Abattoirs de Chicago, Le monde humain

"A la cadence des arrivages des troupeaux a dû répondre, quelles que fussent les conditions, la cadence des usines"

 

 

Dans ce bref essai consacré au berceau de l’industrialisation et de la mécanisation du travail à la chaîne que sont les abattoirs de Chicago, lieu si étonnant que des voyageurs émérites tels que Paul Bourget ou Rudyard Kipling ne manquaient pas de s’y rendre, Jacques Damade expose l’histoire des rapports entre l’homme et l’animal, l’homme et son environnement et, finalement, entre l’homme et l’humain considéré jusqu’alors comme une qualité positive…


D’abord il y a Cincinnati, haut lieu de l’abattage des vastes troupeaux qui y étaient conduit pour un temps court : pas de transport rapide, pas de réfrigération, une découpe à la main. Puis la guerre de Sécession impose le choix politique de Chicago, plus éloigné des troupes sudistes et plus central : le train va pouvoir s’y établir, donc les rendements vont s’accélérer puisque l’animal devenu produit pourra se retrouver dans l’assiette de plus de consommateurs plus éloignés. Vient ensuite une course poursuite entre les brevets technologiques qui posent des innovations, le surnuméraire animal à traiter, l’engorgement d’une population qui passe de 112 000 habitants en 1860 à 1 700 000 en 1900 !

 

"Tout ce paysage poudreux, puant, assourdissant des abattoirs qui a surgit comme un mauvais rêve dans les immenses plaines du Midle West"

 

Les abattoirs de Chicago sont le point central de toute cette "évolution", un enfer pour les animaux qu’on dépèce à la chaîne aussi bien que pour les hommes qui y vivent et y meurent pour le saint-Rendement. C’est à la fois l’inauguration de la mécanisation du travail qui inspirera Ford pour la construction de son modèle T aussi bien qu’une tentative de pousser l’ouvrier au-delà de ses limites, ce qui conduit à des grèves incroyables (qui seront matées grâce à un mensonge d’Etat et à une "purge" de ces milieux anarchistes et séditieux, quand ils ne réclamaient qu’un peu de dignité, disons le mot, qu’un peu d’humanité…), un asservissement ultime de l'environnement et la fin du monde "naturel".


A travers l'industrialisation de la mort animale, Jacques Damade interroge le développement même de l'ingéniosité que l'homme met à détruire son environnement et, pour tout dire, son humanité même.

 

 

Loïc Di Stefano

 

 

Jacques Damade, Abattoirs de Chicago, Le monde humain, La Bibliothèque, « L’ombre animale »,mai 2016,  89 pages, 12 eur

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