Dictionnaire de l’épuration des gens de lettres : Mort aux confrères !

L’historien Laurent Dingli, après avoir eu accès aux archives Renault dont certaines n’avaient jamais été ré-ouvertes depuis 1945, publia, dans la prestigieuse collection Biographies, chez Flammarion, en septembre 2000, un Louis Renault qui nous dépeignit l’authentique histoire de cet homme, doublement héros français (il inventa le char d’assaut qui redonna l’avantage à la France à la fin de la guerre 1914-18 et, n’en déplaise au Parti communiste, il permit la relance de l’industrie à la fin de la Seconde Guerre mondiale grâce aux milliers de tonnes de matière première détournées au nez des Allemands) mais il demeure toujours dans les consciences comme le prototype du traitre, quand Peugeot et Citroën s’en sortirent après avoir, eux, largement collaborés avec le IIIe Reich.
Pourquoi ?
Tout simplement parce qu’ils acceptèrent la CGT dans leurs usines quand Renault ne voulait pas en entendre parler, d’autant que ses salariés n’en éprouvaient pas une réelle envie, car l’ambiance dans les usines Renault n’avait rien à voir avec ce qui se pratiquait ailleurs. Louis Renault est aussi l’inventeur, en quelque sorte, de la Sécurité sociale avant l’heure, ayant créé une caisse d’urgence à laquelle cotisaient tous les ouvriers à proportion de leur salaire, pour payer les frais médicaux… Cela vous rappelle quelque chose ?

Un procès en réhabilitation est d’ailleurs en cours ; mais après les innombrables pressions et menaces qui ont émaillé la sortie du livre, et compte-tenu de l’hystérie du groupe communiste à l’Assemblée nationale (la vidéo est assez parlante) qui continue à colporter leurs mensonges, il semble bien que cette triste histoire prenne le chemin de l’affaire Seznec.

Jacques Boncompain est de la même trempe : après s’être attaqué au sujet tabou des droits d’auteur le voilà qui soulève le couvercle qu’il ne fallait pas. Quid de nos chers intellectuels pendant l’Occupation ?
Mais surtout, quid de la manière dont ils furent tondus à la Libération, tant nous savons désormais que 95% des résistants le furent à la dernière heure, et il n’y a pas pire salaud qui ne se venge de sa couardise sur le dos de son voisin. Ainsi, il semblerait que le petit monde de la littérature ne fut point épargné par les jalousies, les médisances, les escroqueries et autres saloperies dont l’Homme conserve à tout jamais le leadership pour parler ce franglais, si à la mode…
Car il semblerait bien que le simple fait de créer sous occupation une pièce artistique, qu’elle soit musicale ou littéraire, pose problème…

Ami lecteur, il nous faut te prévenir que la lecture de ce dictionnaire, si elle est trépidante et alerte, est tout aussi dévastatrice car elle va te laisser un goût amer dans la bouche. Et si tu n’as pas lu Recherches de la France de Pierre Nora, paru en 2013, tu toucheras du doigt cette période de notre histoire, cette épuration qui fut l’acmé de ce « moment du gaullo-communisme » dont on aimerait bien oublier toutes les conséquences qui en découlèrent…
Oui, vous avez bien lu, le Général avec les Soviétiques : une entente secrète entre le chef de la France libre et le Kremlin fut scellée le 25 juillet 1941. Un pacte avec le diable qui empoisonna les rangs même des combattants puisque l’Inquisition sévissait aussi au sein de l’armée, traquant les officiers qui ne pensaient pas juste.

Et que penser de la réflexion du stalinien Morgan : « Le silence de Giono fut à lui seul un crime ! » comme si chaque écrivain, dans son coin, se devait d’aboyer dans l’écho de Moscou… D’ailleurs, il est aussi intéressant de noter que l’épuration toucha plus les journalistes et les écrivains que les entrepreneurs, notamment ceux qui firent fortune en bâtissant le mur de l’Atlantique. Parce qu’on avait encore besoin d’eux pour reconstruire le pays, et que la chienlit intellectuelle, elle, devait être exterminée pour que les Français ne se mettent pas à avoir des idées non conformes avec le stalinisme ?

L’âme d’une société, ce sont ses artistes et ses Gens de Lettres qui façonnent, nourrissent son identité, transmettent la mémoire du pays et proposent des desseins d’avenir. Et portent en eux l’esprit libertaire si honnis par les communistes. Et la France est l’exemple typique d’une liberté de ton et d’expression si chèrement conquise que l’idée même de la censurer est un crime.
Ce vieux pays qu’est la France n’avait jamais connu telle humiliation depuis les invasions romaines : la défaite de 1940 vit le territoire intégralement occupé par une armée étrangère. L’ampleur de la défaite a donc retourné les esprits et convaincu un peu trop vite le bon peuple de collaborer, cerveau lavé par quelques traitres, dont Aristide Briand (qui orchestrait le défaitisme français, dixit Clémenceau dans son livre paru en 1930) et Léon Blum (« Du moment qu’on démolit l’armée, j’en suis ») qui s’opposait à une armée de métier.

Il en va ainsi des mots qui vont faire aussi mal que les armes.
Tout débute par l’affaire Jeanson (ce journaliste qui écrivit le 17 août 1939 une lettre ouverte à Daladier dans laquelle il l’avertissait qu’il n’irait pas se faire trouer la peau pour les Conseils d’Administration – et devint directeur de journal sous l’Occupation) et s’achève par la Commission d’Épuration de la Société des Gens de Lettres (sic) qui voulut laver son linge sale en famille… Bel esprit français qui n’hésitait pas à confondre les choux et les carottes, du moment que seul le résultat compta.
Jacques Boncompain dresse ensuite sa liste alphabétique du dictionnaire (auteurs dramatiques mais aussi compositeurs et éditeurs de musique) avec force détails et témoignages des intéressés, démontrant que si les coupables furent punis, un grand nombre fut inquiété sur de simples dénonciations calomnieuses ou pour de viles raisons.

Et comme avec l’affaire Renault, ce sont une fois encore les relations entre le général de Gaulle et les communistes qui constituent l’une des clés de lecture de cet ouvrage. Pour ne pas dire le coefficient déterminant : le Général ne pouvait pas, à cette période de l’Histoire, s’aliéner les communistes quitte à devoir sacrifier certains patriotes.
Churchill a laissé Coventry être rasée de la carte pour sauver Enigma, De Gaulle offrit quelques têtes au PCF pour sauver son gouvernement…

François Xavier

Jacques Boncompain, Dictionnaire de l’épuration des gens de lettres (1939-1949) – « Mort aux confrères ! », préface d’Henri-Christian Giraud, Honoré Champion, novembre 2016, 800 p. – 70 €

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Jacques Boncompain nous parle de son livre ; et de son travail d'historien et de juriste : https://www.youtube.com/watch?v=FDMhE0XlPk8