L’ennemie d'Irène Némirovsky

Le premier roman est – très – souvent le meilleur. Nouvelle preuve à porter au tableau. Ce récit poignant que l’on pourrait croire autobiographique. Percutant, sensible, enlevé et parfois même léger. Cette ennemie que l’on ne peut totalement haïr, cette mère indigne qui collectionne les amants. Cette manière de ne pas en être au point d’oublier ses enfants. Jusqu’au drame…
Puis rebelote une fois l’effacement du temps. Le diable au corps ne dort guère longtemps.

Gabri verra sa mère se griser dans ce Paris des années folles. Et le souvenir de sa petite sœur s’effacer au fil du temps. Or le diable qui raffole des détails animera la jeune fille de ses plus beaux atours. Juste ce qu’il faut pour faire tourner la tête de l’amour de sa mère. Lequel, comme tous les hommes, succombera à l’appel de la jeunesse.
À dix-sept ans vous avez le monde à vos pieds. Surtout quand le seul mot d’ordre est plaisir.

Premier roman qui porte en lui un terrible secret dont Irène Némirovsky ne parla jamais, même pas dans Suite française. Opposition à la mère, drame personnel, il y a bien un matériau autobiographique à la base de ce roman, nous précise Olivier Philipponnat dans sa préface. La méfiance du mâle, voire le dégoût. Sans parler du manque d’éducation reprochée à sa mère. N’avoir offert à sa fille rien d’autre que ce modèle d’une cocotte enfermée dans son impératif de jouissance. Ainsi, les reproches que Gabri finit par asséner à petite mère sont mot pour mot ceux qu’Irène Némirovsky se souviendra d’avoir échangés avec sa propre mère.

L’Ennemie parut en juillet 1928 sous le pseudonyme de Pierre Nerey, anagramme d’Irène, dans le mensuel littéraire Les Œuvres libres. Une vengeance masquée qui démontre combien la jeune romancière de vingt-cinq ans tenait à gifler sa mère tout en l’épargnant… Une plume acide au service d’une chronique picaresque. La société bourgeoise est tout aussi passionnante à croquer que le monde rural. Ses manies, ses mœurs, ses traditions, son hypocrisie, ses élans, ses désastres…
Un roman à lire d’une traite.

Annabelle Hautecontre

Irène Némirovsky, L’ennemie, préface d’Olivier Philipponnat, Folio, octobre 2021, 192 p.-, 7,50 €

Aucun commentaire pour ce contenu.