"Caprice de la reine" de Jean Echenoz lu par Dominique Pinon

Combien d'univers le style apparemment épuré de Jean Echenoz contient-il ? A écouter Dominique Pinon lire Caprice de la reine, on serait tenté de répondre autant que de récits tant la palette est riche, aussi bien de l'écrivain que de son admirable lecteur. Sept récits qui portent tous sur un lieu différent et une démonstration de la maestria de l'auteur. Sept récits, sept lieux, ainsi que le recueil est présenté, mais ce ne sont pas tant les lieux qui comptent, ce sont ce qu'ils permettent à Echenoz d'exprimer comme avatar de son art de miniaturiste en un inventaire des littératures possibles. 

Faisons à notre tour l'inventaire :

Nelson, très drôle, est le portrait du grand Amiral par le détail de ses blessures, si bien qu'à la fin sa dignité est réduite à la partie congrue. Autant de blessures, détaillées lors d'un repas, qui sont rarement des faits de bravoure, et le héros de mourir son corps épuisé par les menus tiraillements dus à la répétition des déveines de l'arrière-front... 

Caprice de la reine, est le récit d'une description en train de se déployer, elle-même et la théorie qui la porte, comme un peintre expliquant les règles que suivent chacun de ses traits, pour finir par une géniale petite pirouette que certains pourraient craindre un "tout ça pour ça" mais qui est la justification de l'art précédemment exposé. La règle du jeu artistique est dans le détail, qui, à rebours, commande toute la composition de ce paysage champêtre a priori anodin. 
 
À Babylone se propose une enquête de l'impossible visite de la ville par Hérodote, impossible parce que chaque fait avancé comme historique est presque aussitôt démenti, pour donner au final une critique de l'historicisme stricte et élever le lecteur vers une poétique de l'histoire, une rêverie magnifique à l'ironie cruelle.

Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d’une montre, description strictement oulipienne des statues de reines qui entourent le jardin parisien. Texte le plus sec, purement formel, chacune étant décrite comme pour remplir la même fiche d'inventaire, dont il faut chercher l'intérêt dans les menus variantes des portraits qui tous se ressemblent, pour former au final une étrange histoire de la royauté dans ce temple de la République.

Génie civil, le plus romanesque de tous, évoque la vie d'un homme passionné par les ponts, qui y consacre sa carrière professionnelle puis ses loisirs de retraités dans le but de rédiger le grand livre de l'histoire technique et culturelle des ponts. C'est l'occasion d'entrer dans force détails techniques, un peu à la manière d'un Robbe-Grillet, pour s'achever par une justification de son travail dans l'écroulement d'un pont, victime de sa plus infime faille mais dont l'issue sera dramatique.

Nitrox est tout le fantasme de l'homme sur une femme qui se dévêt et se revêt de la combinaison de plongée dans un sous-marin où le confinement ne contraint pas l'expansion.

Trois sandwiches au Bourget est le périple absurde d'un homme qui estime l'aventure possible par un aller-retour Paris-Le Bourget en RER afin d'y manger un sandwich. Cette grande épreuve, franchir la ligne périphérique, qui relève du cauchemar pour nombre de parisiens, se transforme en épopée homérique non dénuée d'une portée sociale dans la touchante rencontre de la banlieue, entre fantasmes et réalité, qui s'achève dans la petite église Saint-Nicolas dont la modestie et, pour ainsi dire, l'inexistence, cache un vrai trésor d'Histoire. 


Dans la variété de lieux et d'époques, dans la surprise de faire saillir d'une insignifiante petite chose tout un monde et de nous en faire nous émerveiller, Jean Echenoz excelle. Peut-être parce qu'il écrit sur lui-même, qu'il décrit un monde à partir de lui comme point de vue modeste et grand à la fois. Mais Dominique Pinon, qui manifeste une grande intelligence du texte, réussit à rendre à chacun de ses univers particuliers sa propre couleur, ce qui n'est pas moins une performance réussie par le facétieux comédien dont on sait la vraie profondeur de jeu.


Loïc Di Stefano

Jean Echenoz, Caprice de la reine, lu par Dominique Pinon, Gallimard, "Ecoutez lire", octobre 2014, 2 cd, 1h50 

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Dominique Pinon lira Echenoz le 21 octobre 2014 à l'occasion de la 4e édition des Rêves de lecture de Dunkerque