Men of Wrath

Ira Rath est tueur à gages aussi efficace qu'impitoyable : hommes, femmes, vieillard, ou enfants, il ne refuse pas les contrats et les mène jusqu'au bout, avec détachement. Sauf que les jours d'Ira sont comptés : son médecin lui apprend qu'il est atteint d'un cancer, et qu'il ne lui reste que peu de temps à vivre. Le temps de remplir un dernier contrat ? Rien n'est moins sûr. Ira découvre que sa cible est son fils qu'il n'a pas revu depuis des années…


Des « hommes en colère » (traduction littérale du titre), il y en avait déjà beaucoup dans l'excellent Southern Bastards (série en cours chez Urban Comics). À tel point qu'on pouvait se demander si Men of Wrath n'aurait pas pu s'inscrire dans la série régulière de Jason Aaron. Mais si les deux titres partagent le même univers de polar noir et rural, on comprend une fois l'album refermé le choix du scénariste d'avoir voulu raconter le destin d'Ira dans une série indépendante et courte (cinq épisodes, secs).


On retrouve ici des ambiances et des thèmes transversaux chers à Aaron comme l'Amérique rurale, la famille (Scalped, toujours chez Urban Comics) et la prédétermination. Dans Southern Bastards, Earl Tubbs finissait par endosser le rôle du justicier local. Après tout, n'était-il pas le fils du shérif du coin ? On retrouve cette idée dans Men of Wrath. Dans l'introduction de chaque épisode, Aaron prend soin de raconter le passé de la famille Rath, comprendre : comment le cycle de la violence et de la haine se perpétue d'une génération à une autre.


Men of Wrath est un polar violent. Dans sa préface, Jason Aaron explique l'avoir écrit pour Ron Garney, le dessinateur, afin qu'on sache « à quel point il peut se montrer sombre et méchant ». Objectif atteint. Men of Wrath démarre par l'assassinat d'une famille entière, Ira ne reculant pas lorsqu'il s'agit de noyer un nourrisson. Dès les premières pages, on sent qu'on ne va pas rigoler : ça vous pose un personnage et une ambiance. Fort heureusement, Ron Garney sait rester subtil et ne dessine rien de graphiquement choquant. Mais rarement on a vu un comic book démarrer avec une telle force. Les deux artistes avaient déjà collaborés sur Get Mystique, quelques épisodes orientés action de la série Wolverine, chez Marvel (à quand une réédition chez Panini France ?). Ils ont ici l'occasion de prolonger leur travail, sans les contraintes liées à un gros éditeur mainstream.


Ira Rath est donc capable de tout, c'est un tueur à gage sans pitié qui ne fait pas dans les sentiments. Au début de l'histoire, on ne sait pas vraiment pourquoi il tue mais ce n'est apparemment pas pour l'argent. Au début de l'histoire on se demande quelles sont ses ses intentions vis à vis de sa progéniture : va-t-il tuer son fils ? Va-t-il essayer de le sauver ? Et à partir de là, Aaron entreprend de détailler une relation père/fils hors du commun qui fait toute la puissance de ce comic.


C'est court, refermé, épuré mais riche. Aaron pourrait étaler son histoire sur dix épisodes de plus, mais non, il choisit la concision, celle d'une histoire complète en cinq épisodes. Il y a un côté crépusculaire dans Men of Wrath qui m'a beaucoup plu. Le ton de l'histoire m'a beaucoup fait penser aux romans de James Lee Burke. Ou Cormac McCarthy et notamment La Route (oubliez le film, lisez le livre !), qui dépeint à sa façon la relation entre un homme et son fils et plante une métaphore sur l'humanité et son destin : « Les nuits obscures au-delà de l'obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d'avant ». Dans Men of Wrath, et toutes proportions gardées, Aaron dépeint lui-aussi l'inéluctabilité de la violence à travers une histoire familiale. Et comme chez McCarthy, il trouve une sortie positive (je n'ai pas dit heureuse) qu'on peut imaginer dès la première page, par ailleurs.


Un mot sur Ron Garney, un artiste que j'apprécie beaucoup. Son style de dessins est tout à la fois élégant et brut. J'aime quand on peut voir les coups de crayon de l'artiste, quand tout n'est pas lissé par l'informatique, quand on devine l'humain et l'artiste au bout de son instrument. Garney trouve dans le polar harboiled un genre qui lui convient en fin de compte bien mieux que le super-héros auquel il s'est longtemps limité. On peut être certain de le retrouver sur un autre projet de ce genre.


Alors mieux ou moins bon que Southern Bastards ? Aucun des deux, mon capitaine. Men of Wrath est une œuvre différente, et je dirais même plus, complémentaire. Mais elle s'adresse au public qui a aimé Scalped ou Southern Bastards. Soit des polars ruraux, forts, modernes et noirs.

Men of Wrath confirme l'émergence d'un scénariste talentueux : Jason Aaron. On va le suivre de près sur Le Salon littéraire car il va aller loin, très loin.



Stéphane Le Troëdec




Jason Aaron (scénario) et Ron Garney (dessins)

Men of wrath (récit complet)

Édités en France par Urban Comics (26 juin 2015)

Collection Urban Indies

Traduit par Françoise Effosse-Roche

160 pages couleurs, papier glacé, couverture cartonnée

15 euros

ISBN : 9782365776691


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