Entretien avec Claire Bauchart : Le Manuscrit MS 620

Herta Mertil, une poétesse, militante féministe, a été emprisonnée au bagne de l’Ile des Pins, en Nouvelle Calédonie, pour le meurtre de son mari, il y a plus d’un siècle. Elle a laissé un manuscrit codé dont ses descendantes vont chercher sans relâche à percer les mystères. Trois femmes aux caractères bien trempés, sur trois époques et trois continents différents tenteront tour à tour de connaître la vérité sur un héritage familial qui leur échappe. Une vérité que leur ancêtre a cryptée de façon énigmatique…

Claire Bauchart parvient à nous tenir en haleine de bout en bout de ce roman choral virtuose au fil d’une enquête à rebondissements qu’elle orchestre d’une main de maître.

Jeune auteure, vous avez déjà six ouvrages publiés à votre actif, avant de parler de votre dernier roman, Le Manuscrit MS620, pourriez-vous nous présenter votre parcours en quelques lignes ?
Bonjour Le Salon Littéraire et merci Cécilia Dutter pour cette interview ! J’ai effectivement publié six livres dont le premier, Moi, Lilou, hors-la loi par amour, est sorti en 2014, aux éditions Michalon. Depuis cette date, je mène en quelque sorte une double vie professionnelle: journaliste depuis une douzaine d’années, j’ai travaillé à L’Opinion, à Elle, aux Échos et ai réalisé des reportages pour Teva et M6. Parallèlement à ces activités, j’écris des romans ce qui me permet d’investir le terrain de la créativité, en opposition au côté très terre à terre de mon métier !

Votre roman est construit de façon brillante et singulière autour de trois personnages féminins, trois temporalités, et trois pays, d’où vous est venue l’idée de ce choix structurel atypique et très réussi ?
L’idée de ce livre est née en 2020, entre les deux confinements ! Comme beaucoup je pense, j’avais, à cette époque, un grand besoin d’évasion. J’ai donc voulu proposer, à travers ce texte, un double voyage, à la fois temporel et géographique : bien sûr, aucun pays n’est choisi au hasard !
L’intrigue s’articule autour d’un homme, Émile, mais surtout de Bérénice, experte en cybersécurité expatriée à Singapour, d'Hortense, étudiante en échange à Washington DC et de Suzanne, libraire à Nouméa. Si elles sont différentes, elles ont pour point commun de chercher à s’affranchir de la norme pour parvenir à leurs fins. Pourquoi ces personnages ? En tant que lectrice ou spectatrice, j’ai un intérêt pour les protagonistes féminins forts, qui décident d’être aux manettes de leurs vies, malgré les difficultés que cela engendre. Je ne pense pas être la seule dans ce cas, comme le reflète la popularité de certaines femmes, réelles ou fictives. Michelle Obama, par exemple, a connu un beau succès en librairie. Nombre de séries populaires sont portées par des femmes très affirmées : la présidente de la République dans Baron Noir, la capitaine Laure Berthaud ou l’avocate Joséphine Karlsson dans Engrenages
Pour l’énigme de mon roman, je me suis inspirée de l'histoire, vraie, du manuscrit de Voynich : en 1912, un antiquaire, Wilfried Voynich, déniche en Italie, dans une bibliothèque jésuite, un texte ancien rédigé dans un dialecte qu’il ne reconnaît pas. Il tente, sans succès, de le traduire. Dès 1969, sa découverte improbable est hébergée par l’université de Yale, dans le Connecticut, sous le nom MS408.  Sur la base de cette affaire, j’ai inventé un écrit indéchiffrable, élaboré à partir de trois codes. Pour cela, je me suis renseignée sur les sociétés secrètes, la franc-maçonnerie…

