"Terroristes, les sept piliers de la déraison", de Marc Trévidic : le paradis est pavé de mauvaises intentions

Origines de la menace terroriste


Depuis la guerre d’Afghanistan (1979-1989), le terrorisme d’inspiration djihadiste n’a cessé d’évoluer : d’abord cautionné par les puissances occidentales durant la guerre froide dans leur combat contre l’ennemi soviétique, ce qui était considéré par le président Reagan comme un combat noble pour la liberté est devenu sous la présidence de Georges Bush Jr l’ennemi à abattre dans l’axe du mal. Surtout, au lieu de continuer à sévir en Afghanistan et autres terres d’islam, ce mouvement terroriste en est venu à toucher les démocraties occidentales en leur cœur, à l’instar des attentats du 11 septembre 2001. Nos sociétés démocratiques ont ainsi été confrontées à un danger qu’elles ne connaissaient pas - en tout cas pas dans ces proportions - et qu’il leur a fallu combattre avec un appareil législatif et répressif qui n’était pas adapté à ce combat.

Après un premier livre sur le sujet en 2010 - Au cœur de l’antiterrorisme -, Marc Trévidic revient sur la question à la lumière d’un évènement qui, selon lui, change la donne dans la lutte antiterroriste : l’affaire Merah. Son livre pose les questions auxquelles il convient de répondre si l’on souhaite combattre le terrorisme djihadiste actuel : pourquoi et comment devient-on terroriste ? Que nécessite de notre part la lutte antiterroriste ?

Un danger multiforme

L’affaire Merah est donc au centre de l’ouvrage, car l’auteur sent poindre un nouveau mode de violence : le terrorisme individuel. Alors que jusqu’à présent les terroristes fonctionnaient en cellules recrutées par la mouvance Al Qaida et ses filiales, les actions de Mohamed Merah ont prouvé qu’il était possible de terroriser seul une population. Les cellules terroristes étaient en quelque sorte « faciles » à pister, avec leurs formations organisées dans le Waziristan pakistanais, l’Irak, la Somalie ou le Sahel, les communications interceptées par des services de renseignement toujours plus performants et une justice qui, malgré des moyens limités, savait réagir vite et nous protéger sur le territoire français ; un seul homme a prouvé par ses actes qu’il pouvait défier un système pourtant bien rodé.

C’est d’ailleurs une des qualités du livre de Marc Trévidic que de nous emmener au cœur de la machine antiterroriste, tout en nous montrant ses limites, tant techniques que morales. La question se pose avec force : a-t-on le droit de disposer d’une justice préventive ? Car un terroriste en puissance, formé et endoctriné n’en est pas pour autant encore passé à l’acte. Et bien souvent - le livre regorge d’exemples - la plupart des candidats au djihad ne passeront jamais à l’acte.

Motivations d’un terroriste

En mettant en scène quelques situations adaptées de faits réels, l’auteur nous donne enfin à réfléchir sur ce qui pousse une personne à devenir un terroriste. Surtout, il montre que, contrairement à une époque encore récente, et malgré l’exemple de Mohamed Merah, l’embrigadement vers le terrorisme d’inspiration djihadiste touche toutes les classes sociales. Surtout, les « recruteurs » approchent des candidats de plus en plus jeunes, influençables et peu conscients de la réalité du « combat » qu’ils aimeraient mener, presque uniquement guidés par des décharges d’hormones et un sentiment de rébellion tout adolescente, ou encore un sentiment d’inadaptation à la société actuelle, qui ne répond pas à leurs attentes souvent angoissées.

Au final, un ouvrage riche et intéressant, dont la plongée au cœur de la lutte antiterroriste, tiraillée entre un danger potentiel mais réel et des institutions démocratiques qui en posent les limites, et l’analyse des enjeux, constituent l’intérêt majeur. Marc Trévidic se veut accessible. On pourra lui reprocher de vouloir se faire écrivain dans les chapitres où il expose, souvent très bien, les motivations des candidats terroristes et la manière dont l’entourage, démuni, réagit, mais, ambition personnelle mise à part, cela sert malgré tout son ouvrage. Reste une pointe de distance qu’il ajoute, qu’on peut parfois assimiler à du cynisme, à de l’arrogance ou tout du moins à de la prétention - la référence du sous-titre de l’ouvrage à l’œuvre de Lawrence d’Arabie peut facilement être mal interprétée -, mais cela sans doute à son corps défendant. Au-delà, une réflexion utile sur les limites de l’ordre dans la société occidentale, rongée par un besoin de sécurité parfois en contradiction avec la protection de libertés dont nous restons pourtant les porte-parole et les ardents défenseurs à l’étranger.

Glen Carrig

Terroristes, les sept piliers de la déraison, Marc Trévidic, JC Lattès, janvier 2013, 285 pages, 18€
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