Monica Sabolo, Crans-Montana : Nul n’échappe à son destin

C’est en 65 ou 66 que les 3 C apparaissent aux Quatre cent coups, une boîte de nuit de Crans Montana. Apparaissent ou plutôt se révèlent femmes aux yeux du groupe de garçons qui les connaissaient petites filles. A partir de ce moment là, Claudia,  Chris et Charlie font l’objet de tous les regards, de toutes les conversations. Fascinantes, elles aimantent les italiens de la station qu’elles invitent à des soirées au sous-sol du chalet Les herbes folles, tandis que, les adolescents parisiens amoureux d’elle en secret vivent  mille morts à l’idée de ne pas être invités aux agapes. 


Espionnant le chalet,  autour duquel des voitures immatriculées en Italie sont garées, ils se flagellent à force d’imaginer ce qui peut se passer dans le noir. Imaginer est bien plus cruel que savoir Les trois filles très dessalées qui sortent,  d’un collège du XVIe ou d’un établissement de Lausanne font tourner les têtes. 


Bientôt,  c’est mai 68, les pères affolés passent la douane suisse avec des sacs remplis de billets ; On parle à mots couverts du passé, durant lequel les parents en majorité juifs ont « vécu des choses ».  La mère de Claudia quant à elle aurait été traductrice pour les allemands pendant la guerre, aurait travaillé comme entraineuse à  Plata del mar en 1945, aurait été la maîtresse de Mussolini, travaillé pour les services secrets américains…


Les adolescents se racontent des histoires, affabulent : « elles surgissaient et le ciel devenait acier, l’air brûlant », mais jamais il ne se passe autre chose de plus troublant qu’un regard échangé dans les toilettes d’un club, une moufle ramassée sur la glace de la patinoire. C’est déjà beaucoup quand on a quinze ans.


En 1970, Claudia tombe enceinte d’un italien qui la quitte. Les garçons ne voient plus les 3C que de loin. Deux épousent  des hommes riches aux activités ambigües. La troisième un gigolo homosexuel. Toutes sont malheureuses. Les bouillonnantes années 80 que Chris évoque comme une longue nuit peuplée de fêtes absurdes se terminant au matin avec du caviar sur les croissants, finissent mal, par un accident de voiture. Les  3 C ont vécu.

 

Dans son  roman, à  l’écriture sèche et concise, Monica Sabolo, évoque une époque surréaliste : Françoise Dorléac se tue en Renault 8 Gordini, garçons et filles portent des four rures, boivent des camparis orange, certaines jeunes filles disparaissent quelques jours dans une clinique de la campagne genevoise et reviennent blêmes et amaigries.

La jeunesse dorée espère un monde meilleur que celui offert par leurs parents désabusés et trop riches mais au fil du temps, les espoirs se délitent, les passions s’effacent, tout le monde se range et se marie mais la gueule de bois ne passe pas. Il reste forcément quelque chose de son passé, de la magie des vacances à Crans Montana, comme un goût de paradis perdu.


Avec à la fois beaucoup de finesse et de profondeur, l’auteur ausculte et dissèque les sentiments de jeunes gens malheureux à qui pourtant tout semblait être offert. Mais trop de limousines, trop de fêtes, trop de Champagne n’ont jamais remplacé les vertus du cœur et les héros de Monica Sabolo ne le découvrent à leurs dépends que bien trop tard quand ils ont à leur tour pris les manières et les défauts de leurs ascendants. Nul n’échappe à son destin. Il y a du Villa triste dans ce livre-là, une atmosphère envoûtante à la Modiano dans ces jeunesses floues, à jamais mortes.


Brigit Bontour

 

Monica Sabolo, Crans MontanaLattès, août 2015, 248p., 19 € 

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