Jacques Cauda : portrait de l'artiste en Killer

Le cynisme et la méchanceté sont la part la plus minable de la transgression. Cauda le sait.
Pour lui cela est donné à tout le monde : se couvrir de boue est un bien autre affaire car il s'agit d'un complet renversement des valeurs quand la beauté elle-même n’est que monstruosité et laideur. Exit la vision supérieure, sublimante, une conversion du regard au Soleil. Tout se passe pour Cauda au sous-sol et non en hauteur afin de se livrer à l'angoisse de l'extase comme antidote efficace à la panoptique idéaliste, et pour créer la conversion du regard qui s'ouvre à une chambre avec vue sur les défilés des souterrains de l’inconscient.

Cette profonde descente dans la nuit de l'être est le seule cheminement de l’expérience de l'intime "ite" dont l'érotisme de l'artiste organise l'inversion des valeurs entre noble et ignoble, honnête et obscène, haut et bas.  Seule le  dynamique d’inversion crée l’écart du sens, et le renversement qui lui est attachée.
Et ce à l'image de la Simone de l'Histoire de l'œil de Bataille qui rappelle directement tout ce qui est lié à la sexualité profonde, par exemple sang, étouffement, terreur subite, crime, tout ce qui détruit indéfiniment la béatitude et l’honnêteté humaines. Objet de désir et de récit l'imagerie crée non un roman à l'eau de rose mais indique  le point de rupture  de la conscience dans une paradoxale expérience du sacré. L’extase et la transgression se trouvent associées là où par delà les plaisirs et la débauche de la chair jaillit la souillure même du grand univers étoilé.

Cet érotisme suppose l’affirmation des aspects les plus obscènes de la réalité symbole d'une débauche universelle. Exit Platon et retour à  Sade là où rien ne se soustrait à la lumière noire en des mouvements les plus obscurs de l’existence pour provoquer le rire et l'angoisse. Le tout en une chute et une extase vertigineuse de la conscience.
Tout est souillé, dégradé par l’écart sexuel qui révèle l’attirance irrésistible de la conscience vers l’abjection et, au-delà de l’obscène, vers la limite de toute existence : la mort que l'on se donne ou qui nous est donné au creux de tous les regards du possibles en faisant surgir l'absolue limite qui engendre un tel pas au-delà. Les  débordements sexuels créent une incandescence entre la vie et de la mort, l’être et le néant par la mise en évidence d' une dimension cachée et souterraine de l’existence humaine.
La coïncidence des opposés ne se réduit plus à leur résorption dans une unité supérieure  d’un dépassement  dialectique mais  ouvre au contraire, au sein même de la réalité finie, un rapport à l’infini et à l’absolu loin de toute synthèse positive. D'où ce renversement iconoclaste des valeurs des sommets.  
L’extase religieuse se renverse en extase obscène. Dans de telles évocations l’inconscient et la sexualité forment le lieu électif de la coïncidence des opposés : horreur et attrait, douleur et plaisir. L’identité de l’être ne se replie plus sur elle-même mais menace sans  d’ouvrir sur le vide d’être que le désir humain ne parvient jamais à combler, mais qui constitue sa limite propre, l’Autre de sa satisfaction dans la manifestation d’une dimension sacrificielle.
Le tout dans une sorte de contre-consécration par laquelle le dogme de la transsubstantiation se trouve dévoyé, et ramené à sa pure expression excrémentielle : le sperme et l’urine, substances obscènes s’il en est, sont substitués au corps et au sang du Christ à travers les victimes sacrificielles d'une rituel obscène et fantasmatique marque ainsi la chute de l'image dans des coïncidences forcément ratées.

Jean-Paul Gavard-Perret
 
Jacques Cauda, Da capo al Coda, éditions l'Âne qui butine, Mouscron, 2020

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