doit se battre. Il y a, aujourd’hui, une apathie beaucoup plus grande que du temps de Nixon, que j’ai traité dans un autre film. C’est un déclin fondamental de la démocratie. Regardez les élections américaines : il n’y plus aucune demande de la part du public. Les gens ne veulent pas connaitre le nombre d’attaques de drones, le nombre de guerres encore en cours. Il n’y a plus de véritables débats à la télévision, tout repose sur la publicité. Personne ne parle des problèmes climatiques. C’est au citoyen de se battre, de faire le premier pas. Dans le roman 1984 de George Orwell, le héros agit, même si cela finit par un lavage de cerveau.


Avec ce film, vous savez que vous n’allez pas vous faire que des amis…

Personnellement, je suis devenu un « ennemi public » dès mon premier film qui traitait du conflit au Salvador et critiquait les actions de Reagan. Ensuite j’ai fait JFK qui a beaucoup gêné. Je suis connu comme quelqu’un qui dit ce qu’il pense. Mais c’est vrai qu’il m’est de plus en plus difficile de faire des films.


Où est Edward Snowden aujourd’hui ?

Il est toujours en Russie parce que son passeport lui a été retiré par les États-Unis au moment où il voulait partir pour l’Amérique du Sud. Son asile politique a été prolongé de trois ans.



Propos recueillis par Philippe Durant 


SNOWDEN
D’Oliver Stone

Avec : Joseph Gordon-Levitt, Shailene Woodley, Melissa Leo, Zachary Quinto, Tom Wilkinson et Nicolas Cage

Sortie : 1er novembre 2016

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.