Une étude en écarlate- Quand Jean d'Aillon revient aux sources du plus célèbre des détectives.

Nous avions découvert Jean d’Aillon à travers Les aventures de Guilhem d’Ussel, chevalier troubadour. Après Rome 1202 et Rouen 1203, il fallait nous faire une raison et patienter jusqu’à la parution du prochain tome pour retrouver l’univers du troubadour et les intrigues magnifiquement orchestrées de Jean-Louis Roos alias Jean d’Aillon. Mais c’était sans compter sur cet auteur prolixe qui nous offre aujourd’hui le premier tome d’une nouvelle série intitulée : Les chroniques d’Edward Holmes sous la régence du duc de Bedford et durant la cruelle et sanglante guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons. Il n’échappera à personne le parallèle avec l’œuvre et les personnages emblématiques de Conan Doyle, cette première chronique s’intitulant d’ailleurs une étude en écarlate. Pourtant, on est loin d’une énième réécriture des aventures de Sherlock Holmes : il s’agit plutôt d’un retour aux sources.

             Le 21 mai 1420, Isabeau de Bavière, reine de France, signe au nom de son mari Charles VI, surnommé le Fol, un traité par lequel ce dernier reconnaît Henri V de Lancastre, son gendre, comme l’héritier de la couronne de France au détriment de son fils, Charles VII, déclaré bâtard. C’est dans ce contexte qu’Edward Holmes, clerc et demi-frère du baron de Ross, tué à la bataille de Baugé, est chassé par l’intendant de ce dernier. Ne pouvant rentrer en Angleterre et ne disposant d’aucun moyen de subsistance, maître Holmes accepte la proposition de Gower Watson, un archer blessé lors de la bataille d’Azincourt : partager sa chambre chez Maître Bonacieux, triste sire, et sa délicieuse épouse Constance. Afin de subsister dans un Paris où la famine et la misère règnent en maître, maître Holmes rédige des lettres de rémission, des suppliques au roi qu’envoyaient les familles pour obtenir leur grâce. C’est à l’occasion d’une de ces requêtes qu’il découvre un complot visant le roi d’Angleterre. Des bourgeois aux bouchers de Paris en passant par la fine fleur de la noblesse anglaise, Edward Holmes va avoir fort à faire pour démêler les écheveaux d’une intrigue où soif de pouvoir et vengeance viennent encore compliquer la donne.

 

            Il n’y a pas à dire : Jean d’Aillon est un maître en ce qui concerne les romans historiques. Il a l’art et la manière d’emboîter des intrigues autour de personnages à la psychologie marquée tout en recréant l’atmosphère des époques dans lesquelles ils évoluent. Le point de départ était pourtant risqué : s’inspirer d’un personnage emblématique comme Sherlock Holmes peut avoir un goût de déjà vu d’autant que le titre même, Une étude en écarlate, s’inspire de la première enquête du célèbre détective, Une étude en rouge. Le problème est en réalité à prendre à l’envers comme l’explique l’auteur dans sa préface : il y a une vingtaine d’année, Jean d’Aillon est tombé par hasard sur une lettre de Conan Doyle datant de 1884 et faisant référence à un livre intitulé Les chroniques d’Edward Holmes sous la régence du duc de Bedford. Hors, le manuscrit d’une étude en rouge a été accepté en 1886 ce qui signifie que Conan Doyle avait connaissance d’Edward Holmes. A partir de là, Jean d’Aillon a mis dix ans à mettre la main sur le fameux manuscrit écrit par un clerc anglais résidant à Paris et qui gagnait sa vie en écrivant des lettres de rémissions. Ce dernier avait donné un titre à chacune des affaires dont il avait eu à s’occuper : « Une étude en écarlate », « le chien des Basqueville », « Les quatre signes », « Le rituel », « le rat géant de l’hôtel Saint-Pol » ….Bien que le récit de ces affaires soit d’une grande platitude, Jean d’Aillon a décidé de les développer, les étoffer revenant donc aux sources du personnage qui a inspiré Conan Doyle. Le reste est parfaitement maîtrisé par Jean d’Aillon. L’intrigue principale porte sur le complot monté par Lady Mortimer contre son cousin, le roi Henri V. Lady Mortimer et son frère étaient les héritiers légitimes (1) du trône d’Angleterre et avaient été spoliés par leur cousin. A cette première intrigue, s’ajoute la vengeance de Robert de Lusignan qui souhaite venger la mort des siens, massacrés par les bouchers de Paris lorsque Périnet Le Clerc avait ouvert les portes de Paris aux Bourguignons. Enfin chaque lettre de rémission écrite par Holmes permet à ce dernier d’avancer dans la résolution du complot. Bien que l’intrigue de fond soit clairement identifiée dès le départ, chaque chapitre permet de suivre les réflexions du héro. Doué d’un esprit logique et d’un sens de l’observation à toute épreuve, Edward Holmes suit les pistes et s’épanouit dans la complexité : tout comme Sherlock, il ne supporte pas l’inactivité qui le plonge dans une profonde dépression. On notera avec un sourire qu’Edward Holmes était le clerc et demi-frère du baron de Roos, un homonyme du vrai nom de l’auteur. Il est secondé par Gower Watson, brillant archer, dont l’amitié permet à Holmes de survivre dans un Paris ravagé par la peste et la misère. La description de ce Paris du XVe siècle, des mœurs de ses habitants est également un régal et ont fait l’objet de recherche poussée de la part de l’auteur qui, comme à son habitude, nous livre une bibliographie assez conséquente. Un point de détail qui n’en est pas un pour tout historien qui se respecte.

 

Anglais contre Français, Charles VII contre Henri V, Charles VII contre sa mère Isabeau de Bavière, Armagnac contre Bourguignons, Mortimer contre Lancastre, Une étude en écarlate nous plonge dans un univers complexe et passionnant. Un premier opus réussi qui va mettre notre patience à rude épreuve car il va nous falloir attendre la parution du deuxième tome.

 

Julie Lecanu


 

Jean d’Aillon, Une étude en écarlate, Les chroniques d’Edward Holmes sous la régence du duc de Bedford et durant la cruelle et sanglante guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons, collection « Grands détectives » 10/18, février 2015, 504 pages, 8.80 euros.


1)      Edouard III, roi d’Angleterre de la dynastie des Plantagenêt a eu trois enfants : Edouard dit « le prince noir », Lionel, duc  de Clarence et Jean, duc de Lancastre. Le prince noir ne régna jamais  et c’est son fils, Richard, qui monta sur le trône avant d’être destitué par Henri, le fils de Jean, duc de Lancastre. Hors, selon les règles de succession en vigueur, le trône aurait dû revenir aux enfants de Lionel dont les Mortimer sont issus. 

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