"Diên Biên Phu", la défaite glorieuse

Ecrire sur les défaites, c’est un sport français qui ne lasse ni le public, ni les auteurs ! Il y a quelques années, un livre avait été publié sur Waterloo et le mythe qui en était né, la défaite glorieuse de Jean-Marc Largeaud. On y découvrait que les vétérans de Waterloo, et plus généralement de Napoléon, ont traversé le 19ème siècle avec une bonne réputation, Napoléon III allant par exemple jusqu’à leur octroyer la médaille de Sainte Hélène. Le décalage est patent avec les survivants de Diên Biên Phu - et tous les membres du corps expéditionnaire en Indochine -, qui ont quant à eux connu un sort inverse. L’Indochine, comme l’Algérie plus tard, était devenue une guerre honteuse, dont on ne parlait pas. Aux combattants, la société française ne témoignait qu’indifférence, mettant de côté les traumatismes et les souvenirs douloureux qui les oppressaient. L’ouvrage d’Ivan Cadeau vient en partie réparer cet oubli et pose, au-delà du déroulement d’une bataille où les soldats firent preuve d’un courage et d’un sens du sacrifice impressionnants, certains enjeux historiographiques.


Aller à Diên Biên Phu pour finir la guerre ?


Le premier chapitre rappelle les raisons qui ont mené la France à s’engager militairement en Indochine. Au départ guerre de décolonisation, le conflit indochinois s’inscrivait aussi dans le contexte de la guerre froide. Par conséquent, les Etats-Unis avaient pris en charge une large partie du financement des opérations. Pour autant, la guerre s’enlise. Le Vietminh rencontre le soutien d’une large partie des populations car il a accaparé la cause de l’indépendance, et reçoit l’aide massive de la Chine communiste. Quand le général Navarre est nommé, il comprend vite qu’il doit remporter une victoire non pas décisive mais qui permette à la France d’aborder les négociations prévues à Genève en position favorable. Installer une garnison à Diên Biên Phu c’est créer un abcès de fixation qui éloigne le Vietminh des régions d’Hanoi et d’Haiphong et protège le Laos voisin. Là où Navarre échoue, c’est qu’il sous-estime la détermination du général Giap à remporter la victoire, consentant à des pertes énormes, l’importance de l’aide chinoise sans compter sur une aide américaine qui ne viendra pas. Or, que se serait-il passé si l’US Air Force avait bombardé les positions ennemies ? Face à la puissance de feu américaine, Giap aurait-il été contraint à la retraite ?


Victoire ou défaite ?


Une à une, les différentes collines - auxquelles les Français ont donné des prénoms féminins - tombent aux mains de l’ennemi. La bataille de Diên Biên Phu, on l’a vu, est un échec désastreux mais qui, dans le même temps, a rempli certains de ses objectifs stratégiques : le Laos échappe ainsi aux incursions, voire à une invasion du Vietminh. De plus, l’importance des pertes ennemies gêne considérablement Giap dans ses mouvements. En tout cas, le général Navarre n’a pas hésité à invoquer cette thèse lorsqu’il est passé devant une commission parlementaire. Au final, c’est l’habileté de Pierre Mendès-France qui permit à la France de sauver les meubles à Genève et de partager le Vietnam en deux : le conflit rebondira dans les années soixante… Au terme du livre, on éprouve un curieux sentiment, mélange d’horreur devant les souffrances des combattants des deux côtés et en même temps d’admiration devant leur courage et leur détermination.


On reste impressionné par Bigeard et ses paras qui sautent sur Diên Biên Phu, alors que la bataille est déjà perdue, pour ne pas laisser tomber leurs camarades assiégés. Alors, pour une fois, le critique et historien amateur se permettra d’oublier l’objectivité et leur dédie cette critique, ainsi qu’à tous ceux qui ont combattu là-bas.


Sylvain Bonnet


Ivan Cadeau, Diên Biên Phu, Taillandier, 207 pages, janvier 2013, 17,90 €

Aucun commentaire pour ce contenu.