"Six mois à vivre (J'ai choisi de mourir dignement) " de Marie Deroubaix

Mort à l’arrivée


Six mois à vivre de Marie Deroubaix est un pamphlet posthume en faveur de l’euthanasie, convaincant à maints égards, mais non dénué de contradictions.


Hasard ou calcul commercial, la réédition en poche de Six mois à vivre, "mémoires d’outre-tombe" de Marie Deroubaix, apparaît comme une réponse à l’ouvrage d’une autre Marie, Marie de Hennezel, publié il y a quelques semaines et intitulé Nous voulons tous mourir dans la dignité. Une page de ces Six mois a d’ailleurs des allures de règlement de comptes, cette Marie-là accusant cette Marie-ci d’avoir été influencée par une secte dans sa condamnation de l’euthanasie, et les éditions J’Ai Lu ont jugé bon, pour que le "message" passe haut et clair dès la couverture, d’ajouter au titre Six mois à vivre le sous-titre J’ai choisi de mourir dignement.


Atteinte d’un cancer au poumon avec, rapidement, de nombreuses métastases au cerveau, Marie Deroubaix avait décidé de refuser d’inutiles traitements et de devancer sa dernière heure en se faisant "euthanasier" par des médecins belges (puisqu’une telle pratique est officiellement interdite en France). Six mois à vivre est un peu le journal à la fois hargneux et enthousiaste qu’elle a tenu pendant les dernières semaines de son existence. (Son mari, Bertrand Deroubaix, a ajouté quelques commentaires et un ultime chapitre afin d’éclairer certains points.)


L’euthanasie est évidemment un sujet bien trop grave pour qu’on puisse en parler sur le mode ironique. Il n’empêche que Six mois à vivre constitue une sorte de paradoxe : cette pièce du dossier en faveur de l’euthanasie pourrait souvent être utilisée par les détracteurs de l’euthanasie. Car il y a en fait deux livres différents dans ce petit livre de cent quarante pages.


Le premier, qui force le respect et l’admiration, est le récit du combat d’une femme qui refuse les circonlocutions vagues et lâches des spécialistes qu’elle consulte et qui entreprend de regarder la vérité, autrement dit la mort en face afin de s’épargner de vaines souffrances et de laisser à ses proches une image d’elle qui ne trahisse pas trop la femme qu’elle a été. La rage qui s’exprime dans ces pages contre certains aspects scandaleux de la médecine française sera le plus souvent partagée par le lecteur. Disons, pour aller vite, qu’elle est magnifiquement résumée par deux citations mises en exergue dans deux chapitres. La première est de Pierre Desproges — qui lui aussi savait de quoi il parlait : "…le médecin leur jette à la gueule, sans les voir, des mots gréco-latins que les pauvres couchés ne comprennent jamais, et les pauvres couchés n’osent pas demander, pour ne pas déranger le médecin debout qui pue la science et qui cache sa propre peur de la mort en distribuant sans sourciller ses sentences définitives et ses antibiotiques approximatifs…" L’autre citation, très brève, est de Sacha Guitry : "La morphine a été inventée pour permettre aux médecins de dormir tranquille."


Cependant, ces mémoires d’outre-tombe sont aussi des "mémoires d’égotisme" qui montrent encore une fois, s’il en était besoin, que l’euthanasie est un sujet bien trop complexe pour faire l’objet de principes généraux. Peut-on dire ici que la manière très "mitterrandienne" dont Marie Deroubaix a mis en scène sa propre mort et ses obsèques suscite chez le lecteur un certain malaise ? L’appartement bruxellois où elle recevra la dernière piqûre est choisi et loué des mois à l’avance. Le tracé de l’allée conduisant à son tombeau fait lui aussi l’objet de longues réflexions. Certes, Marie Deroubaix, styliste de mode, a pu trouver dans cet attachement à la forme un moyen d’affirmer sa pérennité et sa liberté, mais on a le sentiment que, dans cette affaire, la forme fait parfois totalement oublier le fond.


Plus gênant encore est le prosélytisme qui s’affirme dans ces pages. Répétons-le : la volonté de l’auteur de prendre en main son destin est admirable, mais l’espèce de propagande à laquelle, de son propre aveu, elle s’est livrée auprès de certains amis, malades comme elle, pour les convaincre de refuser, comme elle, de se faire soigner a quelque chose de foncièrement déplaisant. On ne saurait tout à la fois dénoncer la froideur mécanique de médecins se réfugiant derrière des statistiques et recourir soi-même aux mêmes statistiques pour persuader tel ou tel qu’il n’a aucune chance de s’en tirer. Pareille attitude n’est pas sans rappeler les coutumes égyptienne ou chinoise qui voulaient que les serviteurs fussent mis à mort (ou enterrés vivants) pour accompagner dans leur tombeau leurs maîtres défunts.


A l’origine de ce terrorisme, il y a en fait une confusion : il est rassurant d’imputer à la médecine des maux qui sont en fait ceux de la nature. La première réaction de Marie Deroubaix, lorsqu’un radiologue lui signale la présence d’une tache inquiétante sur ses poumons, est de considérer qu’elle est victime d’une injustice. Mais ce n’est pas le cancer qui est injuste — c’est la mort ; c’est toute mort. Et l’on songe ici à une page de Cicéron dans laquelle celui-ci — pressentant sans doute ce qui allait lui arriver — dénonce l’absurdité de l’expression "mourir avant l’heure" et explique que le contrat que nous signons avec la Nature lorsque nous venons au monde ne porte jamais la moindre indication de durée. Notre tâche, comme nous l’ont appris les stoïciens, n’est pas de pester contre la brièveté de la vie, mais de rentabiliser le mieux possible le temps mis à notre disposition.


Et c’est là la lacune majeure de ces Six mois à vivre. L’énergie fascinante qui caractérise l’auteur, sa volonté de persuader restent quelque peu en plan dans la mesure où la maladie n’est jamais envisagée comme l’occasion de tirer certaines leçons de la vie. Tous les médecins, ou presque (exception faite, bien sûr, des doux enthanasieurs belges), sont présentés comme des brutes. Toutes les infirmières sont dénuées de tact. Tous les autres malades font pitié, puisqu’ils ne savent que s’aveugler. Tous les traitements sont nuls et non-avenus. Alors que, nous le savons bien, il existe des médecins remarquables, des infirmières qui ne sont pas loin d’être des saintes, des compagnons de chambre anonymes capables de vous apprendre des choses intéressantes et nouvelles. Nous ne pouvons bien évidemment changer le monde et la maladie ne fait pas vraiment partie de ses charmes, mais nous ne devons pas non plus oublier que beauty is in the eye of the beholder.


FAL


Marie Deroubaix, Six mois à vivre, Avant-propos et commentaires de Bertrand Deroubaix, J’Ai Lu n° 10390, mai 2013, 5€

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3 commentaires

Exactement le même ressenti, le même malaise.

Etant membre de l'ADMD, (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) et travaillant sur ce sujet depuis quelques années, je vais lire ce livre et reviendrai ici pour vous donner mon sentiment. Ayant testé le monde médical en situation, je crois avoir été en face d'hommes et de femmes de bien, mais aussi de robots pour lesquels nous ne sommes que des numéro de dossier et des pathologie rentrant dans des protocoles, mais je reste persuadée qu'il n'y a pas plus intime et respectable que ce que chacun souhaite, aussi bien pour l'acceptation  ou le refus des traitements que des choix de fin de vie, et qu'il ne doit y avoir, surtout aucun embrigadement ni dans un sens ni dans l'autre.

sorry pour les fautes d'accord...