Avec "Les écarts du cinéma" de Jacques Rancière, le septième art devient féérie

La cinéphilie est affaire de passion. C’est un rapport émotionnel avec le cinéma. Pas une affaire de théorie(s). Et comme la passion manque cruellement de discernement ces souvenirs ne seront pas objectifs. Et c’est aussi ce qui les rend intéressants. On nagera dans le brouillard des discernements admis. D’abord un brouillage des lieux : celle de cette singulière diagonale dessinée entre les cinémathèques (conservation de la mémoire d’un certain art) et les salles de quartiers projetant des films méprisés par les uns. Quand les autres voyaient un trésor dans l’intensité d’une chevauchée de western. 


Le cinéphile associe le culte de son art à la démocratie des divertissements. Pour cela il n’a pas peur de récuser les canons officiels. Ainsi, la grandeur du cinéma ne résiderait pas uniquement dans l’élévation métaphysique de ses sujets. Voire la visibilité de ses effets plastiques. Mais au contraire dans une imperceptible différence dans la manière de mettre en images des histoires et des émotions. C’est tout bonnement l’art de la mise en scène...


Écrire sur le cinéma, c’est pour Jacques Rancière, un jeu d’équilibriste : il doit tenir en même temps deux positions apparemment contraires. 


"La première est qu’il n’y a aucun concept qui rassemble tous ces cinémas, aucune théorie qui unifie tous les problèmes qu’ils posent. [...] L’autre position dit, à l’inverse, que toute homonymie dispose un espace commun de pensée, que la pensée du cinéma est celle qui circule dans cet espace, pense au sein de ces écarts et s’efforce de déterminer tel ou tel nœud entre deux cinémas ou deux « problèmes de cinéma."


Mais attention, l’art du cinématographe ne peut être vu que comme le déploiement des puissances spécifiques de sa machine. Mais il n’existe que par un jeu subtile d’écarts et d’impropriétés.


Cet essai essaie d’en analyser quelques aspects à travers plusieurs pistes : le rapport du cinéma avec la littérature qui lui fournit l’origine de son inspiration mais dont il cherche à s’émanciper ; le rapport avec les deux pôles où l’on prétend que l’art se perd (perte de pouvoir au service du seul divertissement et/ou s’immiscer dans le discours civil en donnant des leçons de politique).


Rancière convoque Bresson, Straub et Huillet, Pedro Costa et aussi Minnelli et Hitchcock pour montrer ce que nous n’avons pas vu. Il ne raconte pas. Ne commente pas... Il met en lumière. Sous les feux de la rampe, le cinéma de Jaques Rancière devient féérie.


Annabelle Hautecontre


Jacques Rancière, Les écarts du cinéma, La fabrique éditions, avril 2011, 168 p. - 13,00 €   

Aucun commentaire pour ce contenu.