Stan Getz, Tamia Valmont, Christophe Lier : Le jazz, kaléidoscopique…

Tout d’abord une plongée dans le passé, plus précisément la fin des années 50, avec « Stan Getz 1959  Live In Paris » (1). Le saxophoniste, alors âgé de 32 ans, est déjà auréolé d’une réputation justifiée. Surnommé « The Sound », ce ténor a derrière lui un début de carrière des plus prometteurs. Mieux, les revues américaines Métronome et Down Beat le classent parmi les meilleurs ténors de l’époque. Pour son concert parisien du 3 janvier 1959 à l’Olympia, il est entouré de Martial Solal au piano, Jimmy Gourley à la guitare, la section rythmique étant complétée par le bassiste Pierre Michelot et le batteur Kenny Clarke. 

Deux Américains et deux Français qui sont tour à tour mis en valeur (Martial Solal, notamment,  brille de mille feux sur Lover Manet sur sa composition Special Club) et offrent à Getz un écrin idéal pour non seulement la suavité d’un son inimitable, mais la fécondité d’une imagination qui se déploie sur des standards du bop, Round ‘Bout Midnight,The SquirrelYardbird Suite. Sans compter des ballades devenues des standards, Softly As In A Morning Sunrise qui offre à Pierre Michelot l’occasion de montrer ses talents de soliste, ou encore Tenderly où le saxophoniste déploie les volutes de son imagination, relayé par Jimmy Gourley. 

Trois pièces enregistrées la même semaine en studio par le même quintette viennent compléter cet album qui prend place parmi les grands concerts parisiens déjà publiés dans la collection « Live in Paris ». Il en constitue, à coup sûr, l’un des plus beaux fleurons et vient opportunément compléter la copieuse discographie d’un musicien comptant parmi les têtes de file de ce courant appelé cool jazz.

Parmi les productions récentes, des albums caractéristiques de « l’éclatement » du jazz et de ses formes fort diverses, prises au gré des rencontres qu’il suscite et des influences qu’il absorbe. Ainsi « Les Chants de la terre » (2) de Tamia Valmont, réédition d’un album paru en 1999, remanié en 2015, défie toute taxinomie. Internationalement connue, délibérément inclassable, cette chanteuse-compositrice fit ses débuts avec Michel Portal au Festival de Châteauvallon en 1972 avant d’aborder divers genres musicaux. Elle s’éloigna ensuite de la scène pour enseigner l’improvisation et la technique vocale. Sa vox exceptionnelle, expressive, envoûtante, suscite d’emblée l’intérêt. Elle donne à ce disque une coloration très particulière qui évoque des traditions venues de terres lointaines. 

Le traitement qu’en fait la chanteuse transmute parfois sa voix en une manière de polyphonie sacrée (ShandoErevanPaysage, la nuit), escortée par des percussions. Une alchimie particulière. Ces mélopées inspirées par diverses traditions et civilisations constituent une sorte de fresque bigarrée. Un voyage que l’on pourrait qualifier d’« initiatique ». Un hymne qui serait dédié à la Terre mère, et qui frappe à la fois par sa cohérence et son indéniable force de séduction. 

Parfaitement oiseuse la question de savoir s’il s’agit encore de jazz. Sans doute une telle musique rejoint-elle quelque part, grâce aux techniques utilisées et à l’imagination déployée, par les rythmes plus mais aussi par les mélodies, certaines formes de musique improvisée nées dans les années 70. Mais sa quête de la beauté et de l’universalité, l’émotion qui s’en dégage, le dépaysement auquel Tamia Valmont convie l’auditeur, lui confèrent un charme unique. Nancy Huston ne s’y est pas trompée, qui s’est inspirée de  Tania Valmont pour le personnage principal de son roman Lignes de faille. « Les chants de la terre, a écrit la romancière, c’est Tania qui chante la Terre, mais c’est aussi la Terre elle-même qui chante – car elle est vivante, la Terre, parcourue de rythmes et de vibrations… ».

Retour à des conceptions plus « orthodoxes » avec le trio de Christophe Lier. Celui-ci possède, outre d’indéniables dons de pianiste inscrit dans la tradition du bop, celle de Bud Powell, un coup de crayon et de pinceau inspiré. En témoignent ses portraits de musiciens et la pochette de son album « L’Autriorgue. La Ballade Vent » (3). Il s’y produit à l’orgue Hammond B3, en compagnie de Paul Bossy (guitare) et Jean Lou Escalle (batterie). Deux musiciens qui forment avec lui un trio homogène. 

Les trois protagonistes font preuve d’une technique accomplie. Christophe Lier retrouve à l’orgue son aisance de pianiste, son utilisation de toutes les subtilités harmoniques, son imagination d’improvisateur. Paul Bossy appartient à cette catégorie de guitaristes dotés d’une indéniable virtuosité. Ils la font parfois valoir par une volubilité constante, ce qui est le cas dans cet album. Quant à Jean Lou Escalle, il met toute son expérience et son sens de la polyrythmie au service du groupe.

Les compositions du leader déclinées ici ne sont pas dépourvues de séduction. Toutes, à un titre ou un autre retiennent l’attention. S’il fallait en citer une, caractéristique de l’album, ce serait sans doute la pièce qui lui donne son titre. La Ballade Vent, qui met en valeur, outre le guitariste, le compositeur lui-même auteur d’un solo fort bien construitMais des morceaux tels Si Pi m’était Compté, Black Bossaou Samba O’Rhum, aux rythmes sud-américains, ont aussi de quoi séduire. Soit un album qui mérite de retenir l’attention. Il  s’inscrit dans la tradition des trios similaires qui ont jalonné l’histoire du jazz, ceux de Wild Bill Davis, Jimmy Smith, Larry Young. Ou, plus près de nous, d’Eddy Louiss, Joey De Francesco, Emmanuel Bex ou Benoît Sourisse. Autant de références qui viennent spontanément à l’esprit. Preuve que l’album de Christophe Lier appelle à des comparaisons plutôt flatteuses !

Jacques Aboucaya

1 – « Stan Getz, Live in Paris, 1959 », coll. des grands concerts parisiens.  Frémeaux & Associés / Socadisc.

2 – Tamia Valmont, « Les Chants de la Terre », Eolico.

3 – Christophe Lier, « L’Autriorgue. La Ballade Vent ». Autoproduction / christophelier.fr  

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