Derrière l’intrigue et l’enquête absolument addictive à laquelle elle donne lieu, vous traitez de thèmes très actuels : du féminisme, de la lutte pour l’égalité homme-femme, mais aussi de la transmission intergénérationnelle et de ce bagage familial immémorial que chacun de nous transporte sur ses épaules sans parfois même en avoir conscience. Ces thèmes vous tiennent-ils à cœur ? Ce roman à tiroirs était-il un moyen pour vous d’ouvrir ceux des générations qui nous précèdent ?
J’ai beaucoup travaillé ces thématiques avec ma casquette de journaliste, en particulier celle de la lutte pour l’égalité femmes-hommes. La transmission s’est imposée avec la construction de l’intrigue : trois générations de femmes, ainsi qu’un homme vont faire de la résolution de cette énigme le combat de leur vie. Pour certains parce que leur aïeule leur a cédé un traumatisme, pour d’autres, parce que cette écrivaine morte au bagne leur a légué un idéal féminisme militant. Finalement, Bérénice et Hortense vont venir à bout de ce secret centenaire : elles qui évoluent dans les années 2000 et bénéficient, sans toujours en prendre la juste mesure, des acquis obtenus de haute lutte par les générations précédentes, dont celle de la mystérieuse romancière. Et si, au fond, elles n’étaient pas les vraies héritières d’Herta Mertil ? Il s’agit là de l’une des questions sous-jacentes du livre.

Il semblerait qu’un fil rouge relie vos personnages : souvent englués entre vie privée et vie professionnelle, ils cherchent à s’affranchir des contraintes et des embûches que la vie leur envoie pour s’affirmer et, finalement, gagner leur liberté. Vous sentez-vous libre en tant que femme ? En tant que romancière ?
Oui, absolument : je pense qu’être une femme, en France et en 2022, est une chance pour tout un tas de raisons. Après, bien sûr, il nous arrive toutes d’être, par moments, rattrapées par la vie et ses travers : difficultés familiales, contexte professionnel toxique, contraintes financières… En cela, être romancière constitue un formidable outil, voire même une soupape: grâce à la fantaisie qu’autorise la fiction, il est possible de s’évader, d’inventer d’autres trajectoires… Outre le fait que cet exercice permet généralement de mettre une distance avec le réel, forger des personnages qui parviennent à leurs fins en décidant d’arrêter de subir une situation qui ne leur convient pas peut également s’avérer être un levier d’affirmation de soi… applicable au quotidien !

À travers vos ouvrages, et tout particulièrement votre dernier roman, avez-vous un message à faire passer à vos lecteurs et lectrices ?
Je n’ai pas forcément d’autre ambition que celle de faire passer un bon moment avec mon roman ! Je suis toujours heureuse lorsqu'un lecteur m’assure avoir lu mon livre en quelques heures. Mais, quelque part, une fois publiée, mon histoire ne m’appartient presque plus : les lecteurs se l’approprient à travers le prisme de leur propre vécu. Dans ce cadre, si la force de caractère de l’un des personnages contribue à donner quelques clés, je trouve cela génial !

Au fond, le décryptage de ce manuscrit laissé par un ancêtre ne conduit-il pas chaque personnage qui mène tour à tour son enquête à un décryptage de sa propre vie et une confrontation avec ses propres zones d’ombre et de lumière ?
Oui, il s’agit là d’une lecture possible du livre ! Suzanne, la petite fille d’Herta, ou son fils Émile, brillant linguiste, ont tous deux la volonté de venir à bout de cette énigme, tout en en redoutant la résolution : comme si, au fond, ils craignaient d’être confrontés à une vérité sur laquelle ils préféreraient fermer les yeux. Quant à Bérénice et Hortense, elles n’ont aucun lien familial avec Herta Mertil, mais leur envie de réussite les pousse à s’échiner, parfois nuit et jour, à décrypter ce fameux manuscrit : qu’ont-elles à prouver ? Leur travail sur ce texte mystérieux va les mettre face à leurs propres démons.

Propos recueillis par Cécilia Dutter, (juillet 2022)

Claire Bauchart, Le Manuscrit MS620, Dargaud Filature(s), février 2022, 205 p.-, 18€

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