La Forêt des mânes, Jean-Christophe Grangé à la poursuite d'un monstre anthropophage dans la forêt primitive du Nicaragua

De romans en romans, Grangé ne lâche rien de ce qui a fait une partie de son succès : les voyages et les intrigues mondialisées. La Foret des mânes ne déroge pas, qui nous conduit de Paris au Nicaragua puis en Argentine à la poursuite d’un monstre anthropophage.


« Il y avait un lien, oui. Entre autisme, chromosomes, préhistoire. Quelque chose d’organique, de profond, qui résidait peut-être au fond d’un échantillon de plasma nicaraguayen… »

Jeanne Korowa, juge d’instruction au TGI de Nanterre, est conduite malgré elle à transgresser toutes les règles du Droit pour aboutir à l’enquête la plus importante de sa carrière. Son confrère et  ami, François Taine, est sur un dossier brûlant et lui demande son assistance, connaissant son goût pur les meurtres sanglants (elle est entrée dans la magistrature par convictions) et cherchant aussi un peu à la séduire. Un meurtre particulièrement sanglant — une femme démembrée, partiellement dévorée dans ce qui ressemble à une grotte votive digne de Lascaux reconstituée au fond d’un parking de la banlieue parisienne — va vite en appeler un autre, puis un troisième, apparemment liés uniquement par la monstruosité des sévices. Quand François Taine appelle Jeanne Korowa pour lui demander de venir voir le lien qu’il a trouvé entre ce trois meurtres, elle arrive trop tard : l’immeuble de Taine est en feu, et le juge ne sera retrouvé qu’à l’état de charbon… Trop impliquée, Jeanne ne récupèrera pas l’affaire, ni elle ni les équipes de polices déjà engagées, l’échelon supérieur s’arroge le dossier. Dès lors, Jeanne va partir en baroudeuse, sans mandats, sans ressources autres que les siennes propres, mais avec la conviction que cette affaire est la sienne.

Autre transgression, pour espionner son ex, Jeanne profite d’une enquête politique et place sur écoute illégale son psychiatre, dont elle devient vite éprise, cette voix si douce et ferme l’entraîne chaque soir, quand elle écoute les CD des séances avec ses patients. Exit l’ex. Mais un vieux monsieur vient parler au psy de son fils, dont il craint le comportement, la violence, et ce qu’il craint s’avère être un des meurtres du dossier. Jeanne a le meurtrier, elle sait qui c’est, mais n’a aucun moyen de l’appréhender. Quand les média s’emparent de l’affaire, le psychiatre disparaît, ainsi que son patient. Jeanne sait alors qu’elle doit partir à son tour, remonter jusqu’à l’origine du mal et comprendre qui il est, quel est cet enfant, quel est le monstre. Au Nicaragua, où tout semble converger, Jeanne retrouve le psy, parti mener sa propre enquête sur ses patients, mais il a peu à peu s’effacer devant les forces convoquées pour cette enquête dans la mémoire des dictatures.

Jean-Christophe Grangé retrouve ses petites obsessions, dénoncer les rémanences du fascisme, des dictatures, des atrocités si humaines qui fondent la société du crime. Paysans et indiens torturés, balancés à moitiés endormis du haut des hélicoptères en pleine jungle pour être dévorés par les caïmans et la forêt elle-même…

On pourra regretter la linéarité de l’intrigue, là où on attend des règles du genre qu’elle nous conduise de fausses pistes en cul-de-sac. Jeanne mène son enquête comme l’on déroule un ruban d’un point à un autre, sans trop subir d’obstacles, malgré l’énormité des faits qu’elle révèle : cette plongée envoûtante dans les profondeurs de la forêt et des secrets mêlant la plus importante découverte de l’anthropologie moderne et les agissements des dictatures meurtrières d’Amérique latine, finisse un peu vite. Le vrai visage du criminel apparaît sous des traits improbables mais que l’on devine vite si l’on est un peu attentif (à trop parler d’un personnage absent supposé secondaire…). C’est justement que Grangé a sans doute décidé de se servir de ce personnage attachant pour dénoncer nombre de faits (tortures, enlèvements, viols, etc.) liés aux dictatures d’Amérique latine, non sans rappeler fort justement que l’origine technique du mal est française, les officiers français ont enseignés les méthodes mises en place en Algérie…

D’une traite, La Forêt des Mânes vous emportera sûrement, mais moins loin que le Miserere. Un bon Grangé, mais pas le meilleur.

Loïc Di Stefano

Jean-Christophe Grangé, La Forêt des mânes, Le Livre de Poche, mai 2011, 8,50 euros
(Albin Michel, septembre 2009)
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