Jean-Claude Lalumière, La Campagne de France : En avant, marche !

Jean-Claude Lalumière ne rechigne pas devant les métaphores guerrières. Son  premier roman, publié par Le Dilettante en 2010, s'intitulait Le Front russe. Il n'avait rien à voir avec Stalingrad ou les combats de la Seconde guerre mondiale. C'était une satire, fort réussie, désopilante par endroits, des aberrations de la haute Administration, en l'occurrence celle des Affaires étrangères et de la diplomatie. Voici qu'il récidive avec La Campagne de France. Aucune référence aux équipées plus ou moins glorieuses de 1814, 1940 ou 1944. Il faut prendre "campagne" au sens le plus pacifique et rural du terme.

 

Dans son collimateur, le tourisme culturel dont la vogue ne se dément pas, en notre époque où le terme de "culture" a valeur de sésame. A priori, l'entreprise d'Alexandre et d'Otto, jeunes associés promoteurs du culturalisme itinérant, devrait donc faire florès. Grâce à leur Cultibus orangé, acheté d'occasion et fonctionnant au colza (autant d'indices permettant d'identifier le vendeur...), ils se proposent d'organiser à travers la France des voyages dont l'itinéraire se veut éminemment pédagogique et culturel. Visites de hauts lieux, de maisons d'écrivains, de sites historiques, choisis en fonction de thèmes déterminés. Assez fédérateurs pour étancher la soif de culture des participants.

 

Ainsi se retrouvent-ils à la tête d'une douzaine de retraités, pittoresque troupe recrutée à Saint-Jean-de-Luz, qui va se révéler difficile à gérer. Y cohabitent un colonel à la retraite qui a "fait" Dien Bien Phu, une enseignante frappée par la maladie d'Alzheimer, une ancienne guichetière à la SNCF, un couple d'agriculteurs landais rêvant de voir la Beauce, et dont le mari se révèle expert dans l'art de capturer des lapins au collet. Parmi quelques autres tout aussi typés.

 

 Non seulement la personnalité affirmée de certains rend la cohabitation difficile, mais des impondérables divers, dont une interminable grève des producteurs de lait, vont venir perturber le bon déroulement du voyage, obligeant les deux associés à déployer des trésors d'imagination pour sauver ce qui peut l'être et tenter d'éviter à leur société une faillite qui semble inéluctable.

 

On ne s'étendra pas sur les incidents qui émaillent le parcours du Cultibus. Ils donnent à l'auteur l'occasion d'épingler les travers de nos compatriotes dans des domaines variés. De retranscrire leurs dialogues truffés de lieux communs. De traquer jusque dans les moindres recoins l'expression de la veulerie caractéristique des beaufs qui se soucient de la Culture comme d'une guigne.  Sans parler de l'utopie qui prétend les cultiver malgré eux. Au grand dam de nos voyagistes dont les illusions subissent, au fil du parcours, de rudes assauts.

 

L'idée de départ ne manque pas de séduire et certaines pages, sous-tendues par un humour décapant, sont délectables. Mais, insensiblement, le récit s'essouffle. Le narrateur peine à renouveler les situations. Les personnages restent figés dans leurs stéréotypes. Tant et si bien que le comique, répétitif, perd insensiblement de son pouvoir. En d'autres termes, amputée d'une bonne cinquantaine de pages, cette Campagne de France eût été victorieuse. Elle eût conservé un rythme et une alacrité soutenus, capables de maintenir jusqu'au bout le lecteur en haleine. Au lieu de quoi elle finit par se traîner, à l'image d'un Cultibus à bout de force que seul le dénouement, inattendu, permettra de renflouer.  

 

Jacques Aboucaya

 

Jean-Claude Lalumière, La Campagne de France, Editions Le Dilettante, janvier 2013, 286 pages, 17,50 €

1 commentaire

Moi aussi j'ai beaucoup aimé "La campagne de France". Tout comme j'avais aimé le front russe. Alors j'ai osé  inviter Jean-Claude Lalumière à venir passer la soirée du vendredi 14 juin 2013 dans ma librairie.


Rejoignez-moi à partie de 17h30 et ce jusqu'à 19h30 pour lui poser des questions, vous faire dédicacer votre ou vos livres(s) ou discuter simplement.


 Humour, fatalité, amitié sont au programme pour cette soirée!